Algeria-Watch, 11 janvier 2011 Les jeunes des quartiers les plus défavorisés ont fêté à leur manière – peut être sans même le savoir – le dix-neuvième anniversaire du coup d'Etat du 11 janvier 1992, exposant au monde entier la réalité d'un pays qui vit une dérive sans fin. Il est frappant de constater que la majorité de ces jeunes désespérés et sans perspectives sont nés après cette date et n'ont connu que l'atroce réalité du régime issu de l'interruption du processus démocratique. Les émeutes récurrentes qui secouent le pays depuis une dizaine d'années ont pris le relais d'une période sanglante qui a vu la mort de 200 000 Algériens, des milliers de disparus et des destructions innombrables. Les émeutes succèdent aux émeutes et les jeunes de ce pays ne rêvent que de le fuir, souvent au péril de leurs vies. Le bilan du régime est sans appel. L'incurie et la corruption caractérisent plus que jamais une dictature ubuesque où l'arbitraire est associé à un niveau d'incompétence rarement égalé. En dix-neuf années, le régime des généraux putschistes a démontré au-delà de toute mesure son inefficacité dans tous les domaines, à l'exception de la répression et de l'écrasement des libertés. Au plan économique et social, l'application mécanique des recettes du FMI a fracturé la société algérienne entre une majorité de pauvres et une minorité de pillards qui agissent à l'ombre des appareils « sécuritaires » et avec la bénédiction des multinationales. La hausse des prix pétroliers depuis le début de la décennie a avant tout favorisé l'extension de la corruption qui atteint des seuils inédits, même selon les pires standards arabo-africains. Les réserves de change d'un niveau colossal ne servent aucunement à améliorer les conditions d'existence des populations. La rente pétrolière contribue seulement à enrichir des groupes d'intérêts autour des généraux du DRS – la police politique, colonne vertébrale du régime contrôlée par le vrai « patron » du pays, le général-major Mohamed Tewfik Médiène –, de quelques chefs militaires et du chef nominal d'un Etat en déshérence, Abdelaziz Bouteflika. Sous la botte des putschistes, l'économie algérienne ne produit pas de nouvelles richesses ; la croissance tirée par les investissements infrastructurels est sans effet sur le niveau d'emploi et le développement économique. La « lutte contre l'intégrisme », prétexte du putsch et de la guerre permanente contre la société toute entière, est également un échec complet. L'interdiction de toute vie politique et la suspension des libertés publiques alimentent une alarmante régression culturelle, ouvrant une voie royale aux forces les plus obscurantistes, de fait les seuls alliés objectifs du régime. La loi d'autoamnistie de 2006 et l'enrôlement des prétendus « repentis » démontrent la collusion entre appareils de sécurité et groupes terroristes, unis dans la prédation et dans leur combat contre la population. Le désastre est total, amputé de ses élites, dévasté par une dictature aussi brutale que stérile, le pays n'est même plus à même d'offrir une couverture médicale minimale à la majorité de la population. Il faut payer, très cher, pour être soigné. L'état de délabrement des services publics est purement et simplement catastrophique. Les hôpitaux, les écoles, les lycées et les universités sont sinistrés. Tel est donc le paysage qu'offre l'Algérie à la veille du cinquantenaire d'une indépendance défigurée où les Algériens sont toujours privés de droits, interdits de parole et attendent toujours de bénéficier des libertés et de la citoyenneté. Le dix-neuvième anniversaire du putsch du 11 janvier 1992 est la commémoration d'un événement inaugural d'une des périodes les plus sombres de l'histoire de du pays. Mais le système criminel mis en place depuis et porté à bout de bras par les « grandes » démocraties occidentales montre des signes d'épuisement : le régime Médiène-Bouteflika est entré en décomposition et, en dehors de la corruption et de la mobilisation de clientèles discréditées, il n'a plus de leviers d'action sur la société. Le système est entré dans une phase terminale où il ne survit que par la violence. Face à cette situation et aux dangers qu'elle porte, la plus grande vigilance est nécessaire. Plus que jamais, la rupture avec la dictature impose aux Algériens de prendre eux-mêmes leur destin en main. Il convient donc de s'organiser partout où cela est possible afin de débattre et de préparer le changement avec le moins de dégâts possibles. Le refus de la violence et la souveraineté du droit sont les repères communs pour tous ceux qui aspirent à la justice et la liberté. C'est en réunissant la plus grande force possible autour de ces principes que sera enfin tournée la page obscure et sanglante ouverte le 11 janvier 1992.