Pourquoi Octobre 88 n'avait-il pas tenu ses promesses? Voilà une question qui, me semble-t-il, mérite d'être posée. Avec la promulgation de la Constitution de 1989, le pouvoir algérien de l'époque, celui qui était incarné par Chadli Bendjedid, avait, pour la première fois depuis l'indépendance du pays, autorisé le multipartisme et permis aux Algériennes et aux Algériens de s'exprimer librement. On assista alors à une floraison de partis politiques et de journaux privés. Les débats démocratiques firent leur apparition à la télévision et nous pûmes voir Abassi Madani et Saïd Sadi s'affronter sous les projecteurs, pour le plus grand bonheur des téléspectateurs. Pourquoi cette première expérience démocratique dans le monde arabe échoua-t-elle et conduisit-elle notre pays à la plus terrible tragédie de son histoire – plus terrible encore que 132 ans de colonisation? Pourquoi le peuple algérien ne sut-il pas saisir la chance que l'Histoire lui offrit? Que représente le putsch de janvier 92? Etait-ce une lutte de clans qui se régla dans le sang sur le dos du peuple algérien? Pourquoi personne ne prédit la réaction des généraux? Cette dernière était-elle imprévisible? Cette ouverture démocratique était-elle prématurée? Les dirigeants du FIS, principal parti d'opposition de l'époque, croyaient-ils sincèrement en la démocratie? Ou bien se voyaient-ils comme les héritiers légitimes du pouvoir FLN, le FIS se destinant à devenir à son tour un deuxième parti unique? Aujourd'hui encore la question suivante hante les «démocrates» : si des élections libres étaient organisées dans notre pays et si elles étaient remportées par les partisans du FIS, l'Algérie n'entrerait-elle pas dans l'ère de la pensée unique FIS, après avoir connu l'ère de la pensée unique FLN et celle de la non-pensée du pouvoir DRS sous l'état d'urgence? Comment cette phobie peut-elle être dépassée? N'est-ce pas elle qui empêche la constitution du vaste front qui regroupera tous les opposants au pouvoir des généraux, sans distinction, et qui réussira à faire entrer notre pays dans l'ère de l'Etat de droit? Ce dépassement n'est-il pas un préalable, si nous voulons réussir le changement? Car même si un soulèvement populaire semblable à la révolution tunisienne avait lieu dans notre pays, comment pourrait-il déboucher sur un changement véritable si l'opposition est divisée en deux camps antinomiques? Comment peut-on envisager un avenir démocratique pour l'Algérie si chacun des deux camps n'attend que la première occasion pour se débarrasser de l'autre? Pour reprendre le langage du marxisme, est-il faux de dire que l'étape actuelle est celle de la révolution démocratique bourgeoise? Quelle classe sociale a intérêt à ce que cette révolution réussisse? En l'absence d'une bourgeoisie nationale authentique, la classe moyenne, en s'appuyant sur les couches populaires les plus défavorisées, peut-elle mener cette révolution et débarrasser le pays du pouvoir despotique des généraux? La classe moyenne n'est-elle pas la grande perdante dans la situation actuelle caractérisée par le pouvoir tyrannique et médiocre de ses derniers? N'est-elle pas bloquée dans ses aspirations par ce pouvoir qui n'arrive pas à lui donner les moyens de son épanouissement? Que représente ce qu'on appelle l'«islamisme» par rapport à cette aspiration? Y-a-il une compétition entre deux classes moyennes, ou plutôt deux élites au sein de la classe moyenne, l'une conservatrice et attachée aux traditions et l'autre libérale et tournée vers le modèle occidental? La compétition entre ces deux tendances au sein de la classe moyenne empêche cette dernière de mener la tâche historique qui l'attend. La nouvelle bourgeoisie prédatrice et mafieuse constituée à l'ombre du pouvoir des généraux profite de ces divisions et maintient sa domination sur le pays. Quelle tendance finira par l'emporter au sein de la classe moyenne? Un compromis entre les deux est-il possible? Une chose est sûre : la révolution démocratique ne pourra pas réussir tant que cette contradiction n'est pas résolue. Lectures: