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Bassin sud de la méditerranée, ou les dissidences citoyennes
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 04 - 02 - 2011

Déjà dans les temps primitifs, les communautés humaines se sont regroupées pour former les premiers embryons d'organisation et de gestion de leurs affaires collectives, défendre leurs intérêts communs contre les adversités multiples auxquelles elles faisaient face et garantir leur survie en tant que communautés partageant les même destins.
Depuis, et jusqu'à nos jours, ces formes d'organisations sous l'effet de facteurs multiples, surtout économiques mais aussi culturels et religieux, ont évolué jusqu'à l'émergence des pays, des Etats et des gouvernements.
Ces processus historiques, largement analysés par des études multiples, très riches et souvent contradictoires ne sont pas l'objet de cette courte contribution. Ici, il y a juste lieu de retenir, qu'indéniablement, de toutes les formes de gouvernement, le système démocratique reste celui qui assure la participation la plus large et la plus effective des individus dans la gestion de leurs affaires et la détermination de leur avenir. Le meilleur moyen d'arbitrage et de régulation des contradictions qui traversent le corps social de chaque pays.
Les pays occidentaux ont connu cette évolution vers la démocratie, avec ses corollaires (libertés d'expression et d'organisation, suffrage universel, alternance, séparation des différents pouvoirs), souvent au prix d'orgies de sang et en passant par des étapes historiques qui ont engendré son avènement naturel.
Le système démocratique, né dans le sillage du libéralisme, mais point son unique apanage est loin d'être figé. Il a connu une évolution permanente grâce à l'apport des courants de pensée progressistes, humanistes, écologistes…etc. Et de leur imbrication et concessions mutuelles (notion de droit de l'homme, de sociétés civiles, démocratie participative, de développement durable …).
A la lumière de quoi, la démocratie ne peut être le propre de certaines sociétés et serait incompatible avec d'autres. Suggérer qu'il puisse exister des niveaux de maturité des peuples qui la rende accessible à certains et non à d'autres comme le prétendent certaines théories ne relève ni plus ni moins que de la stupidité intellectuelle. La démocratie est une donne incontournable qui s'inscrit dans le sens de l'histoire. Plus on la refuse, plus son avènement s'accélère.
Les autres pays africains, asiatiques, latino-américains et avec quelques différences les pays de l'est, sont dans leur immense majorité nés de processus de décolonisation forcés. A ce titre les idéaux de liberté, de citoyenneté et les aspirations à la justice chez les peuples de ces pays ont germés dans la résistance et la lutte contre les systèmes coloniaux prédateurs, répressifs et injustes à outrance.
Ces idéaux et aspirations sont restés vivaces. Ils se sont transmis comme une mémoire commune, d'une génération à une autre au sein de ces peuples opprimés et spoliés de leurs libertés par l'installation aux commandes de leurs affaires de véritables gouvernements vassaux qui, au fil des temps et des renoncements, se sont avérés être de véritables reliquats, et même pire que les régimes coloniaux. Le cas de l'Afrique et du moyen orient est tristement éloquent : monarchies dignes des temps médiévaux, en passant par des dictatures abjectes, l'autoritarisme est devenu le mode de gouvernance par excellence, sous l'œil bienveillant et encourageant des puissances occidentales qui ne pouvaient trouver meilleurs alliés à leurs intérêts.
En Amérique latine et en Europe de l'est, la rupture de l'ancien ordre bipolaire a laissé place à des transitions plus ou moins pacifiques vers la démocratie. Même si beaucoup de choses restent à faire. Il y a lieu de reconnaitre que le chili n'est plus celui de Pinochet tout comme la Pologne ou la Hongrie d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec celles de l'ère stalinienne.
En Afrique subsaharienne, longtemps ravagée par des conflits internes nés du tracé des frontières coloniales, quelques pays comme le Ghana, ont réussi, sans grands heurts à s'amarrer aux rivages de la démocratie. Ils constituent aujourd'hui des exemples intéressants. D'autres pays de la région commencent à rejoindre ce petit peloton.
Pour le reste, plus l'aspiration des populations aux changements est forte, plus les manœuvres des régimes postcoloniaux, foncièrement corrompus et autoritaires pour se maintenir et se recycler sont féroces. Les cas de la côte d'ivoire, du Niger, du Gabon, Cameroun… sont éloquents de ce mépris de la volonté populaire.
Dans le même registre l'Afrique du nord et le moyen orient sont des cas d'école. De l'autoritarisme dans la gouvernance jusqu'à la transmission quasi dynastique du pouvoir, les régimes en place ont systématiquement bâillonné toute aspiration au changement et réprimé toute velléité d'opposition et d'émancipation.
Que ce soit sous forme de monarchies médiévales, comme au Maroc ou dans les pays du golfe. Que ce soit sous forme de républiques à façades démocratiques où les généraux détiennent l'essentiel du pouvoir ; la tyrannie est le dénominateur commun à ces régimes dont la gouvernance est synonyme de paupérisation, de corruption généralisée, de répression et de mise au pas de toute voix discordante. Des Etats de non droits où les citoyens sont humiliés et la dignité bafouée.
Dès lors la rupture des populations d'avec ces régimes honnis n'a d'égal que la révolte généralisée qui a traversé ces sociétés telle une lame de fond ces dernières décennies.
Le soulèvement, surtout de la jeunesse, dans ce petit pays aux allures paisibles qu'est la Tunisie n'est juste que la face cachée de l'iceberg. C'est un maillon d'une chaine de révoltes qui, comme des volcans qui rentrent en irruptions, vont éclater à court terme dans l'ensemble nord-africain surtout et au moyen orient si rien n'est fait pour anticiper des changements nécessaires, même déchirants.
On n'a pas fini d'admirer le soulèvement du peuple tunisien qui a chassé Ben Ali aux cris du mot d'ordre ‘dégage tyran' qu'éclate une autre révolte en Egypte exigeant le départ d'un autre tyran criminel, symbole d'un autre régime autoritaire et corrompu.
Le refus de ces régimes de toute réforme digne de ce nom et d'ouverture de processus de transition vers la démocratie réelle et leur entêtement à se maintenir par divers subterfuges contre la volonté des populations finira à court terme par libérer des révoltes, peut-être plus radicales, qui les emporteront surement mais qui malheureusement peuvent être porteuses de périls nouveaux. La même attitude prévaut un peu partout dans les pays riverains du sud de la méditerranée.
L'occident qui s'est toujours accommodé des dictatures dans les pays nord-africains et du moyen orient quand il n'a pas tout fait lui-même pour les créer, les maintenir et les soutenir est aujourd'hui acculé. Il doit non seulement changer de vision, de comportement et de stratégie vis-à-vis des peuples du Sud mais lâcher ses suppôts et reconsidérer ses intérêts. La révolution démocratique est inévitable, elle s'inscrit dans le sens de l'histoire.
Qu'on se le dise immédiatement, la Tunisie ne sera plus comme avant. Telle qu'y sera l'évolution de la situation politique, la démocratie gagnera et l'exemple ne sera que plus encourageant.
La fuite sans gloire du tyran Ben Ali et la chute de son régime, la perspective de son éventuel jugement ainsi que celui de tous ceux qui ont dilapidé les biens du peuple tunisien sous son règne, l'humiliation et la disgrâce du raïs d' Egypte doit faire réfléchir ceux qui continuent à refuser les demandes sociales et politiques des populations de cette région, creuset de résistances.
Ne serait-il pas plus judicieux d'anticiper en enclenchant des transitions pacifiques dans le sens d'un changement radical de ces régimes tant corrompus que rejetés ?
Le cas de l'Algérie est illustratif. Un pays ayant enduré la plus grande période de colonisation (car de peuplement), la plus barbare de l'histoire et le processus de décolonisation le plus douloureux. Le peuple algérien qui a souffert des pires privations, exactions et dégradations a eu son indépendance au prix de sept ans de guerre des plus atroces et de terribles sacrifices, nullement consentis ailleurs. Ses aspirations à la démocratie, la justice et la dignité sans comparaison aucune ont été vite détournées par l'instauration d'un régime autoritaire et clientéliste, où l'essentiel des décisions sont aux mains de l'armée. Nous en sommes encore là cinquante ans après malgré les demandes de la société (en témoignent les événements de 80, 88 et d'autres manifestations et émeutes multiples; souvent réprimées dans le sang). Entre temps le système s'est plusieurs fois replâtré en se dotant de façades démocratiques mais jamais changé dans le fond. Pire encore, sur le mode clanique et maffieux de son fonctionnent se sont développés les pires dérives : assassinats, répression, mal gouvernance, corruption et dilapidation des richesses du pays …
L'Algérie est un vaste pays très riche. Ses populations vivent dans un dénuement avancé, où la précarité y est reine au moment où les richesses du pays sont systématiquement dilapidées et la corruption généralisée souvent étalée publiquement par des scandales jamais élucidés quand ils ne sont qu'outils à des règlements de compte maffieux.
Le chômage si élevé des jeunes et leur vie si désespérée que lorsqu'ils ne versent pas dans la violence bravent la mer sur des embarcations de fortune pour un occident supposé, fantasmé plus accueillant, du moins pour ceux qui ne finissent pas noyés dans les eaux glaciales de la méditerranée. Parfois c'est complètement le renoncement à la vie, en optant pour le suicide que nos jeunes choisissent pour protester contre leurs conditions. La série d'immolation de ces dernières semaines en est un exemple.
L'insécurité y est organisée de façon méthodique et les champs politique et des libertés complètement verrouillés. Les organisations autonomes de la société civile anéanties au profit de dizaines de milliers d'autres, satellites du régime, creuses, mais dynamiques dans leur participation à la rapine des deniers publics. Le pluralisme est réduit à celui des cercles courtisans. Toute contestation sévèrement réprimée. L'état d'urgence instauré depuis 20 ans profite aux manœuvres de consolidation du régime.
De façon générale, un état d'urgence ne méritera pas son nom s'il ne restreignait pas les libertés et les activités politiques. En Algérie encore plus. Tenter ridiculement de défendre le contraire comme argument de l'inexistence de différence entre son maintien ou sa levée amoindrit l'argument de son maintien pour des raisons sécuritaires. D'ailleurs nous a-t-on donné une explication à ses raisons sécuritaires ?
La colère gronde plus que jamais en Algérie, pendant que le régime, sourd aux demandes de la société s'occupe pernicieusement à organiser son maintien et refusant toute solution de sortie de crise dans la perspective d'une transition véritable vers la démocratie. Le pays est comme enceinte d'un soulèvement même si les moyens de propagande digne de l'époque stalinienne et les cercles clientélistes du régime arrivent à masquer la réalité. Pour éviter que l'exaspération ne se transforme en embrasement aux conséquences parfois périlleuses, et au lieu de chercher à trouver des différence entre la Tunisie ou l'Egypte et l'Algérie pour se donner bonne conscience et balayer du revers de la main les risques de soulèvement important en Algérie est une autre insulte à ce peuple qui après 130 ans d'assimilation coloniale a pris les armes pour se libérer.
Il est plus adéquat que les cercles décideurs du régime acceptent son changement radical en engageant un processus de transition démocratique fondé sur le retour à la souveraineté réelle du peuple en prenant les premières mesures suivantes :
-le rétablissement effectif de toutes les libertés, incluant la levée immédiate de l'état d'urgence et l'ouverture des champs politique et médiatique.
-la préparation de véritables élections pour une assemblée constituante, balisées au préalable d'une clause de non remise en cause des principes démocratiques et du principe de séparation de la politique et de la religion ainsi que de la garantie de l'introduction de tamazight en tant que langue nationale et officielle.
-l'interdiction définitive de l'intrusion de l'armée dans les affaires politiques sous quelque forme que ce soit.
New York, le 03/02/2011.
*Ancien premier secrétaire de la fédération FFS de Tizi Ouzou.
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