Plusieurs spécialistes décryptent pour Nouvelobs.com le rôle que tiennent les pays arabes dans la crise libyenne. Mots-clés : Juppé, Libye, frappes aériennes, Kadhafi, Onu Tout laissait penser que le soutien de la Ligue arabe à l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne pouvait changer la donne et favoriser une intervention militaire à but « humanitaire » de la communauté internationale en Libye. Ce soutien arabe devait offrir une légitimité aux forces occidentales leur évitant ainsi les reproches d‘ingérence et de vieux réflexes colonialistes. Cette initiative fut d'ailleurs rapidement saluée par les Etats-Unis, le Canada et l'Union européenne. Ce faire-valoir arabe devait être décisif. Finalement, cette hypothèse semble s'éloigner à grands pas, malgré ce qu'affirme Alain Juppé sur son blog mercredi 16 mars sur une « participation effective » de « plusieurs pays arabes » à une opération militaire en Libye. Comme les pays de l'Union européenne et les membres du Conseil de sécurité de l'Onu, la Ligue arabe discute, tergiverse, décide puis ne fait rien. « La Ligue arabe est une coquille vide, elle a toujours été impuissante. Elle l'a prouvé pendant les crises au Liban et en Irak« , assène Vincent Geisser, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam-CNRS). « La Ligue a pris une décision courageuse et nouvelle, même si elle sera sans effet », analyse de son côté Luis Martinez, spécialiste de la Libye et directeur scientifique au Centre de recherche sur l'Afrique et la Méditerranée (Ceram). Pourquoi alors la Ligue arabe a-t-elle soutenue les Occidentaux ? Simple pirouette diplomatique ? La pression populaire Les Etats arabes du Golfe, dominés par l'Arabie saoudite, avaient réaffirmé leur soutien au principe d'une zone d'exclusion aérienne tout en insistant sur la nécessité d'une caution de la Ligue arabe. Considérant que le régime du colonel Kadhafi était désormais « illégitime » en raison de la répression qu'il a mené, ils ont exhorté leurs pairs arabes à « prendre leurs responsabilités pour arrêter le bain de sang« . Amr Moussa, secrétaire générale de la Ligue arabe avait plaidé, lui aussi, pour une telle mesure, en souhaitant que la Ligue « joue un rôle » dans la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne. Alors qu'Européens et Américains accentuaient la pression sur le régime libyen, évoquant l'utilisation de « toutes les options » possibles, la Ligue arabe, malgré les réticences de pays « amis » de Kadhafi comme l'Algérie et la Syrie, s'est finalement ralliée à la position des Occidentaux. Peu prompte à donner des signes d'allégeances aux Européens et aux Américains, la Ligue arabe s'est montrée résignée face aux événements. Les raisons sont multiples. La pression populaire, d'abord, a joué pour beaucoup. « Il y a dans les pays arabes une très grande solidarité avec le peuple libyen », explique Luis Martinez. « Il aurait été très difficile pour ces régimes de ne pas se montrer en convergence avec la rue, alors même que les chaînes arabes comme Al-Jazeera et Al-Arabiya diffusent en boucle les combats entre les insurgés et les forces loyales à Kadhafi. Ils auraient été accusés d'abandon par leur opinion publique. » L'enjeu est encore plus fort en Egypte, où Amr Moussa s'est déclaré candidat à la prochaine présidentielle égyptienne. Sa double position lui laisse très peu de marges de manœuvre face à un peuple qui lui-même est passé par la révolte et qui pourrait lui en tenir rigueur. « Amr Moussa est un homme de compromis avec un bon CV diplomatique, mais il n'a pas non plus brillé par son soutien à la démocratie », rappelle Vincent Geisser. En se mettant ainsi dans une posture de solidarité, il espère gagner les faveurs de l'opinion publique égyptienne. Mais aussi gagner celles de la communauté internationale. La caution démocratique En effet, les révoltes des pays arabes ont attiré l'attention sur la nature des régimes autoritaires arabes. La politique de l'autruche ne fonctionne plus. Pour réhabiliter leurs images, les pays arabes n'ont pas d'autres choix que de faire preuve de bonne volonté. « La Ligue arabe joue un jeu de dupe. Sous la demande pressante de la France et de la Grande-Bretagne, la Ligue a accepté le principe d'une exclusion de la zone aérienne, tout en sachant que sauf surprise, une telle résolution ne sera pas votée au Conseil de sécurité de l'Onu en raison des réticentes traditionnelles de la Chine et de la Russie à l'ingérence. C'est une posture diplomatique », nuance Didier Billion, spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Finalement, c'est une déclaration à bon compte pour pas trop cher ». Crainte d'une contagion Vincent Geisser va plus loin. Il estime qu'en proposant quelques éléments de coopération, les pays arabes, eux-mêmes menacés d'insurrection, espèrent s'attirer la bienveillance de la communauté internationale concernant leurs propres manières de réprimer. « En fait, ils sacrifient la Libye, élément de toute évidence perturbateur au sein de la Ligue arabe, en donnant des gages à l'Union européenne et aux Etats-Unis. En adoptant une attitude conciliante et modérée vis-à-vis d'eux, ils espèrent ainsi pouvoir avoir les mains libres pour réprimer chez eux ». Pour le chercheur, l'entrée des chars saoudiens à Bahreïn pour aider le régime à rétablir l'ordre en est le parfait exemple. « Si des accords de coopération lient les deux pays, il n'en reste pas moins que cette action est une ingérence étrangère. Et pourtant, il n'y a eu aucune condamnation ferme de la communauté internationale ! Pour lui, l'Arabie saoudite mène clairement un double langage. « Les pays arabes forment un glacis défensif pour empêcher que la contestation ne s'étende aux pays du Golf », affirme-t-il. Unité de façade En prenant en compte toutes ces raisons qui poussent la Ligue arabe a affiché son soutien à une intervention militaire en Libye, il est difficile d'imaginer les pays arabes s'investir plus dans la résolution de la crise libyenne. Les réticences de l'Algérie et de la Syrie révèlent le faux consensus qui règne au sein de la Ligue qui n'a jamais vraiment su s'entendre. Selon Vincent Geisser « les pays de la Ligue se neutralisent entre eux avec des rôles bien définis. La Syrie apparaît comme le mauvais élève. Mais en fait tous les pays maintiennent le statu quo en interne ». Si son pouvoir est de fait limité, la Ligue arabe a surtout servi de moyen de pression inutile pour tenter de renverser le régime de Kadhafi. « La France et la Grande-Bretagne ne sortent pas grandies de cette tentative de conciliation. Ils ont fait pression sur la Ligue arabe, mais rien n'est venu », regrette Didier Billion. « La Ligue arabe est faîte pour faire des déclarations, mais dès qu'il s'agit de passer aux travaux pratiques, il n'y a plus personne. C'est qu'ils ne veulent pas eux non plus se retrouver un jour sur le banc des accusés« , poursuit-il. La position des pays arabes aura eu sans doute le mérite d'isoler le colonel Kadhafi dans la région. Mais pour Luis Martinez, il faut se méfier. « La Ligue arabe change de stratégie au gré de la conjoncture. La mémoire diplomatique et médiatique est très courte, on tourne la page rapidement. » Sarah Diffalah – Nouvelobs.com Lectures: