Par Thierry Brésillon | Journaliste | 03/08/2011 Le 15 juillet, alors que la police dispersait sans ménagement un rassemblement devant le siège du Premier ministre, place de la Kasbah, un policier en tenue brandissait, parmi les manifestants, une pancarte sur laquelle il avait inscrit « Vive le peuple ». (Voir la vidéo) Devant les caméras de télévision, congratulé par la foule, il déclarait avant d'être arrêté par ses collègues : « Le pays est à tout le monde aujourd'hui. Maintenant, le peuple a la parole. La police est au service du peuple, au service de sa sécurité. Nous avons été vingt-cinq ans au service de la dictature, ça suffit ! » Ce policier s'appelle Mehrez Harzli, 44 ans. La mise soignée, l'expression déliée, amateur de poésie et patriote sourcilleux, il est infirmier depuis dix-sept ans au sein des brigades d'ordre public, les fameuses BOP de sinistre réputation pour avoir été souvent engagées dans la répression des manifestations, notamment pendant la révolution. Son histoire est révélatrice du malaise d'une police à la fois symbole honni de la dictature et malmenée par son administration, tiraillée entre ses anciennes habitudes et son aspiration à être en phase avec l'évolution politique de la Tunisie. Entretien. Thierry Brésillon : Qu'est-ce qui vous a poussé à rejoindre les manifestants ? Mehrez Harzli : Je suis un policier qui, depuis le 14 janvier, a conclu un contrat avec le peuple, c'est de respecter son pouvoir. Le 15 juillet, je suivais les manifestations sur Facebook et le spectacle auquel j'ai assisté m'a paru à l'opposé de ce contrat. J'ai vu les policiers agresser les manifestants. Alors j'ai pris la décision d'aller soutenir mon peuple contre l'agression de notre système de sécurité qui symbolise la poursuite de la dictature instaurée depuis Bourguiba. J'ai préparé ma pancarte et je suis allé rejoindre les manifestants à 16 heures. A 16h40, j'ai été arrêté le premier. Ma pancarte a été déchirée et un colonel m'a insulté d'une manière que je n'oublierai jamais. Avez-vous été sanctionné ? J'ai été suspendu de mes fonctions. Mais sous la pression d'organisations de droits de l'homme et du syndicat des policiers, l'administration m'a réintégré après dix jours en attendant mon passage en conseil de discipline. Mais pour toute action il faut payer. Et je suis prêt à payer pour la Tunisie. Si ce gouvernement prend le chemin de la démocratie et de la justice, je ne pense pas que je serai sanctionné. Mais s'il soutient le principe d'agresser le peuple, je sais qu'il sera dur avec moi. Mais je ne regretterai jamais ce que j'ai fait. J'ai reçu beaucoup de témoignages de solidarité. Certains m'ont proposé de payer mon salaire. Certains ont voulu organiser des collectes en ma faveur. Mais j'ai refusé. Je ne peux pas accepter de l'argent. Certains collègues me comprennent, mais la plupart me désapprouvent. Sur ce genre de sujets, on ne peut avoir tout le monde avec soi. Comprenez-vous pourquoi vos collègues brutalisent les manifestants comme ils l'ont fait le 15 juillet ? Il y a deux paramètres. D'abord, il y a les ordres. Et nous n'avons pas d'autres choix que d'exécuter les ordres. Etre policier, c'est un esclavage ! Des ordres, des ordres, des ordres… Le second, c'est qu'il faut comprendre que le policier souffre : l'administration nous agresse, notre relation avec le peuple est très mauvaise et matériellement nous vivons dans le malheur. Un policier de base touche 420 dinars [un peu plus de 200 euros, ndlr] par mois. Moi je touche 520 dinars [un peu plus de 250 euros]. C'est très peu ! Nous souffrons beaucoup ! Dans ces conditions, on ne peut pas trouver un policier équilibré. Nous les policiers, nous avons besoin d'un psychiatre ! La police a-t-elle changé depuis le 14 janvier ? Des cadres ont été sanctionnés, arrêtés, mais il reste des anciens responsables, avec les mêmes idées. Il faut les écarter car ils bloquent notre révolution. Les policiers voudraient créer une bonne relation avec la population, mais dans la situation où ils sont, ce n'est pas possible. Cela prendra du temps. Pour restaurer la confiance entre le peuple et la police, il faudrait suivre le modèle géorgien. Après la révolution [la révolution des roses en 2003, ndlr], le salaire des policiers a été multiplié au moins par cinq. Ce gouvernement de transition n'est pas encore démocratique. J'espère que ce n'est qu'une étape, mais je suis inquiet pour la Tunisie. Je lance un appel à tous les policiers : soutenez votre peuple ! Ne soutenez pas les politiciens ! Photo : Mehrez Harzli, le 30 juillet 2011 (Thierry Brésillon). Lectures: