Il me semble qu'il y a lieu tout d'abord d'affirmer clairement que nul ne détient aujourd'hui la baguette magique qui permettra de transformer du jour au lendemain la situation désastreuse de notre pays en situation brillante. Notre économie ne deviendra pas productive, le peuple algérien ne deviendra pas un peuple travailleur et respectueux des lois, notre Justice ne deviendra pas totalement indépendante, « bayna 3achiyyatin wa dhouhâha ». Tout ce que nous pouvons espérer faire de positif aujourd'hui, c'est de remettre le pays sur les bons rails, ceux sur lesquels il aurait dû se trouver dès 1962. Quels sont ces bons rails? Le débat nous permettra peut-être d'avancer quelques idées en guise de réponse. Notre objectif – le changement – sera donc, dans une première étape, la mise en branle d'un processus qui permettra au pays d'assoir les fondations de l'Algérie du futur, celle où il y aura moins de voleurs en nœud papillon et costard trois pièces, pas de harraga, pas d'immolés, moins de chômeurs, moins de corruption, moins d'arbitraire et plus de travail productif, de meilleurs services, des villes et des villages propres, etc. Notre objectif stratégique est de sortir notre chère Algérie des griffes du système mafieux. C'est la mise à mort de ce système mafieux, sa neutralisation définitive qui nous intéresse. Car c'est bien ce système mafieux qui étouffe le pays et le bloque et qui est la cause de tous nos malheurs aujourd'hui. Mais qu'est-ce donc au juste que ce système mafieux? Je n'ai pas la prétention de donner des réponses précises et exhaustives à cette question, n'étant qu'un modeste ingénieur qui n'a assimilé que quelques bribes d'histoire, de sociologie et d'économie, en puisant ses connaissances dans les livres. Nos ami(e)s universitaires sont certainement mieux placé(e)s que moi pour répondre en détail à la question que je pose. Je vais quand même proposer quelques idées, afin d'amorcer le débat. Le système mafieux est-il constitué par l'Etat, l'Armée et les services de sécurité, les entreprises publiques, les banques, etc., dans leur intégralité? Tout le personnel de ces institutions fait-il partie de la mafia? À L'évidence non et si tel était le cas, la situation de notre pays serait totalement désespérée. Nous pouvons dire, par contre, que toutes les institutions portent en elles le virus du système mafieux, qui tend à se reproduire rapidement et à produire des petits mafiosi à tous les niveaux, c'est-à-dire des individus qui utilisent leur poste pour SE SERVIR et non pas SERVIR l'Algérie et le peuple algérien. L'infection se propage de plus en plus rapidement dans tous les domaines, mais il y a encore beaucoup d'hommes et de femmes sains dans les institutions de l'Etat, l'Armée et les services de sécurité, le secteur économique, la presse, les syndicats, les partis politiques, etc. Seulement, ces individus sains ne se trouvent pas aux postes de commandement ou bien, s'ils s'y trouvent, ils sont isolés et certainement surveillés – car celui qui est sain ne peut pas regarder faire la mafia sans réagir et en réagissant il s'expose à des représailles. SE SERVIR et non SERVIR, ce virus très dangereux, s'est rapidement propagé dans toute la société depuis une vingtaine d'années. Il risque de transformer notre pays en une jungle où plus aucune loi ni aucune valeur n'auront cours, si ce n'est celles de la mafia. Détruire toute forme de patriotisme, toute forme d'idéalisme, toute forme d'innocence – enniya –, propager la médiocrité, la ruse et la roublardise, la triche, la peur et la suspicion, l'anarchie, l'individualisme outrancier et l'égoïsme, etc. : tels sont les effets dévastateurs de ce terrible virus qui risque de détruire totalement notre pays si nous ne réagissons pas de manière ferme et résolue et si nous n'administrons pas à notre société le traitement adéquat le plus tôt possible. Pour moi, le système mafieux qui étouffe notre pays, ce sont des hommes et des femmes qui occupent la plupart des postes de commandement et de décision et qui ont pour objectif de SE SERVIR, afin de constituer des fortunes personnelles le plus rapidement possible et par tous les moyens, et non de SERVIR l'Algérie et le peuple algérien. Ces hommes et ces femmes constituent une classe ou une caste solidaire, dont les membres sont unis par leurs intérêts communs, une « culture » commune, comme le sont les membres de toute mafia de par le monde. Cette mafia a progressivement pris possession de tous les postes clé dans le pays, de la Présidence jusqu'au chef de daïra. Elle contrôle le gouvernement et toutes les administrations, la Justice, l'Armée et tous les services de sécurité, les entreprises du secteur public, les banques, les syndicats, les partis politiques, la presse, etc. Dans chaque institution il y a au moins un homme ou une femme qui se trouve aux commandes et qui représente cette mafia et défend ses intérêts, qui sont aussi les siens, leur devise commune étant SE SERVIR et non SERVIR. Cette mafia transfère une grande partie de la rente pétrolière vers des comptes bancaires privés situés à l'étranger et vers un nouveau secteur privé parasitaire dont la principale activité est l'importation et la revente en l'état de toutes sortes de produits – nourriture, médicaments, électroménager, voitures, etc. L'entrée dans les circuits de ce secteur privé mafieux n'est pas ouverte à n'importe qui. Elle se fait par cooptation et allégeance à un des barons de la mafia qui a la charge de « gérer » la branche d'activité à laquelle on veut accéder. Comme dans toute mafia, si on n'est pas lié aux barons par des liens de parenté, alors il faut commencer au bas de l'échelle, faire le « sal boulot » et se dévouer corps et âme à la mafia afin de lui donner les preuves d'une loyauté sans faille. Cette mafia a le pays bien en main. Elle applique les méthodes de toute mafia qui se respecte : l'opacité et le culte du secret, la cooptation et l'allégeance, la liquidation des « gêneurs », la conspiration permanente, la manipulation et l'intox, etc. Pour elle, le peuple ne représente qu'un immense troupeau, une bande de 37 millions de gueux et d'imbéciles, qu'il faut constamment tenir en respect. Celui qui a pour devise SE SERVIR et non SERVIR ne respecte personne. Il ne respecte que l'argent et son chef, à qui il a fait allégeance et juré obéissance tant qu'il a le pouvoir – il fera de nouveau allégeance et jurera obéissance à celui qui liquidera ce chef et prendra sa place. Vous trouvez ce tableau trop noir et exagéré? Je ne crois pas qu'il le soit. C'est malheureusement cela la réalité de notre pays aujourd'hui. Cette mafia est très puissante – plus puissante que toutes les mafias du Machreq et du Maghreb qui ont été ébranlées par les soulèvements populaires en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yémen et en Syrie et il ne faut pas espérer qu'elle cédera un jour la place sans se battre. Comment s'en débarrasser alors? Ce ne sera pas facile. Il faudra faire preuve d'intelligence et de persévérance et surtout faire confiance au peuple et à toutes les forces saines du pays. Deux questions méritent qu'on les discute, afin de comprendre comment cette mafia a pris possession du pays. 1- Qu'ont représenté octobre 88 et l'ouverture amorcée par Chadli-Hamrouche entre février 89 et janvier 92? 2- Pourquoi le FIS a-t-il échoué, de même que le FFS et le FLN de Mehri?