Le 10 juin 1960 a lieu une rencontre entre le conseil de la wilaya IV historique, conduit par son chef Salah Zaamoum, et le général de Gaulle. Mise à part l'histoire officielle qui n'en fait nullement mention, cette affaire donne lieu à deux versions antinomiques. La première, de surcroit simpliste, fait état de la trahison pure et simple du conseil de la W4 et l'autre, plus raisonnable, relate les faits en les rapprochant autant que faire se peut de la réalité. De toute évidence, bien que le discours du 16 septembre 1959 –où le général de Gaulle parle du droit du peuple algérien à l'autodétermination –ait un poids considérable dans le processus de la prise de décision, il n'en demeure pas moins que les raisons sont davantage endogènes à la révolution algérienne. En fait, la mésentente entre le conseil de la W4 et l'organisation extérieure atteint son paroxysme vers janvier 1960. Lors du conseil de wilaya, Si Salah reproche amèrement au GPRA son mutisme aux appels de détresse qui lui sont lancés par les maquisards de l'intérieur. Dans un rapport rédigé par Boualem Seghir, les chefs de la W4 dressent un tableau noir de la situation. « Le peuple a trop souffert... Le peuple est en voie de nous abandonner », constatent-ils. Selon Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN », « ce fut à qui fulminerait le mieux contre le GPRA et les planqués de l'extérieur qui avaient abandonné les combattants à leur triste sort. » Cependant, à l'époque des faits, la révolution vit au rythme d'une crise interne sans précédent. En effet, sous le règne des 3B (Belkacem Krim, Abdelhafid Boussouf et Abdellah Bentobbal), la révolution allait à vau-l'eau. Cela dit, bien que les organismes issus du CNRA (16 décembre 1959 – 18 janvier 1960), lui-même précédé de la réunion des dix colonels (11 aout – 16 décembre 1959), soient un pur dosage entre les forces en présence, une décision capitale est tout de même prise : le retour des forces combattantes, stationnées aux frontières marocaine et tunisienne, à l'intérieur du pays. Ce qui correspond, de façon sous-jacente, aux desiderata des combattants intérieurs. Hélas, le CNRA commet une erreur irréversible en confiant le commandement militaire unifié à Houari Boumediene. Alors que les maquis de l'intérieur sont pris en étau, le chef de l'état-major général se projette dans l'après-guerre. Du coup, ne voyant rien venir, le conseil de la W4 revient à la charge, en mars 1960, en accusant les chefs extérieurs d'opportunistes. « Les vieux griefs contre Boumediene le voleur d'armes resurgirent à propos d'un contingent de 17000 armes promises à la 4 et qui auraient été accaparées par la 5 et l'armée des frontières du Maroc », écrit Gilbert Meynier. Ce sont, sans doute, ces divergences internes qui ont motivé les combattants de la W4 de se rendre à l'Elysée en vue de rencontrer le général de Gaulle. « Nous ne voulons plus que notre million de martyrs serve de slogan publicitaire... en connaissance de cause et en qualité de responsables des combattants, il nous est plus permis de laisser mourir un seul algérien en plus. Dans l'intérêt supérieur du peuple et de l'armée de libération, il est urgent de cesser le combat militaire pour entrer dans la bataille politique », écrivent les membres du conseil de la W4. Enfin, dans son ultime tentative d'infléchir la position du GPRA, Si Salah écrit une lettre, le 15 avril 1960, dans laquelle il se montre intransigeant. « Vous avez interrompu radicalement tout acheminement de compagnie et de matériel de guerre depuis 1958... Nous ne pouvons plus en aucune manière assister les bras croisés à l'anéantissement progressif de notre chère ALN », écrit-il. Concomitamment à ces remontrances, le conseil de la W4 noue des contacts avec des responsables français. Prenant les choses au sérieux, le général de Gaulle envoie deux émissaires : Bernard Tricot et le colonel Mathon. Après moult conciliabules, ces rencontres aboutissent à la rencontre du 10 juin 1960 à l'Elysée. Enfin, bien qu'ils jugent leur démarche responsable, les chefs de la W4 demandent à ce que leur accord soit soumis au GPRA ou à l'approbation des chefs historiques emprisonnés. Pour conclure, il va de soi qu'une action séparée, dans un mouvement de libération nationale, est improductive. Cela dit, si jamais une telle action devait être condamnée, il faudrait condamner les causes qui l'ont produite. Enfin, s'il y a un point sur lequel les membres du conseil de la W4 ne sont pas trompés, c'est la mise à nue du système militarisé se profilant à la fin de la guerre. Du coup, condamner de façon simpliste leur action revient à cautionner l'emprise du groupe de militaires sur la souveraineté nationale. Ait Benali Boubekeur * facebook * twitter