Tribune 22 septembre 2015 Par Kader Abderrahim Le limogeage mi-septembre du général Mohamed Médiène, alias Tewfik, chef du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), vient couronner le parachèvement du pouvoir du clan présidentiel. Après plusieurs mois de guerre de tranchée, Abdelaziz Bouteflika a saisi l'opportunité de se débarrasser de cet encombrant officier supérieur. Dans la nuit du 16 au 17 juillet derniers, au moins trois hommes ont tenté de s'introduire dans la résidence médicalisée de Zéralda, sur le littoral à l'ouest d'Alger, où le président de la République a élu domicile depuis sa longue hospitalisation à Paris début 2014. Repérés par les membres de la garde présidentielle, qui ont fait usage de leurs armes, les assaillants se replient dans la forêt voisine. Que s'est-il passé ? Etait-ce une tentative d'attentat contre la personne du président ? Selon plusieurs sources, le rapport remis au chef de l'Etat évoque « une intrusion, sans trace de douilles ». Aussitôt, plusieurs proches de Bouteflika sont appelés à faire valoir leur droit à la retraite : le chef de la garde républicaine, le directeur général de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP), qui relève directement du DRS. Enfin, le chef de la direction de la Sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage), le général Ali Bendaoud, pourtant proche et zélé serviteur du président est remercié et mis à la retraite d'office sans explication. Cet épisode a été peu commenté à Alger, où il est toujours difficile d'obtenir ou de vérifier des informations. Au-delà de la dimension sécuritaire, cet incident révèle les tensions et les luttes internes au sérail. La succession en ligne de mire Affaibli par la maladie, Bouteflika n'a pas perdu son sang-froid ni son sens aigu des rapports de force. Patiemment et progressivement, il a repris en main les principales manettes du pouvoir réel et placé des fidèles aux postes stratégiques. Dans ce jeu d'ombre, c'est la succession que le président et son entourage préparent et qu'ils veulent contrôler de bout en bout. La chute des revenus tirés de la vente des hydrocarbures sur le marché mondial, inquiète le régime, qui craint les réactions d'une population dont la détérioration des conditions de vie ne cesse de s'accentuer. Pour ne pas avoir envisagé de réformer le système de gouvernance qui régit l'Algérie depuis 1965, date du coup d'Etat de Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika pourrait bien être confronté à un trou noir politique et social. Le contrat sur lequel fonctionne le pays depuis plusieurs décennies a été rompu. Les différentes alliances nouées pour préserver le régime et assurer la redistribution selon des critères très précis ont volé en éclat : alliance civilo-militaire, pouvoir discursif des légitimités, capacité du régime à garantir la sécurité et redistribuer la rente. Cet équilibre ne fonctionne plus. l'Algérie est confrontée à de multiples défis qu'elle ne parvient pas à gérer et dont elle n'a pas anticipés les conséquences. Le mode de fonctionnement hérité de la guerre froide a atteint ses limites, et il ne semble pas pouvoir survivre à l'actuel chef de l'Etat. Dans ce contexte, quel peut-être l'évolution d'un pays central pour la stabilité de la région ? Résilience ? L'irruption au Maghreb de Daech permet au régime de réaménager l'autoritarisme et de grignoter des espaces de démocratie. Face au terrorisme, la sécurité a supplanté les débats, chacun doit se déterminer par rapport à ce facteur dont on ne veut pas faire un acteur. La diabolisation des terroristes de Daech est prétexte pour faire tomber tous ceux qui tentent de porter un projet alternatif. Plus de place pour les processus ou l'idée d'une transition par la négociation. Rien ne permet, à ce jour, d'entrevoir une volonté de résilience du régime. Bien au contraire, la situation sécuritaire à ses frontières le renforce dans l'idée de « tenir bon », un choix plus ou moins encouragé par ses partenaires européens et américains. D'autant que les nouvelles élites économiques ou politiques font pression pour maintenir le statu quo et gagner du temps pour poursuivre leur enrichissement. Dans le cas de l'Algérie, les nouvelles alliances se tissent à l'extérieur du pays. Habile politicien, diplomate chevronné, Bouteflika comprend que la pérennité de son clan dépend en partie de sa capacité à donner des gages, notamment à la France, et des garanties quant aux intérêts de ses alliés, en échange d'une bienveillante « inattention » à la situation politique du pays. Certains à Alger n'hésitent pas à affirmer que la reprise en main de l'appareil sécuritaire a été longuement préparée durant la convalescence parisienne du président de la République. Voire en concertation avec certains cercles influents de l'appareil d'Etat français. Quoi qu'il en soit, les faits sont têtus : malgré un pouvoir renforcé et un soutien occidental sans faille, le régime est de plus en plus contesté en interne, les revendications sociales sont en hausse et les capacités financières en baisse limitent les champs d'action pour contenir la grogne. Face à ces multiples crises et à l'autisme du pouvoir, les conséquences à court terme pourraient conduire à un affrontement à l'intérieur du sérail. Cette hypothèse ne garantit en aucun cas la stabilité de l'Algérie, au contraire, elle apporte plus de confusion et moins de légitimité à ceux qui pourraient prendre les rênes du pays sans passer par les urnes.