De gauche à droite : Ahmed Francis, Benyoucef Benkhedda, Ferhat Abbas, Lakhdar Bentobbal et Ahmed Taoufik El Madani Garden-City, vendredi 19 septembre 1958. Forte agitation à l'intérieur de l'immeuble de cinq étages de la rue Mudiriet-et-Tahri, dans ce quartier huppé du Caire. Des membres du Comité de coordination et d'exécution (CCE) et du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), des militants du FLN-ALN, quelques émissaires du gouvernement du président égyptien Gamal Abdel-Nasser, ainsi que ses redoutables Moukhabarate, des représentants des pays «frères», mais aussi beaucoup de journalistes. Ces derniers étaient conviés à une conférence pour l'annonce d'un événement important. Silhouette longiligne, le geste ample, M'hamed Yazid, penché sur sa feuille tenue négligemment, annonce la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Désormais désigné ministre de l'Information et accessoirement porte-parole, celui qui a fait ses armes aux Etats-Unis présente ses collègues qui sont dans la salle de conférences — l'ORTF immortalisera le moment en diffusant un reportage dans son JT de 20h, le lendemain. Se tenant à sa gauche, Ferhat Abbas, le regard résolu, annonce les objectifs de son gouvernement entré en fonction le jour même à 13h, «au 1416e jour de la Révolution». Le GPRA créé en exil est un projet qui est débattu depuis au moins l'année 1957 : rapport d'Aït Ahmed au CCE, différentes commissions présidées, entre autres par Amar Ouamrane, membre du CCE, exclu par ses pairs dans le nouvel Exécutif. Au final, la création de ce gouvernement de l'Algérie combattante est intervenue en exécution des décisions prises par le CNRA lors de sa réunion du Caire (22-28 août 1958), au cours de laquelle le CCE fut chargé d'annoncer la création d'un gouvernement provisoire pour «parachever la mise en place des institutions de la Révolution». Le contexte d'alors s'y prêtait : l'ouverture à New York de la 13e session de l'Assemblée générale des Nations unies et l'annonce de la tenue du référendum du 28 septembre proposé par le gouvernement du général de Gaulle, de retour aux affaires. Le GPRA, présidé par Ferhat Abbas, se compose de dix ministres — Krim Belkacem, Mohamed Lamine Debaghine, Mahmoud Cherif, Lakhdar Bentobbal, Abdelhafid Boussouf, Abdelhamid Mehri, Ahmed Francis, M'hamed Yazid, Benyoucef Benkhedda, Ahmed Taoufik El Madani — auxquels s'ajoutent trois secrétaires d'Etat à l'intérieur de l'Algérie (Lamine Khène, très jeune membre et seul encore en vie, Omar Oussedik, Mostefa Stambouli) et les quatre «historiques» emprisonnés en France (Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat), désignés «ministres d'Etat». Pour l'historien Benjamin Stora, le premier GPRA (19 septembre 1958-18 janvier 1960) est un «savant dosage» entre les quatre formations phagocytées par le FLN : CRUA, MTLD, UDMA et les oulémas : «Pour la Présidence, l'unanimité est longue à se faire. Ferhat Abbas explique qu'il a, pour sa part, proposé Krim Belkacem ou Lamine Debaghine. Le premier eut contre lui Lakhdar Bentobbal et Abdelhafid Boussouf, les deux autres B, véritable poste de commandement de la Révolution algérienne, qui lui rétorquent : "Pour la bonne marche des affaires, il faut que nous soyons à égalité." Mahmoud Cherif est éliminé comme non représentatif et Amar Ouamrane surtout en raison de son précédent rapport. Lamine Debaghine se heurte à l'opposition des leaders emprisonnés. Ferhat Abbas est donc désigné, mais, semble-t-il, du bout des doigts et des lèvres.» Ferhat Abbas, lui-même, évoque l'épisode dans son livre L'Indépendance confisquée : «Je n'étais pas dupe des calculs des uns et des autres, et n'étais en tous cas pas à leur service, ni à celui du MTLD, mais bien au service exclusif de mon pays.» Reconnaissance internationale Pour l'historien et journaliste anglais Alistair Horne, au lieu du «maquisard militant» Krim, la présidence a été confiée au pharmacien de Sétif en raison surtout de son tempérament : «Francophone et francophile, personnalité suave et courtoise, parlant sur le ton de la douce raison du compromis même, Abbas était habile, voire quelque peu cynique : il apparaîtrait bientôt qu'il n'avait guère été choisi pour la façade.» La création du GPRA a été annoncée simultanément au Caire et à Tunis (par Krim Belkacem). Pour le sociologue et historien Abdelmadjid Merdaci, auteur du livre GPRA, un mandat historique (éditions du Champ libre), «cette double annonce porte en elle la complexité des enjeux qui marquent la formation du GPRA tant au plan région — compétition pour le leadership dans le monde arabe — qu'à l'intérieur même du Front avec les ambitions de pouvoir affichées par Krim Belkacem». Stora constate que «si le GPRA décide alors de s'installer à Tunis, c'est à la fois pour être plus près de la zone de combat et pour être en meilleure position qu'au Caire pour discuter avec la France. Et, aussi, pour s'émanciper d'une tutelle de Nasser perçue comme trop pesante». La Chine, l'Irak, le Liban, le Vietnam sont parmi les pays qui ont reconnu le GPRA — une trentaine, en sus des pays qui l'ont hébergé (Egypte, Tunisie et Maroc). Yves Courrière rappelle la réaction française : «Nous saurons, au lendemain du référendum, si l'Algérie entend être une province française…» (Jacques Soustelle). A partir de cette date, la route était balisée pour les négociations avec la France.