Abderahim Moussaouer, universitaire et militant politique (FFS). Joyeux ramadhan à un peuple, de jeûneurs ou de non-jeûneurs, peu importe, mais joyeux ramadhan, quand même. Que l'on s'adresse aux uns ou aux autres, le message passe, car le ramadan en Algérie est, en réalité, plus qu'un mois de jeûne. C'est une festivité, une tradition de retrouvailles nocturnes et d'ambiance –« à fleur de peau » pour beaucoup-. Les jeûneurs et les non-jeûneurs (souvent tabassés et arrêtés par les autorités autoritaires) se retrouvent ensemble, à table, à l'heure de l'Iftar, avant que les hommes ne regagnent leur monde extérieur (moustache patriarcale oblige) et les femmes se retrouvent entre filles pour parler, la plupart de temps, et ce depuis un an, des rassemblements et des marches du mardi et du vendredi. Bonne santé à un peuple sur le chemin de son destin, avec détermination et esprit de consensus, depuis février 2019. Plus d'un an de Révolution du Sourire ou de Hirak, une appellation partagée de tou(te)s. Joyeux ramadhan à cette Révolution qui se traduit par une renaissance de la nation algérienne menée par un éveil de conscience politique et publique d'un peuple, longtemps opprimé, réprimé et malmené. Un peuple ayant subi cinquante-huit ans de marasme multidimensionnel, d'injustices, de bureaucratie, de violence morale, physique et psychologique, de viol, de vol et de fraude électorale ; ces Algérien(ne)s qui ont vu leur indépendance confisquée, leur citoyenneté mutilée et leurs droits bafoués. Bonne santé à ce peuple (des miracles, à part, spécial, fier…comme il aime s'auto-décrire) qui a retrouvé ou (re)découvert le goût de la liberté. Ce peuple qui, depuis plusieurs mois, vit et respire la politique dans les rues, les cafés, les trottoirs et les murs. Lui qui s'exprime massivement, invente des slogans plus politiques que les « boulitiques » défaillants et proclame sa volonté de fonder une démocratie telle qu'il la souhaite, c'est-à-dire une démocratie où les uns et les autres se côtoient et vivent la justice sociale et l'égalité malgré les différences ethniques, culturelles, linguistiques, régionales…et culinaires. Joyeux ramadhan à ce peuple qui, à aucun moment depuis son soulèvement, n'a donné l'impression de reculer ou d'abandonner sa lutte ; un Hirak qui a prouvé, à travers son gherbal –« tamis »-, qu'il n'est en aucun cas l'objet d'une manipulation d'un clan ou d'une personne. Au contraire, ceux qui pensaient qu'il était mené seulement contre les Bouteflika se sont vite aperçu que les revendications vont au-delà des personnes et des réformes. Elles s'inscrivent dans un changement global, radical et pacifique du système. Elles consistent en la fondation d'un Etat de droit et social. Le changement dont il est question est celui qui se traduira par le départ définitif du système en place, ses symboles et ses clientèles, ce qui est magistralement formulé dans Yetnehhaw gaɛ (ils partent tous). Une phrase qui signifie que le temps est celui d'un changement de système et non un changement dans le système. Bonne santé à ce peuple qui veut et qui a décidé de réhabiliter le politique ; qui est convaincu que ce dernier est une question de responsabilité et de fidélité ; le moyen le plus noble de se mettre au service de sa société…et non un moyen d'adopter les pratiques et d'épouser les mentalités d'un régime formé dans l'esprit du parti unique et de la pensée unique. À force d'imposer le mot unique, on rentre dans le despotique et le dictatorial. Joyeux ramadhan à ce peuple qui a imposé la Silmiya, « pacifisme » actif, comme philosophie conductrice et âme protectrice du Hirak, face un régime répressif né dans la violence et qui s'est toujours nourri de la violence. Cette silmiya, chèrement acquise et largement apprise, lui a appris à rejeter la violence sous toutes ses formes, à repousser les provocations et les intimidations et à déjouer toutes manœuvres malencontreuses du régime. Bonne santé à ce peuple qui, depuis plus d'un an, nous a appris que le mot révolution n'est pas nécessairement synonyme de violence ou d'effusion de sang. La révolution, qui donnera naissance à la véritable nouvelle Algérie, est aussi un soulèvement pacifique, serein et constant qui se nourrit de passion, de sourires, de rires, de slogans, de pancartes, de chansons, de musique, de détermination, de persévérance, d'humour et d'amour. Malgré les atrocités et les violences qui lui ont longuement été infligées, cette génération, de « sept à quatre-vingt-dix-sept ans », ne jure que par une Révolution qui continuera de sourire. Joyeux ramadhan à cette société où, plus que jamais, les Algérien(ne)s se reconnaissent entre eux/elles. Déchiré, séparé et divisé, par le régime, depuis l'indépendance du pays, le peuple retrouve progressivement son unité dans ses diversités, sa solidarité dans ses différences et sa fraternité dans ses composantes sociales et culturelles. Bonne santé à ces femmes et hommes qui ont réussi à instaurer une mixité des genres ; à ces jeunes et moins jeunes qui ont embelli leur révolution avec une mixité générationnelle ; à ces chômeurs, travailleur(euse)s, ouvrier(ère)s, étudiant(e)s, enseignant(e)s, chercheur(euse)s, médecins, infirmier(ère)s, ingénieurs, fonctionnaires, avocat(e)s, architectes, artistes, acteur(trice)s, chanteur(euse)s…qui ont donné de belles images d'une mixité sociale. À ces citoyen(ne)s des quatre coins du pays, Kabyles, Arabes, Chaouis, Targuis, Mozabites, Naylis, Charqis, Gharbis…qui donnent au mot solidarité son plein sens. Nous assistons souvent à un extraordinaire élan de solidarité : hébergement ; denrées alimentaires et repas du Hirak ; soutien aux détenu(e)s politiques et d'opinion et cagnottes en faveur de leurs familles ; des avocat(e)s qui se portent volontaires pour défendre les militants politiques et les activistes arbitrairement arrêtés. À ces citoyens qui conjuguent parfaitement la notion d'unité : une réconciliation avec l'histoire et l'identité, pimentée de reconnaissance, de respect et de fierté. Joyeux ramadhan à ce peuple qui a su mettre en pratique l'un des éléments acquis durant un an d'éveil, d'inventivité et de créativité : le sens de responsabilité. Face à la pandémie, liée à la propagation du coronavirus, qui menace tous les pays du monde même les plus puissants, les Algérien(ne)s suspendent momentanément leurs marches et leurs rassemblements. Un arrêt qui n'exclut pas d'autres initiatives, sous différentes formes, comme les directs sur les réseaux sociaux, le partage de vidéos et d'images, des campagnes de sensibilisation…pour maintenir la flamme du Hirak. Enfin, bonne santé à ces algérien(ne)s qui s'auto-organisent et mènent un travail de sensibilisation. En l'absence flagrante des structures sanitaires et des moyens élémentaires pour faire face à la propagation du covid-19, ils ne semblent pas compter sur les autorités qui agissent dans la négligence et le mensonge. Avec la désinfection des lieux publics, la distribution de denrées alimentaires aux familles nécessiteuses, l'organisation des caravanes de solidarité, l'accueil des sans-abri, le don de matériels médicaux, la fabrication de respirateurs artificiels, la confection des masques à grande échelle…à travers des initiatives collectives ou associatives, la génération du Hirak se mobilise face à la crise sanitaire actuelle.