A propos de « Problématique Algérie » de M.C. Mesbah Lahouari Addi, Le Quotidien d'Oran, 5 octobre 2009 Mohamed Chafik Mesbah a enfin publié son livre, depuis longtemps annoncé, portant le titre « Problématique Algérie ». L'auteur est connu du public pour intervenir dans la presse nationale et développer des opinions présentées comme résultats de recherche, se proclamant lui-même « intellectuel organique ». Il fonde sa légitimité sur une double casquette, celle d'un officier supérieur du DRS à la retraite, connaissant par conséquent le « système » de l'intérieur, et d'un universitaire rompu aux sciences sociales pour avoir étudié à l'Université d'Alger et à l'Université Paris I Sorbonne. Pour cette double raison, le lecteur est tenté de lire cet ouvrage de 542 pages pour comprendre enfin les arcanes du « système » dont l'opacité n'est pas la seule caractéristique. Le livre n'est cependant pas écrit comme un essai autour d'une hypothèse. Il n'est pas non plus une œuvre universitaire obéissant aux canons académiques, construite par les concepts analytiques de sciences sociales. La table des matières indique qu'il est composé de différents textes, écrits à des périodes différentes et surtout pour des publics différents. Cette collection de textes est introduite par un avant-propos d'une soixantaine de pages où le lecteur apprend plus sur l'attachement affectif de l'auteur à l'Algérie que sur l'Algérie. Viennent ensuite quatre études, écrites quand M. C. Mesbah était en fonction, et puis des articles et entretiens fleuves parus dans la presse nationale. Les cent dernières pages sont consacrées à des correspondances portant sur « la critique de la francophonie », la liberté d'expression suite à un article paru dans El Watan et que l'auteur avait trouvé diffamatoire à son égard. D'autres lettres y sont jointes, notamment celle adressée à Isaad Bouokba au sujet de Abbane Ramdane, une autre à Abdellatif Benachenhou, ministre de finances, une autre encore à Alassane Outtara, ancien Premier ministre de Côte d'Ivoire, une communication à un colloque sur le colonel Lotfi. Un épilogue de 70 pages, sous forme d'entretien (!) ferme le livre. Que dit M.C. Mesbah en 542 pages ? Que retire le lecteur de cet ouvrage inutilement long ? Rien sur l'Algérie et sur son Etat, mais beaucoup sur l'auteur, déchiré entre sa fidélité au « système » et ses conseils pour l'améliorer. Non seulement cette contribution n'apporte aucune information aux chercheurs de science politique sur le fonctionnement du DRS et son articulation à l'Etat, mais tout le discours consiste à brouiller l'analyse et à présenter l'armée, et son avant-garde le DRS, comme une institution neutre dans le jeu politique. Celui-ci serait dominé par trois courants : les nationalistes (FLN et RND), les islamistes (MSP et Islah) et les démocrates (principalement le FFS). Les nationalistes, selon M.C. Mesbah, sont les héritiers directs du 1er Novembre 1954. (Autrement dit, M. Saïdani, qui a détourné 3000 milliards de dinars selon El Khabar, serait l'héritier direct de Larbi Ben M'hidi ! Les décideurs impliqués dans l'affaire Khalifa seraient les héritiers de Hamou Boutlélis !) Les islamistes expriment la profondeur culturelle de la société algérienne mais ils auraient succombé à la « pathologie de la violence » ! Quant aux démocrates, ils sont minoritaires et leur discours est importé de France ! Le dessein de M. C. Mesbah est clair : montrer que l'armée n'exerce pas le pouvoir et elle ne fait qu'entériner le rapport de force construit par les nationalistes, principalement les militants du FLN et du RND. Voyons tout cela avec plus de détail. Un discours affectif et contradictoire Le livre s'ouvre par un avant-propos à contenu biographique où se dessine la rencontre du jeune M. C. Mesbah, pétri d'idéologie nationaliste, avec l'armée. « Dans mon esprit, écrit-il, mon engagement au sein de l'ANP, allait me permettre de participer de manière plus concrète à l'édification de l'Etat national que nous évoquions à l'université avec la possibilité, cette fois, de peser de l'intérieur même du processus de décision » (p. 44). Un rêve auquel croyaient de nombreux jeunes et qui, pour Mesbah, se terminera par une démission et une blessure profonde suite à la phrase prononcée par un responsable militaire : « Mais qu'a fait donc pour l'Algérie le colonel Mesbah pour qu'il postule à cette formation [à Washington] ? » (p. 21). M. C. Mesbah s'était marié jeune avec l'armée et en a divorcé par chagrin 25 après parce qu'elle lui a refusé une faveur. Il continue cependant à lui trouver des traits fascinants, malgré des reproches bénins. L'auteur se dévoile comme une âme déchirée entre une vision idéalisée de l'armée, dont il aurait voulu renforcer le potentiel intellectuel, et la réalité faite de déceptions. « Autant [mon responsable hiérarchique] pouvait accepter que je sois intellectuel hors chaîne hiérarchique, autant il refusait que je m'en prévale dans mes rapports à cette même chaîne » (p. 57). Le dépit le dispute au fantasme, tant l'auteur n'arrive pas à se détacher affectivement de son objet de réflexion, l'armée ; d'où les déchirements et les contradictions où il défend une position et son contraire. Il a par exemple du respect pour Abdelhamid Mehri – qui a accepté de préfacer le livre – pour sa perspicacité et son sens de l'histoire, mais il n'est pas d'accord avec ses choix politiques après janvier 1992, et particulièrement sa participation au contrat de Rome. Il considère que le FFS est un parti d'opposition qui réunit des cadres de valeur et qui milite pour une Algérie moderne, mais il ne partage pas la stratégie de sa direction. Le discours de M. C. Mesbah est ainsi contradictoire avec cependant un attachement affectif au système qui, pour lui, n'a pas encore produit tous ses effets bénéfiques pour le pays. C'est pourquoi il sera difficile de débattre avec lui. Il soutient inconditionnellement le régime et se sent en même temps proche, sous conditions, de l'opposition. En somme, il aurait souhaité que le FFS et les personnalités nationales crédibles comme Mehri, Ali Yahya Abdennour… soutiennent le régime tout en restant eux-mêmes ! En langage populaire, on dit : « haji oua fek ». « Je plaide, naturellement, pour une mission qui consiste, pour les services de renseignement, à protéger la société et non la contrôler… » (p. 61). Le choix des mots n'est pas innocent et révèle plus sur l'intention de l'auteur. Protéger la société (contre elle-même, contre les idées importées ?…) justifie que l'armée exerce une tutelle sur le champ politique. Il ne s'agit pas de contrôler, il s'agit seulement de protéger. Le problème est de savoir qui protègera le DRS contre la tentation, somme toute humaine, de l'abus de pouvoir ? En Occident, la solution a été trouvée : l'alternance électorale, l'indépendance de la justice et la liberté d'expression. Mais pour M. C. Mesbah ces valeurs ne font pas partie du consensus minimal autour du projet nationaliste porté par l'armée. Tout au long du livre, l'auteur confond analyse des faits et point de vue personnel. Il n'y a aucune mise en perspective théorique pour construire l'objet comme le font les chercheurs en sciences sociales. M. C. Mesbah parle indéfiniment avec le langage du sens commun qu'il confond avec celui de l'analyse. Le lecteur s'attend à ce que lesdites quatre études (« les scénarios d'évolution de la crise politique en Algérie », « le point de vue américain sur l'état de la crise algérienne », la position française vis-à-vis de la crise algérienne et enfin « « la réflexion préliminaire à propos des incidences des programmes d'ajustement structurel sur le niveau des dépenses militaires ») soient menées avec la rigueur théorique que le mot étude annonce. De la théorie, il n'y a en a point, mais de l'opinion personnelle, il y en a à profusion. Analyse de chercheur ou point de vue d'acteur ? La première étude a été écrite à une période où l'auteur avait une fonction à la présidence auprès de Liamine Zéroual qui cherchait une sortie de crise tout en ménageant ses collègues de la hiérarchie militaire. L. Zéroual était convaincu que l'époque où l'armée joue un rôle souverain est révolu et qu'il est temps de passer la main à des civils d'une autre génération. Le texte écrit par M. C. Mesbah essaye de rationaliser cette perspective, tout en donnant des gages aux militaires à qui il est reproché cependant de ne pas « proposer le projet national qui servirait de pôle de rassemblement patriotique » (p.89). Déchiré entre deux positions inconciliables, M. C. Mesbah souhaite le retrait de l'armée du champ politique tout en justifiant la main mise sur l'Etat par la hiérarchie militaire. « Les exemples pourtant foisonnent de par le monde, à commencer par celui des Etats-Unis et des pays européens de vieille civilisation où, en période de crise majeure, les armées nationales ont toujours fait irruption sur la scène politique » (p. 89). Ce que ne dit pas l'auteur, c'est que l'armée n'a pas seulement fait irruption sur la scène politique ; elle ne l'a jamais quittée depuis l'indépendance, ou plutôt depuis l'assassinat de Abane Ramdane en 1957. Pour M. C. Mesbah, l'armée n'est sortie de sa réserve qu'en janvier 1992, ne se rendant pas compte de l'incohérence de son point de vue : « … contrairement aux idées reçues, l'armée n'avait été associée à la gestion politique ni par le président Boumédiène ni par le président Chadli » (p. 89), oubliant que ces deux colonels n'étaient pas des chefs de parti mais des militaires qui se sont appuyés sur l'armée pour accéder au pouvoir et pour l'exercer. C'est l'armée qui a désigné à la fonction suprême Chadli Benjedid, Mohamed Boudiaf, Liamine Zéroual et Abdelaziz Bouteflika. M. C. Mesbah passe sous silence cette particularité que le président algérien, après Boumédiène, n'a aucun pouvoir : du temps de Chadli, c'était le général Larbi Belkheir qui dirigeait la présidence ; Boudiaf a été assassiné ; Liamine Zéroual a démissionné parce qu'il a été empêché dans l'exercice de ses fonctions, et enfin Bouteflika bat le record de longétivité à cette fonction parce qu'il a renoncé à toute autorité de président. La dernière empoigne entre le chef de la police nationale, Ali Tounsi, et le ministre de l'intérieur montre à l'évidence que la police ne dépend pas du gouvernement ni du président. Il y a toute une propagande qui veut faire croire que Bouteflika a du pouvoir pour lui faire endosser la responsabilité de la paralysie de l'administration gouvernementale. Et pourtant, c'est un fait que Bouteflika n'a pas pris une seule décision en dix ans. Avec lui, l'histoire politique du pays s'est arrêtée à 1999. Depuis le début de son mandat, il essaye désespérément de placer ses hommes à la tête des services de sécurité de l'armée sans y arriver. Tout cela, M. C. Mesbah ne le voit pas, ou au contraire, essaye de le cacher dans de la phraséologie de type : « Il n'y a pas de doute cependant que les forces armées gagneraient à reprendre l'initiative plutôt que de subir le cours des choses, en proposant le projet national consensuel le mieux adapté aux intérêts nationaux et de le négocier avec les partenaires politiques et sociaux » ( p. 90). Le mot consensus revient souvent tout au long de l'ouvrage, et il est à se demander s'il peut y avoir un consensus sur l'impunité de dirigeants impliqués dans les atteintes à l'économie nationale (affaire Khalifa, par exemple, et ce n'est pas la seule) ou sur la répression des syndicalistes ou sur le trucage des élections. En 542 pages, dans un ouvrage portant sur l'Algérie, M. C. Mesbah n'évoque aucun des problèmes auxquels est confrontée la société dans ses rapports à l'Etat : mauvaise gestion du pays, économie inefficiente, bureaucratie, corruption, hogra, crise du logement, émeutes récurrentes, harga des jeunes désespérés… M. C. Mesbah est loin de cette Algérie qui souffre et qu'il noie dans la langue de bois des années 1970. Sa pensée est dominée par une vision enchantée qu'il cherche à traduire dans un langage universitaire où les mots concepts et méthodologie sont abondamment utilisés alors que ce dont il parle n'est pas conceptualisé et encore moins soumis à une méthodologie constatable. Par exemple page 92-93, il évoque des possibilités de la sortie de crise en envisageant trois scénarios : 1. L'armée prend directement le pouvoir et gère l'Etat ; 2. Un consensus minimal consistant à rassembler autour du « pouvoir » une large partie du courant démocratique ; 3. Une alternative de consensus maximal qui intègrerait l'ex-fis dans la gestion de l'Etat. Deux remarques méthodologiques s'imposent à cette vue de l'esprit. Premièrement, M. C. Mesbah pose le caractère souverain de l'armée comme un postulat et qu'il appartient à la société de s'y adapter. Ce n'est pas au pouvoir de s'ajuster à la société ; c'est à la société de le faire. Cette posture indique que, chez l'auteur, le pouvoir n'est pas pensé comme une réalité sociologique ou anthropologique à analyser avec les outils conceptuels de la sociologie politique. C'est plutôt un attribut naturel de l'armée ayant le monopole du nationalisme. L'armée serait cet îlot de nationalistes entouré de civils prêts à trahir la patrie, oubliant que cette armée a été créée par des civils (Boudiaf, Aït Ahmed, Ben Bella…) qui la concevaient comme un instrument pour atteindre un objectif politique. Il oublie que l'ALN a été une armée révolutionnaire qui voulait détruire l'ordre colonial et que l'ANP est une armée classique dont la mission est de maintenir l'ordre dans une régime qui ne veut pas changer. Contrairement à toute attente, M. C. Mesbah ne recourt pas à l'histoire du mouvement national ; à l'exception de quelques passages lyriques sur certaines figures du FLN historique (A. Bouda, A. Ramdane, Colonel Lotfi…), son discours n'a aucune profondeur historique, en dehors de quelques évocations passagères. Il n'y a nulle part une réflexion sur les fondements culturels et sociologiques du nationalisme algérien, ni une tentative d'explication de la crise en référence au passé. C'est ainsi qu'il conclut que « le terrorisme est désormais une donnée durable qu'il faudra gérer dans le temps » (p. 99). Pour lui, il n'y a pas de lien de causalité entre le « terrorisme islamiste » et l'échec des politiques économiques et sociales du régime. Le terrorisme est, comme le pouvoir, une donnée structurelle ; mais à la différence du pouvoir, il est une déformation « pathologique » de la société algérienne. Il n'y a aucune réflexion sur le lien entre nationalisme et islam, ni sur les évolutions possibles de l'islam des oulémas vers l'islamisme. L'auteur clôt cette question en recourant à un argument organiciste qu'un étudiant de sociologie de première année rejetterait : « la violence islamiste est une pathologie ». C'est-à-dire que le corps social algérien est malade. Il relèverait de la médecine et non de la sociologie. Le reste des pages de l'étude est consacrée à des scénarios irréalistes de gouvernement d'union nationale où sont pêle-mêle évoqués les noms de Taleb-Ibrahimi, Bouteflika, Aït-Ahmed, Hachani, Saïd Sadi… Le débat universitaire dévoyé L'autre étude porte sur « le point de vue américain sur l'état de la crise algérienne et ses perspectives de dénouement ». Le lecteur s'attend à des informations et analyses documentées sur la perception américaine de l'Algérie. Rien de tel. Tout le texte est constitué par ce que pense M. C. Mesbah être les positions des universitaires américains sur l'Algérie. « La présente note, écrit l'auteur, constitue une synthèse condensée d'informations relatives aux analyses américaines sur la crise algérienne… » (p. 139). Trois types de milieux ont été consultés : le monde de la décision (Département d'Etat, Pentagone…), les centres d'analyse dits think tanks (Brooklyn Institute et Rand Corporation) et enfin les universités de Harvard, Princeton, Chicago et Austin. « Le voyage d'études effectué aux USA répondait à la préoccupation de connaître l'approche américaine en ce qui concerne l'islamisme d'une part et les réformes économiques d'autre part » (p. 140). Le contenu de cette dite étude est tout simplement ahurissant, et le mot n'est pas fort. M. C. Mesbah expose que, dans le monde universitaire américain, il y a deux courants d'analyse. « L'un, comprenant W. Zartman, une équipe de l'université de Princeton et un groupe de chercheurs établis à Austin, Texas, … prévoient à terme une implosion de l'Algérie sous le poids de ses propres contradictions et les rigueurs de la mondialisation » (p. 144-145). A l'exception de celui de Zartman – qui est professeur à Johns Hopkins University et non à Princeton – aucun nom n'est cité. Aucun titre d'article, aucun ouvrage n'est donné en référence pour permettre au lecteur de se reporter à ce qui est écrit. Le deuxième courant d'analyse « développe des thèses nuancées, plus proches de la réalité et où la dimension historique est privilégiée ainsi que l'information de base nettement plus fiable » (p. 147). Là encore aucune référence, aucun renvoi à un article ou livre, conférence, colloque… M. C. Mesbah inclut la Rand Corporation dans ce courant, mais il lui a échappé que ce think tank a publié une étude en 1993 menée par Graham Fuller qui prédisait que l'Algérie sera le futur Etat islamiste. M. C. Mesbah n'en a jamais entendu parler alors que c'était le livre que discutaient les universitaires américains intéressés à l'Algérie, qu'ils aient été pour ou contre l'annulation des élections de décembre 1991. Suivent aussi des affirmations prêtées aux Américains, sans référence évidemment : « Il faut préciser, pour les Américains, la classe politique algérienne est en gestation. Si, en tant que telle, elle prenait l'Algérie en otage (sic), les risques d'explosion seraient énormes » (p. 158). Ou encore : « Les chercheurs américains considèrent que la société algérienne est une société non pas orientale mais occidentale… » (p. 159). Mais le summum est atteint quand M. C. Mesbah, qui se considère comme un universitaire, écrit : « Quelqu'un aux USA a dit : ‘au lieu de faire des pommes de terre, vous faites des enfants ; vous avez ainsi créé un peuple en l'espace de quelques années' » (p. 161). Qui est ce quelqu'un, le lecteur ne le saura pas. Le débat universitaire est ramené à « quelqu'un a dit qu'il y a un universitaire américain qui a dit… ». Et le lecteur ne saura pas aussi si certaines des affirmations sont de l'auteur ou des Américains. « L'élection présidentielle (novembre 1995) a constitué un référendum qui a opposé islamisme et armée, et la population a voté beaucoup plus pour l'armée que pour un candidat » (p. 165). Ou encore : « Les élections du 16 novembre 1995 ont montré, pourtant, que l'arrêt [des élections de décembre 1991] a fini par obtenir l'adhésion d'une large majorité d'Algériens qui ont voté, pour l'essentiel, en faveur de l'option défendue par l'institution militaire » (p. 149). L'analyse universitaire a ses règles, ses méthodes et ses exigences qui lui assurent une rigueur pour permettre le débat scientifique et l'accumulation des connaissances. Le discours de M. C. Mesbah est très loin des exigences minimales académiques. La France : une obsession néo-coloniale L'autre étude est consacrée à « la position française vis-à-vis de la crise algérienne : évolution et stabilisation ». Elle souligne que la France officielle était partagée sur la question de l'annulation des élections en janvier 1992. Répétant des généralités et des spéculations sans fondement, l'auteur n'apporte rien de concret et ne se fonde sur aucun document ni interview de personnalités. Des affirmations gratuites sont avancées du type : « L'opinion publique française a été surprise, en effet, que le président Chirac ait eu un comportement puéril face à la gestion de la question algérienne, enjeu important s'il en fut, pour la place de la France dans le monde. Il en a résulté une perte de confiance certaine vis-à-vis de la compétence et de la capacité diplomatiques du Chef de l'Etat français dont l'image publique a été perturbée » (p. 185). Ahurissant ! En somme, la place de la France dans le monde dépendrait de ses rapports avec l'Algérie. Mais plus grave encore, l'auteur développe l'idée que l'influence de la France sur le champ politique s'exerce « au niveau des partis et associations de la mouvance démocratique, dont la formation et l'inspiration plutôt francophones, les rendent plus enclins à défendre des idées ou des thèmes, en apparence, porteurs de plus de démocratie – dissolution et réorganisation des services de sécurité, abrogation du code de la famille, parité amazighité-arabité … – mais qui en pratique sont les plus susceptibles de déstabiliser le courant nationaliste et son projet national de distanciation par rapport à la France… » (p. 197). Cela veut dire explicitement que, pour l'auteur, la revendication de la démocratie, de l'Etat de droit et de la modernisation des institutions fait partie d'un plan ourdi par la France « qui pourrait être tentée de susciter dans le champ politique national des mots d'ordre exigeant la restructuration immédiate des services de sécurité au motif de les adapter à la phase démocratique que vit le pays dans le but, plus plausible, de les paralyser » (p. 198). Pour l'auteur, revendiquer le retrait du DRS du champ politique reviendrait à servir les intérêts de la France ! Ce discours idéologique, gros comme le Djurdjura, les Aurès et le Dahra réunis, consiste à justifier l'immobilisme d'un régime sans perspectives, tout en cherchant à discréditer toute tentative de changement, qu'elle provienne de l'intérieur du système ou de la société. Mais en bon dialecticien, M. C. Mesbah trouve néanmoins « ridicule de songer à geler, au motif de la volonté d'intrusion française au niveau des institutions de l'Etat, le processus de modernisation de nos forces armées et de nos forces de sécurité » (p. 208). Il ajoute que cela « conforterait la thèse française qui énonce que le pouvoir en Algérie est l'émanation d'une nomenklatura militaire réfractaire au changement » (p. 208-209). En somme, pour l'auteur, moderniser les institutions, c'est faire le jeu de la France qui voudrait affaiblir le pays ; ne pas les moderniser, c'est aussi faire le jeu de la France. Le problème kafkaïen pour M. C. Mesbah, et pour les décideurs dont il est probablement représentatif, c'est comment rester immobiles ou avancer sans faire le jeu de la France. A quand la décolonisation des esprits ? En conclusion, la lecture de cet ouvrage m'a convaincu que M. C. Mesbah aime l'Algérie, et une de ses composantes l'armée, mais il ne sait pas qu'il y a des façons d'aimer qui bloquent l'analyse scientifique et, plus grave encore, l'avenir des générations futures.