Depuis des années, nous ne cessons d'annoncer dans ces colonnes que la situation financière de la CNR est inquiétante et qu'il est temps que les pouvoirs publics interviennent pour y remédier. Le ministre en charge de la Sécurité sociale et le directeur général de la CNR sont intervenus à ce sujet à quelques jours d'intervalle, mais sans rien proposer de concret... Jeudi 28 juin 2018. Mourad Zemali, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, aborde dans son discours la situation de la CNR lors de la cérémonie de clôture du programme de coopération Sud-Sud pour les pays d'Afrique dans les domaines du dialogue et la protection sociale. Lieu choisi : Ecole supérieure de la Sécurité sociale à Alger. Il commence par déclarer que le recouvrement, en 2017, par la Cnas des cotisations de sécurité sociale n'a augmenté que de 2%, ce qui, selon lui, est insignifiant, contredisant le directeur général de cette dernière qui, lui, affirmait, quelques jours auparavant, à Oran, triomphant, que l'année 2017 avait été exceptionnellement bonne en matière de collecte des cotisations. Qui dit vrai ? Toujours dans les propos du ministre : il prend pour cible les employeurs qui font dans la fraude sociale, ne déclarant pas leurs salariés ou pratiquant la sousdéclaration, donc versant beaucoup moins de cotisations. Mais le ministre s'abstient de donner des chiffres sur cette «hémorragie» sociale, non pas qu'il ne les connaît pas, mais parce que la situation est carrément désastreuse : nous sommes en face d'un véritable fléau que le gouvernement n'est toujours pas décidé à juguler. Ce qui n'empêche pas le ministre d'affirmer qu'il faut «préserver le système de sécurité sociale, notamment pour les générations futures». Là aussi, il n'évoque aucune solution pour ce faire. Mais il traite de la CNR, il rend publics, pour la première fois, des chiffres qui donnent une idée sur la gravité de la situation, allant même jusqu'à noircir volontairement le tableau, alors que les faits sont connus depuis au moins 2015, le ministre étant en poste depuis mai 2017 : il annonce un déficit financier pour la CNR de l'ordre de 50% ; si le gouvernement n'avait pas injecté 500 milliards de DA en 2018, la CNR n'aurait pu payer les 3 millions de retraités que de janvier à avril, soit seulement pendant 4 mois ( !) ; toujours selon le ministre, la CNR dépense chaque année 1200 milliards de DA, alors que les recettes dues aux cotisations qui lui reviennent dépassent à peine les 500 milliards de DA. Pourquoi le ministre ne donne ces chiffres que maintenant ? La réponse est dans son discours, affirmant que le système de sécurité sociale en Algérie est «généreux», le dispositif de retraite particulièrement, osant même comparer ce dernier à celui qui est en vigueur dans les pays européens, le retraité algérien percevant jusqu'à 80% de son salaire soumis à cotisation après 32 années de travail, alors qu'un Européen ne bénéficie que de 50% après 41 années d'exercice. Le ministre annonce-t-il des réformes impopulaires à venir ? Lundi 2 juillet 2018. La presse écrite a saisi les propos alarmants du ministre en charge des retraites pour rebondir à ce sujet et en faire même parfois sa une, titrant même sur la faillite de la CNR ! Les réseaux sociaux prennent le relais avec souvent des commentaires acerbes sur la politique sociale du gouvernement. Le déficit n'a fait que s'aggraver depuis 2013 Mardi 3 juillet 2018. Le directeur général de la CNR intervient sur les ondes de la radio Chaîne III. Un total de 3,2 millions de bénéficiaires des avantages de la retraite (entre les pensions et allocations directes et indirectes) sont enregistrés actuellement en Algérie. Et d'annoncer : «Les départs à la retraite pour l'exercice 2018 sont aux environs de 50 000, en baisse par rapport aux années 2015 et 2016 qui ont vu des départs entre 150 000 et 200 000 personnes». Il a expliqué que «la situation financière de la CNR, qui était très favorable dans les années 2010 et 2012, s'est dégradée, malheureusement, à partir de 2014 et 2015 pour atteindre un niveau assez important dans les années 2016, 2017 après le départ massif avant l'âge légal de plus d'un million de personnes». Pour remédier à cette situation, «de nombreuses dispositions ont été prises en faveur de la CNR, notamment par des apports effectués par les autres caisses de Sécurité sociale et puis récemment en 2018 par un apport de l'Etat assez important qui vient s'ajouter à un apport régulier qui se fait de la part de l'Etat et qui tourne autour de 15% des dépenses», explique-t-il. Pour rappel, le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale avait annoncé en mai dernier que la revalorisation des pensions de retraite pour l'année 2018 est maintenue et sera modulable avec des taux allant de 0,5 à 5%, en fonction du montant de la pension. L'incidence financière de cette revalorisation est de l'ordre de 22 milliards de DA, avait-il ajouté. Le gouvernement avait également inscrit 500 milliards de DA à verser à la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnas) pour lui rembourser une partie des montants qu'elle a prêtés à la Caisse nationale de retraite (CNR)». Le DG de la CNR a indiqué que «cet apport se fait aujourd'hui de manière conjoncturelle, il se pourrait qu'il soit reconduit si l'Etat reprendra cette décision dans la loi de finances 2019», mais entretemps, a-t-il dit, «il faudrait penser à mettre en place des mesures additionnelles tel que cela a été le cas pour la taxe sur les importations des produits revendus en l'état et dont nous verrons les retombées dans les jours qui viennent». «Il y a des réformes qui ont été réalisées à l'exemple du taux de 1% qui a été rajouté à la branche retraite en 2015 et qui a permis un apport de 30 milliards de DA supplémentaires annuellement», a-t-il relevé. «Pour 2010, la dépense en matière de retraite tournait autour de 350 milliards de DA, pour une recette de 370 milliards de DA, alors qu'en en 2012, grâce aux augmentations salariales de l'époque, la dépense n'atteignait pas les 600 milliards de DA pour une recette de 650 milliards de DA», a-t-il noté. Actuellement, les recettes de la caisse «tournent autour de 700 milliards de DA en droits contributifs et en aide de l'Etat et une dépense qui va dépasser à la fin 2018 les 1 200 milliards de DA», dit-il, estimant que «le déficit s'est accru nettement». Djilali Hadjadj