Depuis trois ans, les autorités publiques claironnent que les caisses de la Sécurité sociale sont au régime sec. Particulièrement affectée par la baisse des prix du pétrole, dont une partie des revenus lui était versée, la Caisse nationale des retraités (CNR) est dans un déficit chronique. Pour combler le déficit de la Caisse nationale des retraites, CNR, le gouvernement a mobilisé, dans la loi de finances 2018, 500 milliards de dinars. Une somme astronomique sans laquelle les 3 millions de retraités ne sont pas certains de percevoir leur pension chaque fin du mois. La somme ne concerne, en fait, même pas la moitié des dépenses de la CNR par an. Cette caisse des retraites a besoin, annuellement, de 1 200 milliards de dinars pour verser les pensions des 3 millions de retraités. D'où vient donc le déficit ? Si la Caisse nationale des retraites connaît un tel déficit, cela s'explique par l'absence, de plus en plus marquante, d'un nombre suffisant de cotisants. Car, en gros, la CNR tient ses revenus des sommes versées par les salariés à la Caisse nationale de sécurité sociale des salariés (Cnas), qui reverse à la Caisse des retraites près de 18% des sommes collectées (des charges sociales de 34,5% que paient les employeurs sur chaque employé). Selon les données fournies par la Cnas en 2017, cette somme a représenté près de 600 milliards de dinars. L'écart entre les besoins de la CNR et ses revenus est donc énorme. D'où l'intervention des autorités, qui couvrent le déficit par le biais du budget de l'Etat. Travail au noir et l'Etat, premiers bourreaux de la CNR Si la baisse des recettes de la CNR peut être expliquée en partie par la baisse des cotisations générées par l'excédent des recettes des hydrocarbures, d'autres raisons, plus objectives, sont derrière le recul des cotisations pour les retraités. Parmi les coupables, le travail au noir. Selon l'ONS, "au jour d'aujourd'hui il y aurait plus de 5 millions de salariés non déclarés à la Cnas, c'est dire le poids énorme du travail au noir et l'étendue de la fraude aux cotisations de Sécurité sociale", rappelle Djilali Hadjadj, journaliste spécialiste des questions de la Sécurité sociale. Notre interlocuteur rappelle que le manque à gagner, dû au travail au noir, est estimé de 400 à 500 milliards de dinars. C'est quasiment l'équivalent du déficit annuel de la caisse des retraites. Sur la liste des "coupables" de ne pas avoir transféré de l'argent à la Caisse nationale des retraites, se trouvent des organismes publics. Si quasiment tous les fonctionnaires sont déclarés à la Sécurité sociale et leurs cotisations payées à temps, l'Etat reste le premier "mauvais" payeur. Cela commence par des milliards de dinars de sommes induites par les entreprises dissoutes dans les années 1990. Les experts, dont Djilali Hadjadj, estiment ce manque à gagner à plus de 200 milliards de dinars. Lors de leur dissolution, pour notamment des raisons économiques, des dizaines d'entreprises publiques ont laissé des ardoises dans les caisses de Sécurité sociale. Les dettes doivent être payées par l'Etat. Mais depuis près de 20 ans, cette dette n'est pas honorée. Comme ne l'est pas celle de millions d'entreprises privées. "Sur les 350 000 employeurs affiliés à la Sécurité sociale, 52 000 accusent, durant l'année, des retards pour le paiement de leurs cotisations, dont près de 1 000 employeurs versent leurs cotisations avec 2 à 3 ans de retard, ce qui influe sur les trésoreries des caisses de la Sécurité sociale", avait déclaré, en 2015, Malek Hamdani, directeur général de la Caisse nationale de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale (CNRSS), aujourd'hui dissoute. Cela concerne, selon le même responsable, "dans la majorité des cas, des employeurs relevant du secteur économique public activant dans certaines branches comme le bâtiment et les transports ainsi que les fermes-pilotes du secteur agricole", estimant que cela est dû à "des difficultés financières". "Certains employeurs, notamment privés, ont des raisons objectives de ne pas payer les cotisations, estime Djilali Hadjadj. Il s'agit, dans bien des cas, d'entreprises qui ont réalisé des projets au profit de l'Etat et des collectivités qui n'ont pas été payées". À cela, il faut ajouter les milliers de fonctionnaires "pré-emploi" et ceux de l'Ansej dont le paiement des cotisations n'est pas à jour. Pour donner une image de l'ampleur de ces créances impayées, Djilali Hadjadj estime que pour chaque agence de wilaya de la Cnas, la somme à récupérer se situe globalement entre 50 et 200 milliards de centimes par an, selon le nombre d'assurés sociaux pour chaque agence. "Une mention particulière pour les agences d'Alger, d'Oran, de Constantine et d'Ouargla, où le montant des créances à recouvrer pour chacune d'elles tourne autour de 500 et 1 000 milliards de centimes", indique-t-il, citant des sources internes à la Cnas. Un vieux problème, des solutions absentes Si le Trésor public s'est souvent substitué aux cotisations sociales pour pérenniser le système des retraites, le problème remonte à plusieurs décennies. Les autorités reconnaissent, tant bien que mal, le phénomène de la fraude à la Sécurité sociale. C'est pour cela qu'en 2006, le gouvernement a créé une caisse spécialisée dans le recouvrement (CNRSS). Cet organisme, rattaché à la Cnas, devait se charger essentiellement d'immatriculer les travailleurs non salariés et de récupérer les sommes non recouvrées auprès des entreprises. Mais des années après, l'organisme est dissous en 2015. À cette période, les autorités avaient mis en place un mécanisme incitatif devant permettre aux entreprises de payer leurs cotisations tout en étant exonérées des pénalités. Une loi, publiée en juillet 2015, visait à renflouer les caisses des organismes de Sécurité sociale, "ce qui est une excellente chose", rappelle Djilali Hadjadj. Toutefois, "il est dommage qu'une opération aussi importante ait été lancée dans des délais aussi catastrophiques. L'ordonnance portant LFC 2015 est parue vers la fin du mois de juillet. Le contenu du Journal officiel a été porté à la connaissance du public à la mi-août (sur le site web du JO), en pleine période de congés. Ce n'est que vers le début du mois de septembre 2015 que l'opération a vraiment été lancée. Donc en fin de compte, cinq semaines ont été perdues, durant lesquelles l'opération aurait pu être plus rentable". Pour l'instant, les autorités continuent d'ignorer les problèmes de la Sécurité sociale. Pourtant, des solutions existent. Parmi lesquelles, des experts, dont Djilali Hadjadj, proposent un travail de moralisation au sein de la Cnas. "Il y a un problème de compétences et de qualité des ressources humaines à toutes les étapes et à tous les niveaux de cette opération complexe. Des mesures doivent être prises pour rectifier le tir", note-t-il, en référence notamment à des pratiques de corruption et de manque de sérieux de certains inspecteurs de la Sécurité sociale. Ali Boukhlef