Aujourd'hui, l'image c�l�br�e et m�me mythifi�e � � rebours � de Malek Haddad marque-t-elle la confusion entre deux d�marches, celle de l'�crivain et celle du militant et agent institutionnel de l'�re Boumediene ? Au-del� de rites de c�l�bration convenus, comment lire et projeter dans l'histoire un parcours dont la complexit� tient, non pas au seul v�cu, mais � une post�rit� plus politique que litt�raire ? 1. Une ind�finissable identit� Malek Haddad portera-t-il, comme des stigmates dans son itin�raire d'homme et d'�crivain, la souffrance d'appartenir au milieu d'instituteurs la�cs dans lequel il na�t � et grandit � dans l'aust�re ville de Constantine, le 5 juillet 1927 ? � l'�tat civil, ses parents auront le souci d'inscrire un second pr�nom fran�ais Aim�, expression d'un passage accompli dans la civilisation de l'Autre. On est � la veille de la c�l�bration du centenaire de la prise d'Alger, une p�riode cruciale de recomposition des profils sociopolitiques dans la soci�t� indig�ne. Le p�re de Malek Aim�, Slimane Haddad, est depuis longtemps un ma�tre d'�cole reconnu de Constantine, membre respect� de l'Association des citoyens fran�ais d'origine indig�ne du docteur Ta�eb Morsly et de l'Association des instituteurs alg�riens d'origine indig�ne dont il re�oit la charge de tr�sorier. Originaire de la Petite Kabylie m�ridionale, Slimane perd peu � peu � ce qui n'est pas le cas de bon nombre de ses coll�gues originaires de cette r�gion � son enracinement berb�re et dans sa famille on ne pratique pas le zwawa des a�eux. Dans le groupe d'instituteurs constantinois qui avait ses habitudes au caf� Gambrinus, rue Caraman, il est celui qui manifeste le moins d'enthousiasme � la lecture des Lettres alg�riennes (Paris, Jouve, 1931) de Hesnay-Lahmek. Ce texte inaugural de la revendication berb�re, pr�fac� par l'ancien gouverneur g�n�ral Maurice Viollette, propose-t-il une perspective neuve du rapport des Kabyles � l'histoire coloniale fran�aise ? Hesnay-Lahmek estime que les Berb�res civilis�s par Rome sont plus proches de l'Occident malgr� l'interm�de arabo-musulman. Ce propos offusque-t-il les Oul�mas et l'�tablissement culturel arabophone pour provoquer la col�re de Lamine Lamoudi dans L'Ikdam (15 septembre 1931) ? Sans doute l'instituteur de l'�cole Jules Ferry, � Sidi-Djellis, d�sapprouve comme ses amis cette position extr�me, car pour lui la seule v�rit� cardinale n'est ni � Rome ni � Ath�nes : elle est dans la R�publique fran�aise, la troisi�me du nom, r�v�r�e (Cf. Abdellali Merdaci : Un groupe d'acteurs culturels de l'entre-deuxguerres : Instituteurs alg�riens d'origine indig�ne, Constantine, M�dersa, 2007). Slimane Haddad est alors proche de Rabah Zenati, longtemps le z�lateur de l'id�e assimilationniste. Ils marquent une distance cauteleuse face aux conceptions politiques des partis indig�nes. La Voix des Humbles � la revue des instituteurs qu'ils animent � n'a-t-elle pas port� � son fronton ce credo : �Loin des partis, loin des dogmes� ? C'est bien leur alter ego Sa�d Faci qui relevait dans l'�ditorial du premier num�ro, sorti au mois de mai 1922, que �les partis et les dogmes engendrent les passions et les haines�. L'instituteur s'installe dans un confortable pavillon du faubourg Lamy dans un lotissement que la municipalit� conduite par l'inamovible maire �mile Morinaud avait conc�d� � contre toute attente � aux fonctionnaires de l'Instruction publique dans un quartier de tradition ouvri�re o� dominent les familles d'employ�s du Chemin de fer. Depuis longtemps naturalis� par choix personnel, tout dans son environnement est fran�ais, r�solument fran�ais, des mani�res de la table jusqu'au compagnonnage encens� des vieux boulomanes du Cercle d'El-Kantara dont les tournois m�morables, sous la premi�re arche du pont, scrupuleusement rapport�s dans les colonnes de La D�p�che de Constantine et de l'Est alg�rien de L�opold Morel, �taient rythm�s par un enjeu divin, la tonitruante tourn�e de pastis. Comme � Marseille et en Provence. C'est dans ce milieu qu'Aim� � plus que Malek � d�couvre le monde, a-t-il, assez t�t, le sentiment effarouch� des s�parations qui le traversent ? Plus tard, parlant de la m�dina de Constantine, il ne saura la nommer que dans le langage de l'enfance, celui des premi�res sensations, ressour�ant la �rue des Arabes�, � la fois proche et dissemblable. L'�colier m�ne une vie ais�e par rapport � ses camarades indig�nes de Lamy sup�rieur, qui n'en finissent pas � dans un temps colonial fig� � de courir les pieds nus dans les sentines enneig�es, comme le rapportera plus tard Hac�ne Saadi ( Voyage int�rieur autour d'une g�ographie archa�que du temps, A�n-Smara, Dar El Fadjr, 2009). L'enfant �tait plus proche dans sa scolarit� et dans ses jeux des fils de Fran�ais, employ�s communaux, ouvriers et petits fonctionnaires, retranch�s dans ce qui �tait alors � Constantine une p�riph�rie plus sociale que g�ographique. Plus tard, au lyc�e d'Aumale, surplombant le ravin du Rhumel, ouvert � quelques rares indig�nes, rejetons de ca�ds et de bachaghas de l'arri�re- pays, Aim� raffermit cette vision d�sesp�r�e d'un monde h�riss� de barri�res infrangibles. Est-ce � ce moment sensible de la crise pubertaire qu'il devient Malek, estompant peu � peu Aim� et une singularit� fran�aise g�nante (�Et je porte un pr�nom plus faux que mes fa�ons�, Cf. La longue marche, Le Malheur en danger, nouvelle �dition, Alger, Bouchene, 1988) ? Sursaut imp�tueux, presque une coquetterie d'adolescent, qui appellera des r�voltes mieux m�ries au moment o� les contradictions qui l'entourent deviennent plus perceptibles : la question linguistique d�doublant et majorant la question identitaire. � cette p�riode de mutation, son meilleur � et seul � camarade est Rolland Doukhan, un juif du ghetto, le Chara'a. Les deux lyc�ens communient, dans leurs interminables d�ambulations, boulevard de l'Ab�me, dans une litt�rature fran�aise � l'enseigne du XIXe si�cle, o� r�gnent les po�tes dont les �uvres sont ch�ries comme de doux br�viaires. Hugo, Lamartine, Baudelaire, Mallarm� sont honor�s comme des proph�tes d'un royaume de puret�. La Seconde Guerre mondiale h�te-t-elle une prise de conscience des injustices de la soci�t� coloniale et aussi des diff�rences pour les deux adolescents aux histoires presque unies ? Juif, assimil� par le d�cret Cr�mieux de 1870, Rolland Doukhan est d�chu de sa nationalit� fran�aise par les lois de l'�tat fran�ais de Vichy et accul� � une dure marginalit�. Dans un roman tardif Berechit (Paris, Deno�l, 1991), il surinvestit cette jud�it�, � la fois consacr�e et castratrice. Il croira en sortir, une premi�re fois, en ces ann�es 1940, en rejoignant le Parti communiste alg�rien. Refusant une francit� octroy�e, sorte de L�viathan dans la communaut� la�que de l'Association des instituteurs alg�riens d'origine indig�ne, n'ayant aucune lien avec une Kabylie l�gendaire oubli�e, ni Arabe ni musulman, Malek � comme son ami Rolland � sera toujours en qu�te d'une ind�finissable identit�. Il pensera, comme lui, la trouver et la m�riter au Parti. 2. Les deux �ges de l'�crivain Le paradigme identitaire � r�v�lant un conflit latent de personnalit� � ne s'est pas forg� chez Haddad au contact de la dure r�alit� sociale d'une colonie encore puissante et du triste sort des indig�nes. Il indique dans sa maturation d'adolescent une rupture d'avec sa famille d'instituteurs petits-bourgeois devenus Fran�ais �de c�ur et d'esprit �. Le th�me de la langue perdue sous-tend-t-il d�j� un roman familial ? Dans une famille de Kabyles zwawa o� il n'y a plus aucune survivance de la langue de la tribu, l'enfant est d�sempar� : il n'a jamais appris � parler comme les petits Arabes de son �cole, lui qui est d�s le berceau nourri aux sonorit�s de la langue de Moli�re. C'est un manque incompressible qui va d�structurer son parcours social, politique et culturel. Malek Haddad, qui a d�finitivement effac� Aim� dans la transcription de son identit� sociale et rompu avec la tradition corporative familiale de l'Instruction publique, appara�t alors comme dans ses r�f�rences litt�raires un �Sans famille� (Hector Malot), conduisant le lancinant projet de forger de nouvelles confluences, dans une nouvelle famille d'accueil. Il va s'engager, lui qui est n� Fran�ais et de culture fran�aise, � briser toutes les alt�rit�s constitutives de la colonie, non pas pour retourner aux sources culturelles berb�res originelles, mais politiques. Il est alors �vident, pour lui, que le politique domine le culturel et reste la solution de tous les affranchissements. D�marche radicalement oppos�e � celle de Jean Amrouche qui choisira la voie culturelle et le plain-chant des anc�tres. En v�rit�, il est dans le paradoxe, dans une situation conflictuelle durablement irr�solue. Son engagement dans le Parti communiste alg�rien, puis dans le Front de lib�ration nationale, pendant la guerre d'ind�pendance, constitue un �pisode outr� dans cette recherche irr�pressible d'une identit� toujours improbable, en raison m�me d'un pass� � qui devient un lourd passif � jamais liquid�. A. Le militant communiste. C'est un petit-bourgeois, voguant encore dans les limbes des lettres fran�aises, qui rejoint le PCA au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au sortir du lyc�e, pour appuyer les combats de la classe ouvri�re. La d�marche de Malek Haddad ne souffre d'aucune ambigu�t� par rapport � celle d'autres camarades de sa g�n�ration, venus de milieux diff�rents comme Mohammed Dib et Kateb Yacine. Dans cette �fratrie rouge� qui entre dans le syst�me r�glement� du parti et �merge dans la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise des ann�es 1950, Malek Haddad est le seul � prendre sa carte. Il est, de 1947 � 1956, un vrai militant communiste, �veill� aux n�cessit�s de l'analyse critique du parti dans la pure orthodoxie de Moscou. Dib, issu d'une famille d�class�e socialement, va utiliser adroitement les ressources du PCA pour changer s�rement de statut social et devenir un �crivain. A Tlemcen, il est pris en charge par la famille de Roger Bellissant, chef de la chorale des �coles et principal animateur du PCA local, dont il �pouse la fille Colette. Il est introduit dans la r�daction d' Alger r�publicain o� il travaille de 1949 � 1952, la quittant cavali�rement, sans une seule explication, au moment o� l'�diteur parisien Seuil l'informe de la publication prochaine de son premier roman La Grande Maison (Cf. Henri Alleg, Boualem Khalfa, Abdelhamid Benzine, La Grande aventure d'Alger r�publicain, Paris, Messidor, 1987). Dib s'est plus servi du parti qu'il ne l'a servi. Kateb Yacine est celui qui a �t� directement confront� pendant les �v�nements de mai 1945 � la nature r�pressive de la politique coloniale. Il est dans son processus d'autonomisation plus proche de Haddad que de Dib par la complexit� du milieu familial de tradition arabo-islamique qu'il vient de quitter et qui repr�sente � c�t� de la culture fran�aise des �lites form�es par l'�cole r�publicaine fran�aise l'autre versant � r�formateur musulman � de la culture indig�ne. Il s'associe, � Alger, au cercle d'En- Nahda � voguant entre r�formisme politique de l'UDMA et r�formisme religieux des Oul�mas � regroup� autour de l'�diteur Abdelkader Mimouni, � qui il donne le texte de sa conf�rence prononc�e le 24 mai 1947 � la salle des Soci�t�s savantes, � Paris, sur �Abdelkader et l'ind�pendance alg�rienne �. Mais il prend tr�s vite ses distances d'avec ce cercle pour rallier le PCA dont il sera un compagnon de route, souvent incontr�lable et indiscernable (Cf. Abdellali Merdaci : Parcours intellectuels dans l'Alg�rie coloniale, M�dersa, 2008). De cette �fratrie rouge�, seul Malek Haddad portera l'engagement politique communiste dans sa litt�rature. Il cosigne avec Rolland Doukhan un hommage remarqu� � un camarade disparu (�A Kaddour Belka�m qui n'est pas mort�, Libert�, 27 juillet 1950) et �crit une �clatante c�l�bration de Joseph Staline �le petit p�re des peuples� (La Longue marche, Progr�s, n� 4, octobre 1953). A Paris, o� il se rend au d�but des ann�es 1950, il est accueilli dans le milieu des artistes et intellectuels communistes. Il gagne l'amiti� des com�diens Pierre Brasseur et Paul Frankeur. Surmonte-t-il les contradictions � et les incertitudes � de ses origines dans l'alcool, �cet alcool qu'on prend quand on a peur� ( Le Malheur en danger, o.c.) ? Mohammed Harbi qui l'a rencontr� � cette �poque en dresse le portrait ravageur d'un pilier de comptoir dans la proximit� de Kateb et du peintre M'hamed Issiakhem (Cf. Une Vie debout. M�moires politiques, Paris, La D�couverte, 2001). Son second roman Je t'offrirai une gazelle(Paris, Julliard, 1959) n'inscrit-il pas, de rasade en rasade de petit vin ros�, la forte pr�sence de l'ivresse ? Une ivresse qui n'est pas seulement po�tique, condensant un d�placement de territoire, une sorte d'acte manqu�. A-t-on souvent aper�u, rue du Bac, dans le septi�me arrondissement de Paris, Malek Haddad tra�naillant non loin de l'appartement de Louis Aragon et d'Elsa Triolet ? Amar Benamrouche et Roger Gallissot observent qu'il montrait � avant publication � ses po�mes et ses romans en pr�paration au po�te de la R�sistance, directeur des Lettres fran�aises et membre influent du PCF (Cf. Alg�rie : Engagements sociaux et question nationale. De la colonisation � l'ind�pendance, de 1830 � 1962, Ivry-sur-Seine, Les �ditions de l'Atelier). Il est vrai que Haddad a assez t�t reconnu sa dette envers Aragon et �luard dont l'influence sur ses compositions po�tiques est d�terminante. Mais ce curieux po�te d'Alg�rie n'est pas seulement un camarade de parti ou un disciple. Aragon ne va-t-il pas jusqu'� le paraphraser en titrant une recension critique des deux premi�res livraisons de la trilogie �Alg�rie� de Mohammed Dib Un roman qui commence( Les Lettres fran�aises, n�164, 8-15 juillet 1954) dans laquelle il �voque pour la premi�re fois une litt�rature nationale alg�rienne (�Je suis le point final d'un roman qui commence�, dans La longue marche) ? Sublime adoubement. Jusqu'� quel point le militant communiste Malek Haddad a �chapp� au rugueux accompagnement de la section coloniale du PCF en ces ann�es 1950 ? Il ne semble pas avoir eu, � Paris, le souci de se conformer � une discipline d'appareil. S'il fait rompre Omar, son personnage principal de l'�l�ve et la Le�on (Paris, Julliard, 1960) d'avec le PC au lendemain du vote par les d�put�s communistes des pouvoirs sp�ciaux � l'arm�e en Alg�rie, le 12 mars 1956, il n'y a aucune indication sur ce qu'a �t� son propre choix � l'�poque. En Alg�rie, le PCA, repr�sent� par Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjer�s, ayant �prement n�goci� avec Abane Ramdane et Benyoussef Benkhedda une entr�e de ses militants et des �maquis rouges� dans les rangs de l'ALN-FLN, le camarade Haddad n'�tait tenu ni de d�chirer sa carte ni de se consumer dans une inextinguible crise de conscience. Ne proph�tisait-il pas : �Soyez debout mes camarades / La montagne a raison � ( le Malheur en danger, o.c.) ? Dans �la fratrie rouge�, Haddad est le seul � entrer dans les rangs du FLN que Mohammed Dib et Kateb Yacine ignorent totalement. Alors que ses camarades croient encore en une Alg�rie multiraciale et multiconfessionnelle, Haddad voit l'avenir du c�t� de ceux qui se battent pour leur libert�. Lui qui fut le plus consciencieusement fid�le au parti ne b�n�ficiera pas, � l'ind�pendance, de l'aura de Dib et de Kateb dans les cellules de militants officielles puis clandestines. Est-ce l� que se trament rejet et disqualification ? Et l'abandon par sa famille communiste ? B. Le militant nationaliste. Malek Haddad fera bien tardivement, en 1960, le voyage qui m�ne � Tunis, pour prendre place dans les r�seaux du GPRA. S'il ob�it � une stricte attente du PCA, ce ralliement ne s'explique pas par les positions � moins nettes qu'il n'y para�t � qu'il a pu avoir depuis le d�but de la guerre d'ind�pendance. Dans ses romans, il reste, certes, attentif � l'affrontement militaire qui s'intensifie en Alg�rie. Mais il l'est tout autant au �monde r�el�. Sur le terrain des op�rations, l'ALN ne tient que par les vaillants maquis des Wilaya I (Aur�s) et II (Kabylie), bient�t au bout de leurs forces, limit�es dans leur approvisionnement en armes et munitions et dans leur recrutement. Comment parier, en 1956-1959, sur une victoire militaire ? Haddad pressent- il ce dilemme qui �crit alors le seul roman alg�rien de cette p�riode qui traite directement le th�me de la guerre d'ind�pendance la Derni�re Impression(Paris, Julliard, 1958), o� il est pr�cis�ment question de couper � m�taphoriquement � les ponts ? Dans l'un des derniers chapitres du roman, d'une port�e programmatique, il ins�re en exergue ces mots du g�n�ral de Gaulle extraits de son discours du 4 juin 1958 : �Un combat dont je reconnais, moi, qu'il est courageux et que le courage ne manque pas sur cette terre d'Alg�rie.� Concession � un avenir incertain ou assentiment donn� � �une paix des braves� agit�e par le g�n�ral ? Malek Haddad d�pose � l'�lys�e un exemplaire d�dicac� de son roman au pr�sident de la R�publique fran�aise. Et il en re�oit sur un bristol aux armoiries de la R�publique fran�aise les remerciements �mus. Le projet de rejoindre le FLN � soulignant explicitement une adh�sion � date probablement de la fin 1959. Il est vrai que beaucoup de choses ont chang�, non pas dans ce que sera le sort d'une guerre, toujours ind�cidable, mais sur le front diplomatique o� le GPRA gagne de solides adh�sions dans un contexte mondial de d�colonisation. Dans son discours du 16 septembre 1959, de Gaulle annonce un projet d��autod�termination� en Alg�rie. Devant un de ses proches, Robert Buron, il reconna�t qu��il est trop tard pour conduire l'�volution comme j'y avais pens�; il est impossible � la fois de gagner la guerre et de l'arr�ter� (Cf. Benjamin Stora : le Myst�re de Gaulle. Son choix pour l'Alg�rie, Paris, Laffont, 2009). Vers la fin de l'ann�e 1959, le projet de se rendre � Tunis devient suffisamment m�r pour Haddad. Le domaine culturel o� il pouvait s'engager n'�tait pourtant ni serein ni d�finitivement assur�. Pas plus que les partis nationalistes qui l'ont pr�c�d� (ENA, PPA, MTLD), le FLN n'a pas con�u de doctrine culturelle. Et son bilan dans ce domaine reste tr�s discutable sinon m�diocre. Dans la capitale tunisienne, la troupe th��trale du FLN a certainement attir� quelques militants communistes, en tout cas peu imposants pour juguler la tendance droiti�re et franchement r�actionnaire de son directeur Mustapha Kateb, suscitant une confrontation � souvent violente � avec Mohamed Boudia qui perdure jusqu'au milieu des ann�es 1960 dans les coulisses du TNA. Tr�s peu d'�crivains connus acceptent de travailler pour le FLN pour souligner la remarquable participation de Mouloud Mammeri, en Alg�rie puis au Maroc, et d'Assia Djebar, en Tunisie, aux c�t�s de Frantz Fanon et de M'hammed Yazid. Face au vide doctrinal dans le champ culturel, ce sont les Oul�mistes, les plus timor�s face � l'engagement nationaliste, qui ramassent la mise ; ils parviennent tr�s vite au FLN, sans coup f�rir, � occuper la sc�ne culturelle, faisant triompher les vieux mots d'ordre d'arabit� et d'islamit�, devenus d'indiscutables fondamentaux de la R�volution. Pour les Oul�mas, embusqu�s dans les h�tels luxueux de Tunis, la R�volution ne pouvait concevoir comme unique horizon la lib�ration du joug colonial, mais la restitution � la langue arabe et � l'arabit� leur pr��minence dans le pays. Haddad jouera � l'envi cette partition. � Tunis, dans les bureaux du GPRA, Haddad aggrave-t-il le paradoxe, lui qui n'a pas surmont� l'oppressant legs linguistique et culturel de sa naissance, pour en faire une tare irr�m�diable ? S'il entreprend, depuis la Ville Verte, une infinie p�r�grination dans les pays de l'Est, en mission pour le compte du FLN, il entre dans le doute. Entrevoit-il d�j� que dans le pays futur qui s'avance il n'y aura pas de place pour lui. Il le dira simplement dans les Z�ros tournent en rond (Paris, Masp�ro, 1961) : produit de l'histoire coloniale, il dispara�tra avec elle. Cette probl�matique revivifie les angoisses r�manentes de l'adolescence et le rapport symptomatique � une langue perdue qui dans son imaginaire n'est plus le zwawa des Anc�tres r�pudi�s, mais l'arabe, inatteignable. Haddad incrimine �un d�faut de langue� (Cf. pr�face au Malheur en danger, o.c.). Il est tout entier dans ce handicap. N� Fran�ais, grandi patiemment dans la culture fran�aise, vouant un culte paroxystique � la langue fran�aise, le voil� menac� de la seule exclusion qu'il a toujours redout�e : celle du pays ind�pendant. La ressentait-il d�j� si proche pour d�cider � pourquoi ne pas reprendre ici Aragon � une ultime �mise � mort�, celle de l'�crivain ? 3. L'Orpailleur et le Courtisan Le 3 juillet 1962, l'Alg�rie est officiellement ind�pendante. Malek Haddad se rend de Tunis � Paris et d�cide d'y attendre la d�cantation d'une crise politique et militaire assez vive qui secoue l'�t� 1962. Cette absence � qui se prolonge jusqu'en 1965 � se renferme-t-elle dans une explication farfelue ? Il a �t�, ici et l�, rapport� que Haddad ne revenait pas en Alg�rie � cause de Ben Bella. Comment pouvait-il juger le premier pr�sident de la R�publique alg�rienne d�mocratique et populaire qu'il n'avait jamais rencontr� dans l'exercice de ses fonctions, dans un pays qu'il n'a pas encore connu libre ? Le missionnaire du FLN qu'il a �t� � de 1960 � 1962 � n'a � aucun moment, pendant sa pr�sence � Tunis, pris part aux tumultueuses affaires du pouvoir politico-militaire qui se d�bande, aux mois de mai et juin 1962, avec le d�litement du GPRA au Congr�s inachev� du CNRA, � Tripoli. Encore moins � l'impr�visible aggiornamento qui a install� au pouvoir les �quipes de l'EMG et de Ben Bella. Comme ses anciens camarades de la �fratrie rouge�, Haddad pr�f�rera rester en France et suivre de loin les affaires du pays. Le coup d'�tat du 19 juin 1965 du colonel Boumediene, renversant le gouvernement d'Ahmed Ben Bella, est une belle occasion pour lui de rebondir. D�s que la nouvelle est sue et d�velopp�e sur les ondes des stations de radios parisiennes, il envoie un t�l�gramme de soutien au colonel qui tombe dans le ferraillement assourdissant des chars russes aux carrefours d'Alger. Il retrouve sa famille qu'il n'a pas beaucoup vue depuis la fin des ann�es 1940. D�sormais en rupture de projet litt�raire, songera-t-il � un nouveau r�le, plus pr�cis�ment dans les all�es du pouvoir ? Pendant ces trois ann�es d'ind�pendance, il a �t� loin des bruits d'Alger et des fumigations d�l�t�res qu'y propageaient les cercles d'intellectuels. Lacheraf qui le vilipende, le tient en pi�tre estime et le r�p�te en toutes circonstances ; ses anciens camarades communistes l'ont assign� aux trappes de leur mouvement. Dib d�noncera r�trospectivement cette fr�n�tique course aux sin�cures de l'�tat de ses anciens camarades qu'annonce le retour de Haddad en Alg�rie. Mais Alger ouvre les bras � Haddad, qui ne pense qu'� Constantine, tant la nostalgie de sa ville natale est fi�vreuse. R�siste-t-il au p�ch� mignon de reprendre sa plume, dans un interm�de automnal, lui qui s'�tait jur� publiquement de faire maigre ? En 1965, � l'invitation de la section UNEA de la ville, lors d'une soir�e du Ramadan, il lit devant une assistance �merveill�e le seul hymne qui soit �crit et d�di� � cette ville et qui restera, inopportun�ment, galvaud� dans les toasts provinciaux : �On ne pr�sente pas Constantine / Elle se pr�sente et l'on salue� ( une Cl� pour Cirta). Il s'attarde dans une cit� aux lueurs du soir mordor�es, survolant les maisons basses de la m�dina, montant des monts bois�s du Chettaba, espaces obs�dants dans sa litt�rature. Il devait n�cessairement se rendre au quotidien local pour des civilit�s protocolaires ; il y restera deux ann�es pleines, dirigeant la page litt�raire et sacrifiant aux pittoresques messes du bouclage qui s'achevait immanquablement par des libations � �La Siwana�, face � la gare du chemin de fer. Le chroniqueur litt�raire rev�tira l'habit �troit du militant pour mieux exorciser ses vieux d�mons, enfourchant le th�me de l'arabit� dans un entrain jubilatoire. Le scande-t-il au moindre pr�texte pour t�moigner, de mani�re exemplaire, de la foi du z�lote ? Il se pr�te � un exercice de voltige, a�rien et p�rilleux, en �voquant le travail de mise � jour de la m�moire kabyle par Jean et Taos Amrouche, en tirant une conclusion que n'aurait pas � cette �poque aride d�savou�e le commissaire FLN local : �Seule une Alg�rie libre pouvait, volontairement et en toute connaissance de cause, en redonnant vie, vigueur � notre langue nationale, la langue arabe, se permettre de ne pas s'enfermer dans une autarcie intellectuelle mortelle�� (�A la recherche d'un chant perdu�, An Nasr, 12 juillet 1967). Position tr�s discutable, affirmant relativement � la culture berb�re d�fendue par les Amrouche un paternalisme de mauvais aloi, rangeant les textes de tradition kabyle recueillis et chant�s par Taos au registre d'un folklore surann�, rel�guant toutes les expressions linguistiques d'Alg�rie � l'ombre de la langue arabe. L'agent institutionnel, revisitant le missionnaire du FLN, n'avait-il pas d�j� pris le pas sur l'�crivain ? S'en prenant � Jean-Paul Sartre, Maurice Clavel et Pablo Picasso � propos de la Palestine, Haddad s'interroge : �Aujourd'hui, nous sommes en droit de nous demander si ces �penseurs� qui avaient souhait� l'ind�pendance alg�rienne n'avaient pas construit et projet� une Alg�rie � leur image, une Alg�rie finalement fran�aise. Le fait est l� : ils avaient amput� l'Alg�rie de ses deux caract�ristiques fondamentales et essentielles, de ses deux �l�ments premi�rement constitutifs, � savoir l'arabisme et l'islamisme� (�La fin d'un mythe�, An Nasr, 24 juin 1967). Et encore cette rare envol�e po�tique au plus fort de la guerre des Six-Jours : �Mais je suis chez moi chez moi en Palestine/Parce qu'Arabe arabe � en mourir/Arabe dans les yeux /Arabe en ma poitrine / De Damas en danger � notre El- Djaza�r� (�Je suis chez moi en Palestine�, An Nasr, 3 juin 1967). Cette d�fense et illustration de la langue arabe et de l'arabit�, � la fois insistante et confondante, chez Haddad qui ne s'est encore assimil� ni � l'une ni � l'autre, ne d�roule-t-elle pas autant de gages qui ne laissent pas indiff�rent le �pouvoir r�volutionnaire � ? Il y r�pond promptement. Le chroniqueur constantinois qui a �puis� dans sa page litt�raire tous les combats de l'arabit� est nomm� � au minist�re de l'Information et de la Culture � directeur de la culture aux c�t�s de Mohamed-Seddik Benyahia, avant d'�tre appel� � une fonction de conseiller sp�cial aupr�s d'Ahmed Taleb Ibrahimi. Le gouvernement de Boumediene distingue en Malek Haddad un remarquable organisateur : � son bilan, les semaines culturelles nationales, les festivals de la musique andalouse, le 1er Festival panafricain, en 1969, la cr�ation de la revue Promesses. Il lui confie, en 1973, la responsabilit� �difiante d'encadrer l'intenable Union des �crivains alg�riens, autrefois emmen�e par Jean S�nac et Mouloud Mammeri dans des chemins de traverse qui indisposent le syst�me. La �normalisation� de l'UEA, devenue une organisation bureaucratique du parti unique, � laquelle s'agr�gent dans une onction quasisurr�aliste journalistes et interpr�tes, est conclue au pas de charge. Entre-temps, Haddad retouche quelques po�mes de la p�riode communiste, �teignant les flamm�ches staliniennes, r�ajustant ses rimes aux perspectives de l'heure. Ces actions furent men�es avec la force de la conviction. Mais �tait-ce toujours le cas ? A-t-on vu Haddad dans un r�le inattendu de �contr�leur � de la presse culturelle francophone ? Autrefois, le po�te raillait justement cette servitude : �A la fronti�re du talent / Un gabelou fait son boulot / Une id�e passe / Elle n'a rien � d�clarer� (�Silence !�, Le Malheur en danger, o.c.). Cette aptitude � faire fonds de toutes les attentes du �pouvoir r�volutionnaire� s'an�antissait dans de terribles mascarades. La derni�re a �t� une trouvaille du pr�sident Boumediene qui souhaitait en faire un d�put� lors des �lections l�gislatives de 1977. La base FLN de Constantine, r�sistant aux injonctions du secr�tariat permanent, avait refus� ce greffon �tranger au profit d'un obscur militant de kasma. Cet �chec fut-il le plus amer ? S'il �tait admis dans les hautes sph�res du r�gime, Haddad est repouss� encore une fois par le petit peuple, celui des fr�res du FLN. Rejet sym�trique � celui que d�cidaient, au lendemain de l'ind�pendance, les camarades communistes. Son �viction � t�m�rairement consentie aux urnes par des apparatchiks du FLN � n'�tait pas sans cons�quences, graves et funestes. Son immersion dans une culture de la r�paration � la culture arabe fantasm�e qu'il pr�tait � la m�dina constantinoise et avec laquelle il voulait physiquement faire corps � qu'il a toujours opini�trement recherch�e et id�alis�e s'enferrait dans une cruelle solitude (�Et dites-moi la fleur qui n'a pas de jardin�, Le Malheur en danger, o.c.). Les rendez-vous � rat�s � de l'Histoire, avec leur noria d'illusions et d'accablement, ne sont jamais comme l'a per�u le po�te dans Le Quai aux Fleurs ne r�pond plus (Paris, Julliard, 1961) que des ��piph�nom�nes �. Comme pour son personnage Khaled Ben Tobal � son double � qui surgit au terme r�cit aux portes du grand myst�re, la d�livrance ne viendra pour Haddad que dans la mort, le 2 juin 1978. L'�crivain fran�ais Fran�ois Nourrissier a une formule propitiatoire pour dire les d�convenues des hommes et des femmes : �La mort transforme les brouillons de la vie en destin� ( A d�faut de g�nie, Paris, Gallimard, 2000). Ce destin, Malek Haddad ne l'a-t-il pas pr�figur� en d�clamant : �J'ai toujours �crit pour m�riter ma m�re� ? La seule �bauche lucide dans une carri�re litt�raire contrari�e. La reconnaissance posthume de sa ville � qui est aussi celle du pays � est arrim�e, plus qu'� l'�uvre litt�raire, � une p�rip�tie politique, � contre-emploi et contrite, celle de l'orpailleur, qui savait et entretenait la vertu des mots, fondant dans les t�n�bres de la pens�e unique, et du courtisan humili� et sans attache. Est-elle aujourd'hui � la mesure de douloureux renoncements � et reniements � � la matrice fondatrice d'une identit� cliv�e et malheureuse, aux masques d�sincarn�s, de la francit� � l'arabit�, sourdant dans les silences du si�cle ? A. M. *Docteur en linguistique, professeur habilit� de litt�rature francophone et compar�e. �crivain universitaire. Dernier ouvrage paru : Auteurs alg�riens de langue fran�aise de la p�riode coloniale, Paris, L'Harmattan, 2010.