Amr Adeeb, le présentateur vedette de la chaîne égyptienne Al-Kahera Alyoum, fait parfois dans le macabre, comme lorsqu'il nous a fait assister en direct à l'autopsie d'un kamikaze.(1) Comme c'est un original, et qu'il tient à soigner son image de marque et sa popularité, il traite à sa manière l'affaire Khashoggi en posant crûment la question subsidiaire rattachée au crime : pourquoi l'équipée fatale et tragique de Jamal Khashoggi a-t-elle été mise en images de l'extérieur du consulat saoudien à l'horrible épilogue à l'intérieur de ce même consulat ? On sait aujourd'hui que si des images de l'assassinat existent et sont publiées sur les réseaux sociaux, on le doit aux services turcs qui disposaient de caméras à demeure. Ce qui veut dire que les services concernés ont suivi heure par heure, voire minute par minute, la façon dont Jamal Khashoggi a été immobilisé, ligoté, et enfin découpé à la hache. Cela signifie que les agents affectés au dispositif d'espionnage turc et leur hiérarchie ont assisté sans ciller, ni levé le petit doigt, à la lente et cruelle agonie infligée à la victime par ses bourreaux. Il y a donc eu un assassinat prémédité et exécuté au vu et au su de plusieurs témoins, parmi lesquels les préposés au crime, leurs assistants et les agents turcs qui voyaient tout sur leurs écrans. On ne fera pas l'injure au sieur Erdogan et à ses services de penser, ne serait-ce qu'un bref instant, que la vie d'un homme pouvait avoir une quelconque valeur pour eux et donc justifier une intervention. Notre confrère égyptien ne s'est pas arrêté à ces considérations morales et légales, sur la non-assistance à personne en danger, face à la raison et aux intérêts d'Etat. En bon patriote soucieux de la sécurité et de l'intégrité des représentations de son pays en Turquie, il s'est contenté de réclamer une inspection minutieuse de ces locaux diplomatiques. De façon fort logique et en connaissance des réalités, Amr Adeeb est arrivé à la conclusion que si les Turcs avaient espionné le consulat d'Arabie Saoudite, ils avaient agi de même avec l'Egypte. La supposition est d'autant plus fondée qu'en plus des usages internationaux autorisant de telles pratiques, les Turcs ont des raisons d'espionner les Egyptiens et vice versa. Il se trouve que Tayeep Erdogan a très peu apprécié, à l'instar de son allié du moment, le Qatar, le fait que l'Egypte se soit débarrassée du pouvoir des Frères musulmans. Tout comme la Turquie et le Qatar n'ont pas du tout aimé la façon dont l'Arabie Saoudite a tourné le dos à ses anciens protégés islamistes et a soutenu le nouveau régime égyptien. De ce fait, le sort de Khashoggi était scellé par avance et tous les éléments étaient en place pour que la Turquie et son Président tirent le maximum de bénéfices de son assassinat, diffusé en différé. Une sacrée aubaine pour la Turquie et aussi pour le Qatar, engagés dans une confrontation médiatique avec l'Arabie Saoudite et son allié égyptien, sur fond de guerre au Yémen et en Syrie. L'Arabie Saoudite défend bec et ongles son prince héritier, Mohamed Ben Salman, vers qui convergent toutes les pistes de l'enquête sur le meurtre de Jamal Khashoggi. La monarchie en rajoute, évidemment, et elle rivalise en matière de mauvais goût avec le camp adverse, en montrant par exemple MBS, bras dessus bras dessous avec le neveu de Jamal Khashoggi. Forte du soutien attendu du Président Trump, l'Arabie Saoudite mobilise ses médias et ses émirs(2) pour la défense de l'héritier présomptif du trône et organise le tapage autour de sa tournée arabe. Comme prévu, le quotidien londonien Al-Quds, propriété du Qatar, tire à boulets rouges sur MBS et adresse une timide mise en garde au Président Trump. Il souligne, en effet, que le soutien de la Maison Blanche à Mohamed Ben Salman risque de causer un sérieux préjudice à la carrière de Trump en tant que Président des Etats-Unis. Le journal prédit ainsi que la relation Trump-MBS finira de façon catastrophique, de la même manière que s'était terminée la relation qui existait entre le Président Nixon et le shah d'Iran, Reza Pahlevi. Concernant l'éventuelle arrivée du prince héritier saoudien au Maghreb, en décembre prochain, Al-Quds laisse entendre que le Maroc pourrait ne pas accueillir cet hôte encombrant. Le quotidien mobilise même du côté algérien, en donnant la parole au bon «frère musulman» Abderrezak Makri, chef du Hamas, et présenté comme le leader du «plus grand parti islamiste» d'Algérie. Comme si c'était déjà un fait acquis, M. Makri a affirmé devant la presse que cette visite nuirait grandement à l'image de l'Algérie, tant au plan arabe qu'international. Selon lui, MBS ne vient en Algérie que pour redorer son propre blason, terni par la guerre du Yémen et par les arrestations et l'assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul. Le chef du Hamas a tenu ce discours au moment où circulent sur les réseaux sociaux des pétitions et des appels à dire non à la visite de Mohamed Ben Salman en Algérie. Tout se passe comme si cet indésirable visiteur pouvait représenter un danger pour le pays alors que ce danger est déjà dans nos murs. Ils sont, en effet, des milliers de MBS à officier tous les jours et à propager l'idéologie wahhabite, non seulement dans les mosquées, mais aussi dans les médias et dans les lieux publics. Que MBS vienne s'en assurer ou pas, le ver est déjà dans le fruit. A. H. 1) Il s'agit du terroriste islamiste qui s'était fait exploser dans une église du Caire le 11 décembre 2016, tuant 25 fidèles. On avait même vu en direct la reconstitution du visage du terroriste et son identification. 2) Même le milliardaire Walid Ibn Talal, arrêté et pressuré, dit-on, par le prince héritier, y est allé de son antienne affirmant que l'innocence de Mohamed Ben Salman serait bientôt prouvée.