Derrière le drame des harragas se cache un commerce juteux profitant à des passeurs désormais comparables à des filières relevant du crime organisé. La traversée de la Méditerranée coûte cher, très cher… Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les temps où le secret entourait l'évocation du prix d'un «voyage» de harraga sont révolus depuis un long moment déjà. Les dimensions prises par la situation, la prolifération des passeurs attirés par le gain offert par la détresse humaine mais aussi la levée du tabou sur un phénomène au centre de toutes les discussions ont permis de répondre à toutes les interrogations qui pouvaient se poser à un certain moment. Les langues se sont déliées et il en faut parfois peu pour avoir les détails «procéduriers» de l'aventure en mer. «Le soir dans les quartiers, on évoque très souvent nos copains partis, dès que c'est possible, on s'envoie des vidéos, on discute, la harga est devenue un sujet naturel, et tout le monde sait à présent de quelle manière se déroule ‘'l'affaire''», raconte un jeune étudiant de Bab-el-Oued. Mehdi n'est pas candidat à l'aventure, il vit seul avec sa vieille mère et parvient à peine à s'en sortir avec la retraite de son défunt père. Il sait aussi qu'une traversée à bord d'une embarcation, même de fortune, est au-dessus de ses moyens. «Pour cela, il me faudrait aller voler ou emprunter, ce qui revient au même puisque cela demeurera une grosse somme à rembourser», dit-il. Mehdi a vu la manière avec laquelle deux de ses anciens voisins, ayant récemment embarqué pour l'Italie, se sont démenés pour réunir la somme à payer. «Ce sont deux jeunes de 22 et 26 ans, leur travail consistait à vendre des bricoles durant le mois de Ramadhan, le reste du temps, ils vivotaient. Et comme tous les voisins du quartier, ils entendaient parler de ce qui se passait. Au sein des groupes, il se trouve toujours une personne bien renseignée pour donner toutes les informations possibles pour la harga», poursuit-il. Depuis plusieurs semaines, le bruit court que le prix demandé par les passeurs a augmenté sensiblement en raison de la surveillance accrue des points de départ en mer. «Les personnes désirant partir doivent pratiquement prendre en charge tous les aspects liés à la traversée.» Il explique : «Le passeur doit d'abord savoir combien de personnes il aura à transporter et c'est à partir de là qu'il donnera son prix.» Le premier prix concerne celui de la barque. Pour assurer la traverser de douze à treize personnes, l'embarcation doit avoir des dimensions de cinq à six mètres. Dans ce cas, le coût de l'embarcation est fixé à 80 000 DA. «Le plus dur, c'est les moteurs, il en faut deux, l'un servira de secours en cas de panne. Les harragas doivent cotiser pour acheter au moins un moteur, son prix est de 500 000 dinars ce qui fait à peu près 39 000 DA par personnes. Lorsque la météo est capricieuse, ou que la période est risquée, les passeurs exigent les deux moteurs, ce qui fait près de 90 000 DA par candidat. Et puis il y a aussi le GPS et les gilets de sauvetage et les bidons d'essence, tout ceci coûte également très cher.» «Le prix du voyage qui coûtait 40 000 DA par personne il y a de cela une année est aujourd'hui à 460 000 DA, car il a fallu augmenter le prix que demandent les individus chargés de surveiller le mouvement des gardes-côtes.» D'autres informations recueillies auprès de chercheurs chargés de travailler sur le phénomène des harragas permettent également d'en savoir davantage sur le sujet. En raison de la «forte demande, nous dit-on, les passeurs qui effectuaient auparavant trois voyages par saison en sont à cinq ou six». A. C.