L'onde de choc provoquée par la disparition de plusieurs harragas en mer continue à secouer le pays. Le phénomène prend des dimensions inquiétantes et continue à s'étendre en dépit de toutes les mesures prises pour éviter justement ce genre de situations. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Plus aucune nouvelle des sept jeunes qui se sont jetés à la mer en cette sombre nuit du 14 novembre. Ils faisaient partie d'un groupe de treize personnes agglutinées dans une embarcation de fortune en partance vers l'Italie. Un incident comme il en arrive souvent dans ce genre d'aventure survient malheureusement ce soir. Les harragas tous partis d'un même quartier, Raïs-Hamidou, apprennent que les moteurs de la barque sont à l'arrêt. En panne. Selon les témoignages des rescapés, ils se trouvaient alors non loin des rives italiennes. Le groupe se jette à la mer. Sur les 13 jeunes partis, seuls trois d'entre eux ont la chance d'être repêchés par les gardes-côtes italiens. Deux corps sont retrouvés sans vie mais les sept autres demeurent introuvables. Disparus comme beaucoup d'autres avant eux. Les familles en émoi réclament des pouvoirs publics une intensification des recherches pour retrouver les corps. Entourés de plusieurs citoyens, proches et habitants du quartier endeuillé, les parents des malheureux se sont mobilisés la semaine dernière pour faire pression. Jeudi, des dizaines de jeunes sortis d'on ne sait où ont défilé dans les rues d'Alger-Centre pour réclamer la même chose. Le fait a surpris, soulevé plusieurs interrogations. Les autorités se retrouvent ainsi face au plus gros dossier qu'elles n'aient eu encore à gérer dans ce genre d'affaires. Toutes les mesures prises pour tenter de réduire le phénomène des harragas semblent avoir échoué. La surveillance accentuée des côtes, la menace des peines d'emprisonnement ont très peu donné. Régulièrement, des communiqués émanant du ministère de la Défense annoncent d'ailleurs avoir intercepté des embarcations pleines de candidats à la «harga» un peu partout sur les côtes. Aucun bilan disponible pour autant. Les spécialistes du dossier évoquent, en revanche, les causes ayant accentué la dimension des départs à travers ces traversées incertaines. Au Centre de recherches anthropologique et sociale (Crasc) certains chercheurs sociologues ont élargi la liste des causes ayant mené à l'apparition de ce phénomène. Au manque de perspectives, misère sociale ou absence de débouché pour les diplômés s'ajoute désormais un autre élément. Le durcissement des conditions d'octroi du visa est présenté comme ayant un «lien direct et certain avec le phénomène de la harga». «Comme partout ailleurs dans le monde, nos jeunes éprouvent le besoin de voyager, d'aller voir ce qui se passe ailleurs à travers le monde, tenter leur chance et s'insérer dans le grand concept de ce siècle, c'est-à-dire se transformer en citoyen du monde mais ils se heurtent à ce problème de visa», explique Bouabdellah Kacemi. Les difficultés, voire l'impossibilité d'accéder à ce document «poussent cette catégorie de personnes à tenter l'aventure autrement, pour eux, l'essentiel est de rejoindre ce monde qu'ils ne connaissent en fait qu'à travers les publicités qu'on leur montre à la télévision. Arrivé là-bas, peu d'entre eux ont en réalité la possibilité de démarrer une nouvelle vie. Beaucoup sont obligés de mendier, supplier, parfois voler pour manger. Ils sont humiliés, malmenés, finissent aussi très souvent en prison et s'aperçoivent alors qu'ils se sont trompés, qu'ils ont commis une grande erreur. Dans le cadre d'un voyage régulier, la situation pourrait se dérouler autrement probablement». Des chercheurs s'arrêtent aussi sur le fait que des universitaires, «des diplômés puissent se retrouver dans des embarcations transportant des jeunes exclus par le système scolaire ou des marginaux parfois. Cette situation démontre bien les liens de cause à effet entre les difficultés d'obtention du visa et la harga». L'aggravation du phénomène, poursuivent les mêmes sources, «est due au malaise grandissant qui s'est emparé de la société au-delà du problème du chômage ou de tous les maux auxquels font face les Algériens il y a aussi l'absence d'attractivité des villes dans lesquelles nous vivons, le transport n'est pas développé, les loisirs inexistants, les pressions multiformes y sont intenses, alors on veut fuir, aller ailleurs...» A. C.