La présidentielle n'aura pas lieu. C'est plutôt «Algérie libre et démocratique» qui n'est plus scandée ou peu, qui interpelle. Ce mot d'ordre unificateur est celui qui correspond le mieux à la réalité actuelle parce que les deux adjectifs «libre» et «démocratique» ne souffrent aucune ambiguïté. Ils signifient que sans le respect des libertés d'expression et d'organisation, de la presse et de conscience, il n'y a ni démocratie ni Etat de droit. Or, ce minimum n'est pas garanti. Autrement, comment expliquer l'embastillement de Kamel-Eddine Fekhar, mort en détention, un homme qui est allé au bout de ses idées et qui, contrairement à tous ces zombies de l'ex-FIS avec qui s'acoquinent certains démocrates, ne représentait une menace ni contre l'Etat ni contre les libertés individuelles. Paix à son âme. Dans les discours de l'opposition sont évoquées des notions comme «alternative démocratique», «Etat civil». Qu'y met-on quand on sait que la Tunisie de Ben Ali était un « Etat civil» ? — mais jamais n'y figure le mot citoyen. Un exemple parmi d'autres, dans la lettre très médiatisée de Taleb Ibrahimi, ce mot ou celui de citoyenneté n'apparaissent nulle part et le terme démocratie n'est mentionné qu'une fois. Il évoque bien «la construction de l'Etat de droit protégé par les valeurs de la Nation», mais c'est quoi «les valeurs de la Nation» ? Or, que revendiquent les Algériens si ce n'est la citoyenneté, être des citoyens à part entière et non des sujets, ce que ne reconnaît ni un Etat fondé sur le parti unique où l'exercice du pouvoir se caractérise par l'exclusion autoritaire des citoyens de la vie politique, ni un Etat islamique pour qui il n'existe que des croyants membres d'une « oumma » socialement indifférenciée où les conduites sociales et les comportements sont codifiés par le religieux. La citoyenneté ne peut être garantie que par un régime démocratique où le pluralisme politique, l'alternance au pouvoir, la protection des droits fondamentaux de l'individu contre toute forme d'oppression dont celle de l'Etat, sont garantis par la loi et, où et surtout, on peut assumer sans contrainte son droit à la différence. Toutes choses qui, pour l'heure, ne sont pas acquises et même pas demandées par une opposition obnubilée par l'accès au pouvoir quitte à s'accommoder de la Constitution actuelle. Dès lors, avant de demander à Gaïd Salah de se ranger avec le peuple afin de construire l'alternative démocratique qui, aux yeux de certains leaders islamistes, donnerait le pouvoir réel au peuple à travers un «gouvernement civil» par opposition à un «pouvoir militaire», faut-il s'entendre sur les mots et clarifier les termes du débat. C'est cette absence de clarification qui permet aux «faussaires» de tenter de dévoyer le mouvement populaire. Depuis quelques vendredis, des mots d'ordre à connotation religieuse se font entendre comme par exemple « Bismi Allah, bismi Allah, yetnahaw bi idhni Allah» (Au nom de Dieu, ils partiront par la volonté de Dieu). S'adossent à ces tentatives d'islamisation des mots d'ordre, le portrait de Abdelkader Hachani glissé parmi ceux de Larbi Ben M'hidi, Zighoud Youcef, Abane Ramdane. Ou encore cette banderole déployée rue Didouche avec les portraits du colonel Amirouche et du Cheikh de la Zaouia Ouboudaoud de Tasslent près d'Akbou présenté comme étant Cheikh Larbi Tebessi (merci à Abdelmadjid Azzi, ancien syndicaliste et combattant de la Wilaya III de l'avoir signalé). Et ce, sans compter le portrait de Cheikh Ben Badis, qui s'est surtout investi dans la défense de l'islam mais sans jamais avoir revendiqué l'indépendance de l'Algérie : lui et les Oulemas étaient pour l'autonomie de l'Algérie dans le cadre de l'Union française. Et que dire de ces propos insidieux relayés par la chaîne el-Maghribiya – financée par le Qatar, un modèle de démocratie ! — visant à faire porter le chapeau de la décennie noire aux seuls militaires. Si cela continue ainsi – car à travers l'histoire revisitée du mouvement national et de la décennie noire, nous sommes dans une véritable entreprise de désinformation qui ne dit pas son nom – viendra un moment où l'on brandira les portraits de Antar Zouabri, Djamel Zitouni, Chérif Gousmi, Sayah Attia… comme des martyrs de la démocratie et, pour reprendre Kamel Daoud, nous présenter le GIA comme « une annexe de l'UGTA». Alors oui, sans regarder l'avenir dans un rétroviseur, il faut certes avancer mais assumer aussi nos différences et ne pas laisser les faussaires dévoyer le débat. H. Z.