On y est enfin ! Un mois pile-poil après le lancement de cette 32e édition de la Coupe d'Afrique des Nations de football. Une phase finale qui, pour la première fois de l'histoire du football africain, s'est jouée avec 24 équipes et à une période peu habituelle, l'été. Algérie-Sénégal en finale, qui l'eût cru ? Pas Aliou Cissé et Djamel Belmadi, les p'tits Parisiens amis d'enfance désormais adversaires d'un jour. De deux tours. Un premier gagné par l'Algérien lors de la seconde levée du premier tour grâce à une belle frappe de Youssef Belaïli puis une finale à gagner en ce vendredi de clôture d'un tournoi pas comme les autres. Une manifestation qui a donné lieu à une nouvelle carte dans le football continental avec l'émergence de quelques sélections, le Madagascar et le Bénin en particulier, qui ont su donner une petite note de fraîcheur et une ambiance épicée à cette trente-deuxième phase finale. Une compétition qui a également vu de grandes équipes traditionnellement distinguées à l'occasion des précédentes copies disparaître dès les premiers virages à risques, à l'exemple de l'Egypte et du Maroc, mondialistes un an plus tôt en Russie, qui ont été mis KO dès les huitièmes par des adversaires singulièrement à leur portée. Des surprises à gogo, donc, mais aussi des confirmations comme de voir les autres mondialistes, la Tunisie, le Nigeria et le Sénégal assurer, tant bien que mal, une place dans le dernier carré. Enfin la renaissance d'un pays où le football est roi sans qu'il parvienne à être couronné depuis voilà 29 ans. Une longue traversée du désert pour une équipe d'Algérie qui, l'espace de quelques mois, a refait surface après avoir frôlé l'anéantissement. Oui, l'EN, depuis 1990, a disputé deux Coupes du monde et a atteint une demi-finale de la CAN-2010 et un quart de finale en 2004. L'arbuste cachait mal la forêt d'échecs et de désillusions d'un peuple qui a perdu l'amour de ses Verts par la force des bricoleurs et des apprentis-sorciers. Une renaissance qui porte la signature d'un homme, Djamel Belmadi, recruté en août 2018 pour remplacer une légende, Rabah Madjer, qui n'a jamais réussi à s'illustrer sur le banc des Verts. Belmadi avait raison Un entraîneur qui, dès son intronisation, a fait de cette CAN un objectif majeur. Pour réussir dans son entreprise de redonner une âme à un ensemble morcelé et déchiré depuis le départ de Christian Gourcuff, Belmadi a eu les mots justes. «Je ne suis pas sorcier mais je promets qu'on se battra jusqu'au bout.» Mobilisateur, le jeune sélectionneur n'a pas mis beaucoup de temps pour éclairer le chemin de ses troupes. Moins d'une année, en fait. Et vendredi, au Cairo-Stadium, il pourrait toucher au graal. Une consécration précoce pour un groupe révolutionné, redimensionné. Face au Sénégal, adversaire qui a souvent succombé devant les coups de boutoirs des Algériens, Belmadi et ses hommes ont rendez-vous avec l'Histoire. Accrocher une seconde étoile et mettre fin à 29 ans de disette. Un pari osé qui a le mérite d'avoir été annoncé en temps voulu par le principal architecte de cette renaissance des Verts. Depuis, Belmadi n'a pas changé de discours, de ton. Sa conviction est, que soulever le trophée en ce vendredi 19 juillet ne pourrait être qu'une juste conséquence de ses aspirations et de celles de ce groupe de joueurs autrefois sans âme, désarmé, démobilisé. A telle enseigne que tous les adversaires de la sélection s'inclinent et lèvent le chapeau devant tant de hargne et d'efficacité. «On les avait vus fragiles à l'époque. Là, je vois une équipe solide, qui a un bon équilibre entre l'attaque et la défense, toujours très physique et qui a progressé tactiquement», dira Gernot Rohr, sélectionneur des Super Eagles, le dernier coach à avoir plié devant la maestria de Djamel Belmadi et son commando. Demain soir, lors des retrouvailles algéro-sénégalaises, son ami d'enfance à Champigny-sur-Marne dans la banlieue parisienne, Aliou Cissé, aura certainement les bons mots pour faire l'éloge de Belmadi. Quel que soit le résultat de la finale. Car l'amitié n'a pas de prix. «Jouer cette finale contre mon ami Cissé, c'est extraordinaire», a simplement répliqué Belmadi lors du point de presse qui a suivi la qualification de l'EN en finale de cette CAN. «C'est un bon message qu'on envoie à nos responsables du football en Afrique, c'est extraordinaire. Je connais Cissé et il fait du bon travail», a-t-il précisé. Cissé, lui, avait donné le la aussitôt le tirage au sort effectué. «L'Algérie n'est plus à présenter. C'est une grosse équipe. Aujourd'hui, ils sont en train de se bonifier avec l'arrivée de Djamel Belmadi que je connais. C'est un ami à moi, on a grandi dans le même quartier à Paris. Donc, ce sera une belle bataille», avait-il prédit en avril dernier. A l'issue de la première «manche» face aux Algériens, perdue le 27 juin sur le terrain du 30-Juin Stadium, Aliou Cissé avait reconnu que la défaite «était une bonne leçon» pour ses joueurs. Un avertissement sans frais puisque le Sénégal a fini par atteindre allègrement la finale qu'il était venu disputer initialement face à l'Egypte. Sadio Mané et ses camarades ont-ils appris vraiment la leçon ? Une bête blessée… Face à sa bête noire, l'équipe d'Aliou Cissé doit pourtant se révolter. Les Lions de la Téranga qui n'ont jamais connu la consécration auparavant, ont l'occasion d'accrocher une première étoile sur leur maillot. Une revanche, des revanches s'imposent. Celles des Sénégalais qui ont souvent baissé l'échine face aux Algériens et de leur coach Aliou Cissé qui, en 2002, avait été mis à l'index à la suite de la défaite de la sélection sénégalaise en finale face au Cameroun aux tirs au but (0-0, 3 tab à 2). Ce soir-là, au stade du 26-Mars de Bamako, Aliou Cissé a raté l'un des trois tirs au but (Amdy Moustapha Faye et Hadji Diouf avaient manqué leurs essais) et le plus important, le 5e en l'occurrence qui pouvait offrir aux Sénégalais de Bruno Metsu le droit de poursuivre la série de penalties, les défenseurs Pierre Womé et Rigobert Song avaient manqué les deux tirs au but camerounais. Un souvenir profond dans la mémoire de l'ancien capitaine des Lions de la Téranga qui continuent de subir les critiques malgré les bonnes performances de la sélection qu'il dirige depuis mars 2015 suite au limogeage du Français Alain Giresse au lendemain de l'élimination sans gloire du Sénégal de la CAN-2015 en Guinée Equatoriale (victoire contre le Ghana 2-1, nul face à l'Afrique du Sud 1-1et surtout défaite contre l'Algérie 0-2). Une nomination qui aura été bénéfique à la sélection qui reprendra son envol sur la scène africaine avant de retrouver la phase finale d'une Coupe du monde, 16 ans après l'épopée asiatique en Corée du Sud et au Japon. Et une seconde finale continentale l'année d'après. Un rendez-vous que les Sénégalais espèrent marquer d'une pierre blanche. L'Algérie l'entendra-t-elle de la même oreille ? Eléments de réponse. Invaincus depuis l'entame de ce tournoi, les Verts entendent poursuivre l'œuvre et triompher en ce vendredi 19. Ascendant psychologique aidant sur les Sénégalais, les camarades de Feghouli veulent marquer l'histoire, leur histoire de footballeurs talentueux mais capricieux au goût de certains. Qui choisissent leurs matchs pour d'autres. De mauvaises habitudes que Belmadi a réussi à chasser du lexique de son groupe plus solidaire que jamais et pour qui le devoir a un sens. C'était, en fait, la première victoire de Belmadi. Première victoire de Belmadi : vaincre les peurs des joueurs Un nouvel état d'esprit dans lequel le collectif est la véritable star. Constellée d'étoiles, des joueurs évoluant dans les meilleurs clubs d'Europe et d'ailleurs où ils ont de surcroît tout gagné cette année, l'EN algérienne, version Belmadi, s'est forgé une âme conquérante où la défaite, admise certes par le sélectionneur et les joueurs, est considérée comme un manquement au devoir. La règle que se sont imposée Mahrez et ses frères rappelle à bien des égards les Mousquetaires : «Tous pour un, un pour tous.» Et la magie a fonctionné. Et le peuple a aimé. Désormais Brahimi et consorts ne jouent pas pour eux-mêmes, pour leurs proches et amis. Ils jouent et gagnent pour ceux qui les vénèrent, ces millions de personnes, jeunes, vieux, femmes, hommes et enfants qui ne vivent qu'au rythme des exploits des hommes de Belmadi. Désormais, enhardis par leurs performances exceptionnelles depuis le début de cette Coupe d'Afrique, et ayant bien récupéré des efforts fournis en quarts puis en demies, les équipiers de Raïs M'Bolhi n'ont qu'une dernière marche à escalader pour décrocher la lune. Une juste consécration pour un groupe qui a vacillé dangereusement entre la joie de Porto Alegre et les humiliations qui avaient suivi l'extraordinaire aventure en terre du football. Ce vendredi, l'Algérie retiendra son souffle l'espace de 90 minutes. Pour pouvoir lâcher un grand ouf de soulagement lorsque le Sud-Africain Victor Miguel De Freitas Gomes donnera le sifflet libérateur de la finale. C'est tout le mal souhaité à Bennacer, Mandi, Guedioura et les guerriers de Djamel Belmadi. M. B.