Deux chercheurs - Dr Mike Cooray, professeur à la Hult International Business School, et Dr Rikke Duus de l'Université Catholique de Louvain – cosignent une recherche pour mesurer l'impact des technologies digitales sur les jeunes d'aujourd'hui appelés GenTech pour leur usage effréné des nouvelles technologies.(*) L'enquête se base sur 400 natifs numériques de 19 à 24 ans de la nouvelle génération. « Les résultats de notre recherche pointent vers une frustration et une désillusion sur la façon dont les organisations ont accumulé des informations consommateurs en temps réel, sans que ceux-ci en aient connaissance, et parfois même sans leur consentement. Nombreux sont ceux qui comprennent que leur vie digitale a une valeur commerciale pour une variété d'organisations qui utilisent cette information pour le ciblage et la personnalisation des produits, des services et des expériences », résument les auteurs du sondage. Concernant l'intelligence artificielle (IA) et les algorithmes d'apprentissage, 47% de la « GenTech » ne veulent pas qu'elle surveille leur mode de vie, leurs achats et leur situation financière afin de leur recommander des achats, se réservant « la possibilité d'explorer de nouveaux produits, services et expériences, en toute liberté ». Le rapport de l'homme à la technologie à l'ère du numérique est une éternelle négociation « afin qu'elle prenne ou donne le contrôle », dans ce que les deux chercheurs appellent un « effet de pendule ». Sur la question très sensible de l'accès qu'ont les organisations à leurs données, 54% de la « GenTech » expriment leur inquiétude, seuls 19% sont rassurés sur ce point – le règlement européen sur la protection des données, introduit en mai 2018, y est pour une bonne part, conforté par l'annonce récente de Facebook et Google que la politique de confidentialité est une priorité dans leur interaction avec les usagers. En effet, « les grands opérateurs, à leur tête Facebook et Google, ont dû faire face à une révolte publique envers leur manque de transparence en ce qui concerne la façon dont ils recueillent et stockent les données de consommateurs. Ça ne fait pas si longtemps qu'un microphone caché a été trouvé dans un des systèmes d'alarme de Google. Google prévoie de proposer une fonction d'effacement des données historiques, de localisation géographique des usagers, des historiques de navigation et d'utilisation des apps, et d'étendre son ‘'mode incognito'' à Google Maps et à l'instrument de recherche. Ceci permettra aux usagers de couper tout suivi. » « Chez Facebook, il tient à cœur au P-dg Mark Zuckerberg de repositionner la plate-forme afin d'en faire une plate-forme de communication dédiée à la protection de la vie privée, construite sur des principes comme les interactions privées, le cryptage, la sécurité, l'interopérabilité (la communication entre les App et les plates-formes qui appartiennent à Facebook) et le stockage de données sécurisé. » Face au pouvoir des deux opérateurs, les jeunes s'avouent vaincus puisque 64% d'entre eux pensent aussi qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose afin de protéger leurs données. « Le suivi en ligne est vu comme une part intégrale de la consommation digitale. » Cependant, la révolte couve et un nouveau deal prend forme : les «GenTech » veulent s'approprier leurs données. « Ils les voient comme une marchandise de valeur, qu'ils pensent pouvoir utiliser dans les négociations avec les organisations. 50% d'entre eux partageraient volontiers leurs données avec les entreprises, s'ils obtenaient quelque chose en retour, par exemple une motivation financière. » La balance des pouvoirs entre les deux parties est dite « en réorganisation » : « Les GenTech cherchent une relation transactionnelle avec les organisations. Ceci reflète un important changement d'attitude, d'un point où l'accès gratuit aux plates-formes digitales constituait le "produit" (en échange de données), à maintenant vouloir échanger ces données pour des bénéfices spécifiques. » Un bon exemple illustre cette nouvelle relation tendant à déplacer le pouvoir, des organisations et institutions vers les consommateurs et les citoyens. Il est donné par Sir Tim Berners Lee, le créateur du web, avec sa plate-forme Solid POD (Personal Online Data Storage) qui offre aux usagers la possibilité de prendre en charge le stockage de leurs données, et de décider de qui peut y avoir accès. « C'est une forme de re-décentralisation .» « Nous considérons que ceci est potentiellement un moyen de laisser les individus reprendre le contrôle à la fois de la technologie et des entreprises. » L'étude conclut que « les GenTech se sont rendu compte que la réalité de la vie branchée a d'importantes conséquences sur leur vie privée et commencent à se rebeller, tout en questionnant les organisations qui ont montré peu de préoccupations et continuent à appliquer des pratiques exploitantes ». « Ces signes de révolte ne sont pas surprenants. GenTech est la génération qui a le plus à perdre. Ils font face à un futur entrelacé de technologie digitale, à la fois dans leur vie personnelle et privée. Avec de plus en plus de pression sur les organisations afin qu'elles deviennent plus transparentes, il est temps pour les jeunes de faire un pas en avant. » A. B. (*) Mike Cooray, Rikke Duus, « Technologies digitales : qu'en pensent vraiment les jeunes ? », The coçnersation, 12 août 2019, https://theconversation.com/technologies-digitales-quen-pensent-vraiment-les-jeunes-120539?