De Paris, Omar Haddadou Parfaitement polarisé en matière maritime et la mise en échec des traques sur les flots, l'instigateur des grandes campagnes migratoires clandestines vers Cagliari (île de Sardaigne), alias E'Tayer, traîne ses guêtres à la Chapelle, dans le 18e arrondissement parisien. Condamné par contumace, le jeune Annabi, au palmarès des traversées sans faute, risque une lourde peine en Algérie. A notre journal, il se confie, après moult adjurations. Le Soir d'Algérie : Votre cavale en Hexagone en tant que cerveau des grandes hargas défraie la chronique à l'échelle locale. En êtes-vous conscient ? E'Tayer : Oui, je le sais ! Comme je ne puis me dédouaner du fait que la plupart des familles de Sidi Salem me vouent aux gémonies ouvertement. Certaines mamans continuent à me maudire jusqu'à présent « Ellehla t'rebhou ! » assènent-elles. Mais je ne suis pas le seul dans la région. Ici, 80% de la population est frappée par la précarité sociale. El harga est la seule alternative. J'ai tenté d'exploiter ce créneau. Ça a marché ! J'ai continué ! Excellent timonier, les candidats à l'exil ne jurent que par vous. Vous êtes à l'origine de l'exode massif des contingents de jeunes Algériens désemparés sur la bande littorale est. A quand remonte votre première expédition ? A l'automne 2017. Natif de la ville côtière de Sidi Salem, je connais ce couloir de 373 km comme ma poche. Avant, il n'y avait pas cette recrudescence migratoire vers l'Europe dans notre localité. Mais il a suffi que les primo-partants postent leurs photos et des messages à leurs camarades via les réseaux sociaux, pour que l'effet domino se cristallise. Moi, je les accompagnais moyennant une somme de 580 000 DA. Vous avez entendu ce que vous disaient les jeunes ? Que vous avez de l'expérience quand il s'agit de franchir les avatars de la traversée ? Vers le point de chute, de l'autre côté de la Méditerranée, je peux vous y conduire les yeux bandés. Mais pas aujourd'hui. Vous savez pourquoi (démêlés avec la justice). Quand on a 8 traversées de 18 heures sans pertes humaines à son actif, les demandes se font pressantes. La seule bourde que j'ai commise était celle de me retrouver, un jour brumeux, avec les migrants à Mostaganem, au lieu de progresser vers le nord. J'étais épuisé. On a fait une ellipse à points variés… hak ! tetkiyef ? (Un joint nous est proposé). Il paraît que les gardes-côtes algériens et italiens connaissent très bien votre profil ? Ils tentent surtout de mettre la main sur le gros poisson, en vain. Mais ils oublient que je suis marin-pêcheur de vocation et que mes barques de 7m, c'est moi qui les construisais dans mon propre atelier, au bord de l'eau. A Bouharoun et Bou Ismaïl, je me procurais les moteurs de 40 chevaux pour 250.000 DA l'unité, un GPS à 150 £ et tout l'attirail de première nécessité à moindre coût. En ma compagnie, leouled (les jeunes) avaient droit à la musique raï et un saroukh (missile pour désigner le joint bien dosé). A l'heure où nous échangeons, il n'est un secret pour personne que votre dossier est sur la table de l'autorité judiciaire algérienne. Comment avez-vous accusé ce coup ? Laissez-moi vous dire ceci : même équipées de puissants moteurs de 2600 chevaux, les patrouilles de surveillance avaient de la peine à m'intercepter. Elles ont mis à contribution des indicateurs en faction sur des points culminants stratégiques. Sans succès ! Mais leur travail d'investigation de longue haleine a fini par payer et permis récemment aux procureurs des deux rives de m'identifier, d'établir des procès-verbaux et de lancer un mandat d'arrêt à mon encontre. Avec comme chef d'accusation ? Organisation de la fuite des personnes dont des femmes et des mineurs. Un acte passible de 15 à 20 ans de prison ferme (il l'annonce avec aplomb). Accusé aussi d'avoir compromis les relations bilatérales avec l'Italie. Ce dernier chef d'inculpation ne vient-il pas noircir davantage le tableau ? Ana e'mbassam ! (les migrants annabis utilisent cet argot arabo-dialectal indiquant l'apposition de l'empreinte digitale). Je suis fiché et condamné par contumace. La majorité des harragas, comme ils vous l'ont attesté, ont des ennuis avec la justice. Vous évoquiez, aussi, d'autres faits qui vous ont été reprochés. Je ne sais pas de quoi vous parlez. De votre emprisonnement. Oui, j'ai écopé de six mois de réclusion pour dilapidation, à des fins commerciales, de richesse naturelle à Annaba. Je vendais du corail à des trafiquants italiens. La filière a été démantelée. Je n'ai plus récidivé. Manque de pot, à Paris, vous ratez un casse dans un pavillon cossu du 16e, juste avant votre sortie de la maison d'arrêt, en tant que migrant clandestin cherchant un squat pour dormir. Qu'en est-il de ce dérapage en tête à queue ? Mes deux amis et moi, on s'est fait avoir comme des bleus ! La demeure fastueuse qu'on avait choisie comme abri était inoccupée au moment du cambriolage. Le propriétaire, un retraité, venait de perdre sa femme, quelques jours auparavant. Sous scellés, on a réussi à y pénétrer. C'était un palais à couper le souffle ! Dans la chambre des époux, des bijoux posés négligemment sur la commode nous éblouissaient. L'armoire révélait un vrai trésor. Eperdus de joie, on s'est mis à fumer, à boire et à prendre des photos devant le magot pour en mettre plein les yeux les autres harragas, leur annonçant nos adieux à la misère. Malheureusement, on a fini derrière les barreaux. O. H.
N. B. : les squatteurs avaient omis qu'une telle propriété était sous vidéo-surveillance, reliée directement au commissariat de la circonscription.