Il était une fois, un fou, dans la région d'Ath Douala, en Kabylie, qui marchait et répétait tout le temps : «Ney delmey !» (Alors, j'ai tort !). Cette citation, qui doit certainement avoir un sens ésotérique que seul l'intéressé connaît, est devenue le titre du nouvel album du chanteur kabyle Zedek Mouloud. Ainsi, l'artiste, le vrai, s'inspire de la vie autour de lui, y compris des humbles gens. «Puisque j'ai toujours tort, je continuerai à me battre pour mes idées et mes principes», aurait pu dire l'artiste engagé à certaines parties, notamment à ceux qui l'ont contraint à l'exil. Riche de 14 chansons, Ney delmey (prononcez «negh delmegh»), le 19e album de Zedek Mouloud, sonne aussi comme une hyperbole ironique en réponse à ceux qui doutent encore de sa sincérité quant à son combat identitaire. Chanteur à texte, engagé et convaincu de son combat, il vient interpeller collectivement la conscience avec des chansons qui font mouche plus que n'importe quelle tribune. L'album s'ouvre sur Yemma yemma, sur cette interjection de douleur, où il s'adresse à sa mère à travers une série d'interrogations, la mère et la patrie ne faisant qu'un. Il fait de l'art d'effleurer les détresses de la vie et les travers de notre société un mode de respiration vital qu'il rend avec précision dans la chanson A wer timlilit, en passant en revue toutes les personnes négatives qu'il n'aimerait jamais revoir dans sa vie. Ayant la Kabylie «à fleur des mots», Abrid aqdim remonte les sentiers de son enfance en quête de petits bonheurs partagés avec les enfants de son âge à travers les petits chapardages, la découverte de la faune et de la flore des montagnes, l'émoi du premier coup de foudre qui le surprend au passage d'une jeune fille drapée du pagne propre à la région… Pour la première fois dans sa carrière, Mouloud consacre une chanson, I mimmi, aux enfants. Une berceuse qui résume agréablement quelques fables de La Fontaine (en kabyle) et les contes d'un terroir malheureusement en perdition depuis l'avènement des nouvelles technologies. Adu-nni : quand les vents soufflent, si certains bâtissent des murs et d'autres des moulins, Zedek Mouloud conseille de chercher un abri sûr et de laisser passer la tempête qui se déchaîne… en attendant le retour du printemps qui ne sera que plus beau. Yennayer, la dernière chanson de l'album, est comme une symphonie réunissant les quatre temps (et tons) des musiques kabyle, chaouie, du Rif marocain et du tindi saharien. Entre- temps, l'artiste, dans d'autres chansons, rend hommage à sa femme et à sa grand-mère, parle de ses convictions politiques et autres, évoque la situation actuelle du pays… Dans ce nouveau produit, Zedek Mouloud rend également hommage, sous forme de poèmes écrits sur la jacquette de l'album, à Muh Hennad, son jeune musicien décédé l'hiver dernier, et à sa belle-mère décédée l'été dernier. Zedek Mouloud est né le 13 septembre 1960, à Ath Khelfoun, un village haut perché à flanc des montagnes d'Ath Douala (Tizi-Ouzou). Pour surmonter le quotidien, loin d'être rose en ces temps-là, il se laisse aller à la rêverie. Aussi, il se réfugiait souvent dans la poésie, ce qui l'aida à composer ses premiers vers à l'âge de 12-13 ans. Passionné aussi de musique, il a bricolé de ses propres mains, des années durant, des «snitra» (guitares) à l'aide de petits bidons vides et des bouts de bois, avant de pouvoir gratter sa première vraie guitare à l'âge de 18 ans. Appelé sous les drapeaux, du 17 septembre 1980 au 24 septembre 1982, il se met à composer des musiques pour ses poèmes. Encouragé par son entourage et des amis artistes connus, il lance sa carrière artistique en 1983 avec son premier album, Yemmut d'aghriv, et dans lequel il avait déjà donné le ton de ce que seront plus tard son œuvre majeure et son engagement sans faille et constant pour l'identité kabyle dans la chanson Ay avrid iw, m'liyi avrid ar yism iw. Cet album, qui l'a fait connaître, l'a encouragé à en produire trois autres chez les mêmes éditions, Azwaw. Tout comme ses idoles Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem, Taleb Rabah et Hnifa, il puise son inspiration dans tout ce qui touche à la société, l'école, l'éducation, l'amitié, la solidarité, la nostalgie, des parfums subtils des premières amours avec ses chagrins et ses moments de joie, de la sueur de nos paysans et tant d'autres thèmes. Mais c'est surtout la question identitaire qui fut son combat durant ses trente-six années de carrière artistique. Perfectionniste, il soigne particulièrement ses textes, ce qui lui vaut le surnom d'«Ahadad b'awal», le ciseleur de mots. Il se situe dans la pure lignée de Lounis Aït Menguellet, de Matoub Lounès ou Idir, des artistes qu'il admire et respecte profondément. D'autres artistes ont été aussi pour lui d'une aide précieuse et d'un conseil avisé à l'image de Chérif Hamani, un ami de longue date, et du regretté Matoub Lounès. Au fil du temps, des mots et de l'histoire, il bouscule certaines idées, réveille les consciences et devient le porte-drapeau de l'identité kabyle, adulé par des milliers d'admirateurs qui saisissent les messages clairs et entre les lignes de ses textes bien travaillés. Artiste engagé, il a aussi manifesté son soutien aux non-jeûneurs en 2013, sa manière de dire et de défendre la liberté de culte et d'opinion. Ceci lui a valu depuis d'être écarté des programmes culturels officiels aussi bien à la radio qu'à la télévision. La carrière de Zedek Mouloud est riche de 18 albums. Outre l'Algérie, il s'est produit maintes fois dans de nombreuses salles à l'étranger, notamment l'Olympia de Montréal, le Cabaret Sauvage, l'Alhambra et bien d'autres salles de spectacle mythiques de France, du Canada et même de Philadelphie, aux Etats-Unis. Installé malgré lui en France depuis quelque temps, il a entrepris une tournée à travers les villes françaises avec comme point de départ Lyon, le 10 novembre 2018, au palais de la Mutualité. Il donne également rendez-vous à ses nombreux fans pour d'autres dates pour célébrer Yennayer le 12 janvier 2020 au Zenith, puis à Reims, et le 19 janvier à Toulouse pour des concerts, en attendant la confirmation d'autres spectacles. Kader B.