Comme nous l'annoncions dans nos précédentes éditions, l'élection présidentielle à Brouira s'est déroulée dans des conditions assez particulières, avec d'un côté, une région qui rejette totalement cette élection au point où dans certaines daïras comme M'chédallah, Bechloul et Haïzer, l'opération n'a même pas eu lieu tant les centres de vote avaient été fermés avant même le jour J par les populations locales, et de l'autre, les régions de Sour-el-Ghozlane et Aïn Bessem, où l'opération électorale s'est déroulée sous un air de fête. Yazid Yahiaoui - Bouira (Le Soir) - Cependant, ces deux situations paradoxales sont normales pour une wilaya cosmopolite qu'est la wilaya de Bouira qui regroupe des régions arabophones et berbérophones. Au niveau du chef-lieu et certaines communes de la région de Lakhdaria comme la commune d'Aomar, la journée de jeudi a été vécue dans une ambiance d'émeutes avec des affrontements, marches, destructions des urnes et envahissements des centres de vote, avec comme bilan, des dizaines de blessés de part et d'autre, entre manifestants où l'on compte plus d'une centaine dont trois dans un état grave en ayant des blessures au niveau des yeux, et près de 70 policiers blessés, entre blessures légères et fractures. Chronologie d'une journée pas comme les autres Jeudi 12 décembre 2019. Bouira-Ville. 8 heures. Les centres de vote dont ceux de Larbi-Tebessi, Hadjabi-Brahim, Bachir-Ibrahimi, Ghendouz, Hassiba, ont tous ouvert sous le regard bienveillant de policiers postés aux abords et à l'intérieur. A Ras-Bouira, moins d'une demi-heure plus tard, le centre de vote est envahi par une dizaine de jeunes qui ont pris les urnes avant de les jeter à l'extérieur, sous le regard de policiers qui ne pouvaient rien face à la détermination des jeunes à fermer le centre de vote. Chose faite en deux temps trois mouvements. Puis les choses se sont accélérées. Du côté des quartiers Les Allemands, puis l'Ecotec, la cité Allouache, les centres de vote étaient envahis un à un par les jeunes manifestants qui criaient dès le début «Makanch al intikhabate». Pendant ce temps, les échos parvenaient des autres communes situées dans les daïras de M'chédallah, Bechloul et Haïzer, ainsi que les communes de Ath Laâziz et Aïn Turk, dans la daïra de Bouira, où l'opération de vote n'a même pas eu lieu, les centres de vote ayant été fermés depuis quelques jours et les urnes et autres bulletins de vote n'y étaient même pas acheminés. Les centaines de citoyens d'Ath Laâziz, qui ont fini avec le vote au niveau de leur commune, sont descendus par dizaines qui par fourgons, qui par son propre véhicule et se sont rassemblés à l'entrée nord de la ville de Bouira, face à un dispositif impressionnant de gendarmes mobilisés sur place par centaines et apparemment décidés à empêcher tout accès à la ville de Bouira. En même temps, au niveau de la ville, alors que les esprits s'échauffaient aux abords de certains centres de vote comme c'est le cas pour le centre Bachir-Ibrahimi, où les premières bombes lacrymogènes furent signalées avec jets de pierres par des jeunes, au niveau de la place des Martyrs, une marche a été entamée par les centaines de manifestants rassemblés dès les premières heures de la matinée. Moins de 100 mètres plus loin, un cordon de policiers antiémeutes a été déployé pour arrêter la procession. S'en sont suivis des affrontements et des jets de pierres auxquels ripostaient les policiers par des bombes lacrymogènes. Et comme les réseaux sociaux étaient tous branchés et interconnectés, le centre de vote Larbi-Tebessi fut pris d'assaut par d'autres groupes de manifestants et les urnes saccagées. Du côté nord, les centaines de jeunes et autres citoyens d'Ath Laâziz s'affrontaient avec jets de pierres. Il y a eu des arrestations de certains manifestants par les gendarmes qui essayaient, avec les bombes lacrymogènes, de repousser le flux de plus en plus important de manifestants qui voulaient, coûte que coûte, accéder à la ville de Bouira. Et après plus d'une heure de résistance, les gendarmes ont fini par céder et se retirer, laissant les milliers de manifestants entrer dans la ville de Bouira dont certains étaient déjà, et à cause de la provocation des gendarmes, chauffés à blanc. Ce furent ces manifestants excités qui seront, pendant toute la journée, à l'origine de destruction du siège de l'Anie, qui sera incendié dans l'après-midi aux environs de 14 heures, qui envahissent le siège de la radio, pour obliger les techniciens à cesser tout programme relatif à l'élection et à diffuser les chansons de Matoub Lounès. Moins de deux heures plus tard, alors que les manifestants avaient depuis longtemps quitté les lieux, le programme normal a été repris et, dans la soirée, nous avons appris que le directeur a été limogé… Après l'incendie du siège de l'Anie, les manifestants ont poursuivi leur marche à travers les principaux boulevards et artères de la ville en faisant, vers 15 heures, une virée du côté du siège du la Sûreté de wilaya, pour exiger la libération de tous les manifestants interpellés. Au niveau des urgences de l'hôpital Mohamed-Boudiaf de Bouira, nous avons retrouvé sur place certains manifestants blessés dont trois, touchés à l'œil, étaient pris en charge au niveau du pavillon d'ophtalmologie, tandis que du côté des policiers, ceux-ci ont été évacués vers d'autres structures, nous informe-t-on. Au total, et selon une source hospitalière, ils étaient plus de 180 blessés dont une centaine parmi les manifestants, avec les trois cas graves que nous venons de citer, et plus de 70 policiers. Cela étant, du côté des régions d'Aïn Bessem et de Sour-el-Ghozlane, l'ambiance était bon enfant et l'opération de vote se déroulait normalement mais avec un rythme moins soutenu que d'habitude. D'ailleurs, dans la soirée, à la clôture des bureaux de vote, le taux de participation au niveau de la wilaya était de 21,24%, soit 113 173 voix exprimées sur 532 723 inscrits. Concernant les résultats, alors que les taux n'étaient pas disponibles, l'on nous annonçait que le candidat Tebboune Abdelmadjid arrivait largement en tête, suivi du candidat islamiste Abdelkader Bengrina ; puis les candidats Ali Benflis, Azzedine Mihoubi et enfin, Belaïd Abdelaziz. Hier vendredi, toutes les communes de la wilaya de Bouira étaient calmes. Aux environs de 10 heures, la place des Martyrs commençait à recevoir les premiers habitués des marches du vendredi. Y. Y.