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Abdelmadjd Tebboune, le Hirak et le dialogue
Publié dans Le Soir d'Algérie le 19 - 12 - 2019

Avant Abdelmadjid Tebboune, huitième chef d'Etat algérien depuis 1962, aucun de ses prédécesseurs n'était arrivé au pouvoir dans des conditions normales. Ahmed Ben Bella est arrivé dans les fourgons de l'armée des frontières dirigée par le colonel Houari Boumediène (1). Ce dernier lui a succédé au terme du coup d'Etat du 19 juin 1965. Décédé en cours de mandat, il n'a pu mener son projet de développement à son terme (2).
Son successeur, le colonel Chadli Bendjedid, a été imposé par l'armée et l'aile islamo-conservatrice du régime, pressée de tourner la page du « socialisme boumedieniste » et du non-alignement militant à l'international. Et ce, avant d'être contraint par l'armée à la démission, 12 ans plus tard, le 11 janvier 1992, dans les conditions que chacun connaît. Ensuite, le choix de l'armée s'est porté sur Mohamed Boudiaf, appelé en sauveur, avant d'être assassiné en juin 1992 dans des circonstances non élucidées. Ali Kafi a assuré un intérim qui n'aura pas marqué l'histoire du pays, avant que son ministre de la Défense, le général à la retraite Liamine Zeroual, ne soit désigné président de l'Etat en janvier 1994 après qu'Abdelaziz Bouteflika eut récusé l'offre de l'armée (3).
Liamine Zeroual aura été, en novembre 1995, le seul Président démocratiquement élu de l'histoire, au terme d'une vraie campagne électorale et à l'issue d'une élection présidentielle pluraliste, la première de l'Algérie indépendante, mais dans un contexte de violence inouïe – attentats à la voiture piégée et tueries de toutes sortes ayant fait des centaines de morts (4). L'élection avait, malgré tout, drainé les foules aux meetings des candidats Zeroual, Saïd Sadi et l'islamiste Mahmoud Nahnah. La suite est plus connue, Zeroual démissionne en 1998 à la suite d'une crise au sommet de l'Etat sur laquelle, curieusement, il ne s'est jamais exprimé. Et le choix de l'armée s'est alors porté sur Abdelaziz Bouteflika, unique candidat d'une élection pluraliste : ses sept adversaires dont Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche, Taleb Ibrahimi et Mokdad Sifi, s'étaient retirés de la course pour fraude avérée. Il n'empêche, élu, Bouteflika restera 20 ans au pouvoir, avec les résultats catastrophiques que l'on sait.
L'élection d'Abdelmadjid Tebboune n'a pas échappé à cette règle. Elle est intervenue dans un contexte de crise, dominé par dix mois de soulèvement citoyen, et qui a vu A. Bouteflika renoncer sous la pression populaire à briguer un 5e mandat puis jeter l'éponge.
L'élection de A.Tebboune n'a pas été contestée par ses adversaires comme cela avait été le cas en 1999, 2004 et, surtout, en 2014. Aucun recours déposé. Mihoubi, donné favori, n'a pas protesté. Il semblait même soulagé. Être président de la République était sans doute trop lourd pour l'ancien ministre de la Culture. Reste que la défaite de A. Mihoubi risque de sonner le glas du RND et du FLN qui l'a soutenu. A. Bengrina ? On se demandait si ce n'était pas une erreur de casting ! Quant à Ali Benflis, qui avait flirté un moment avec le Hirak, du moins au début, il a fait un choix qui lui a coûté sa carrière.
Abdelmadjid Tebboune élu, dans les conditions que l'on sait, n'entame pas – c'est le moins qu'on puisse constater – son mandat en position de force. Il est face à une vraie difficulté. Certes, il a fait un geste en direction du Hirak devenu incontournable. Mais il est attendu sur la question des détenus d'opinion, d'autant que la Constitution lui confère des pouvoirs lui permettant de régler la question sans attendre et sans préalable et d'ouvrir la voie pour décrisper le climat, rétablir la confiance et ouvrir un vrai dialogue.
Car s'il y a une leçon à retenir de ces 10 mois de soulèvement populaire citoyen, c'est que l'Algérie ne peut plus être gouvernée comme avant le 22 février. Lui-même, s'il veut gagner en légitimité, devrait s'appuyer sur une base socio-politique renouvelée. Continuer à gérer le pays avec des forces disqualifiées de fait par le Hirak, c'est l'impasse assurée.
H. Z.
(1) C'est à la suite de la crise fratricide de l'été 1962 qui a fait plus de 1000 morts que Ben Bella a pris le pouvoir grâce au clan d'Oujda (Boumediène, Kaïd Ahmed, Bouteflika, Ahmed Medeghri et Chérif Belkacem).
(2) Emprisonné sans jugement, Ben Bella a été remis en liberté en 1982 sur décision de Chadli Bendjedid.
(3) Il voulait, disait-on, les pleins pouvoirs.
(4) Anouar Haddam, un des chefs du GIA et du FIS-dissous, exilé aux USA, déclarait alors à Charq-el- Awsat du 20 août 1995 : «Les combattants de la liberté (sic) ne permettront pas cette élection. Ça je vous le promets», tandis que le GIA demandait de choisir entre «l'urne ou la vie» le 12 septembre 95 !


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