A la question suivante : «Vous écrivez que critiquer la corruption relève du mythe et même que ‘‘c'est une sorte de pathologie politique''. Pourquoi ?», voici la réponse de l'historien Allemand Jens Ivo Engels, spécialiste de l'histoire de la corruption : «Il n'y aura jamais de succès complet dans la lutte contre la corruption, tout simplement parce qu'on ne peut pas définir une fois pour toutes ce qui relève de la sphère publique et de la vie privée. Etait-ce public ? Etait-ce privé ? Il est illusoire de vouloir définir une fois pour toutes ce qui relève de tel ou tel champ. Bien sûr, ce mythe d'une société sans corruption est important car il est l'un des fondements de l'Etat moderne. Il est à la base des principes qui gouvernent l'administration. Mais d'un autre côté, il faut se rendre compte que si l'on pousse le raisonnement jusqu'au bout, tout homme politique est nécessairement corrompu : il y aura toujours un moment où certaines bornes seront franchies. Je ne connais aucun système politique qui fonctionne sans pratiques micro-politiques. Finalement, la critique systématique de la corruption part d'un raisonnement binaire. Il y a ce qui est moral et ce qui est immoral. Mais la réalité est plus complexe. Il faut donc tenir à notre idéal, mais reconnaître qu'il a des limites. On pourrait imaginer qu'un jour on n'adhère plus à ce mythe absolu d'une société sans corruption mais qu'on se mette d'accord sur les frontières acceptables par la communauté.» Jens Ivo Engels, professeur d'histoire moderne et contemporaine à l'université technique de Darmstadt, en Allemagne, est l'auteur de L'histoire de la corruption. De l'époque moderne au XXe siècle (S. Fischer, 2014, non traduit)