Par Ahmed Cheniki Les questions : pourquoi et pour qui �crire, en �voquant une illusoire litt�rature dite maghr�bine d�expression fran�aise, ne manqueraient pas d�interpeller des notions consid�r�es, certes d�finitives, mais qui n�en sont pas moins s�rieusement � interroger : nation, identit�, alt�rit�, hybridit�, inter-culturalit�. Ainsi, serions-nous amen� dans notre article � nous poser de tr�s nombreuses questions permettant peut-�tre d�ouvrir un certain nombre de pistes, en partant de l�id�e de l�existence possible d�une mani�re d��crire particuli�re au Maghreb, mais qui ne fonctionnerait nullement comme un espace n�gateur des tissus critiques europ�ens, d�autant plus que l�Europe coloniale est � l�origine de l�adoption impos�e des formes litt�raires dites modernes dans nos pays. L�alt�rit� est au c�ur de l�exp�rience litt�raire. Mais comment fonctionne-t-elle dans les soci�t�s maghr�bines ? On ne peut nullement parler de la fonction de la litt�rature sans la mettre en relation avec la question de la r�ception. Ecrire, c�est lire. Il y a une sorte de relation dialectique entre l��criture et la lecture. L�une ne va pas sans l�autre. A travers la premi�re lecture du monde et son implication dans les jeux sociaux, l��crivain du Maghreb construit son monde, son univers profond�ment ancr� dans les territoires complexes d�une soci�t� travers�e par de multiples sciures marquant son histoire. Comment arrive-t-il � user d�une langue qui n��tait pas la sienne, condamn� parfois � la transformer pour dire son v�cu ? R�ussit-il justement � en faire un �butin de guerre� efficace, c�est-�-dire � la faire sienne ? Peut-il la d�pouiller de son histoire culturelle, de ses discours ant�rieurs, subissant une certaine m�tamorphose ? Sa propre m�moire, c�est-�-dire celle de son �peuple�, s��gare-t-elle d�finitivement ou appara�t- elle comme un syst�me de signes latents dans les espaces interstitiels de l��criture ? Les exp�riences de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Rachid Boudjedra sur l�impact de leurs textes dans la soci�t� ne manquent pas d�interpeller le critique. Aussi, cherche-t-on souvent � rencontrer leur public, � travers une autre mani�re d��crire ou m�me une nouvelle aventure esth�tique et artistique comme chez Kateb Yacine. Les jugements sentencieux de Lacheraf sur la question de la r�ception sont, peut-�tre, l�expression de ce malaise. C�est autour de ces questions que s�articule notre texte qui risquerait de proposer encore d�autres questions appel�es � occuper le r�le trop ingrat de �propositions�. Une plong�e dans l�Histoire est n�cessaire pour aborder la question de l�alt�rit� et de la litt�rature de langue fran�aise au Maghreb. Tout avait commenc� par une sorte d��hypoth�que originelle� pour reprendre cette belle expression du sociologue tunisien Mohamed Aziza, qui permit peut-�tre la d�couverte de l�alt�rit�, celle-ci fortement impos�e, mais non adopt�e dans une situation d��change, engendrant de terribles c�sures. Ainsi, les Maghr�bins ont d�, malgr� eux, accepter de reproduire les diff�rentes formes de repr�sentation europ�ennes dans des moments historiques marqu�s par une extraordinaire faiblesse, les incitant � d�laisser leurs propres formes. L�alt�rit� est, au m�me titre que le langage, une affaire de rapports de force. Les Maghr�bins d�couvraient tragiquement l�alt�rit�. Les �lites, notamment celles qui allaient s�exercer au m�tier d��crivain, d�couvraient l�ambig�it� de leur fonction, condamn�s � user d�une langue qui ne leur appartenait pas, de surcro�t trop marqu�e historiquement et socialement, se voyaient prendre une distance avec leur soci�t�, au d�part peupl�e d�une �crasante majorit� d�analphab�tes. Ce n�est pas pour rien qu�un des personnages de Nedjma de Kateb Yacine ne s��tait pas emp�ch� de faire ce douloureux constat : chaque mot fran�ais que j�apprenais m��loignait davantage de ma m�re. L�adoption de la forme romanesque et du th��tre que les Maghr�bins ont appris � conna�tre, suite � la tragique rencontre avec la colonisation, pose plus probl�me que l�usage de la langue elle-m�me. C�est la structure elle-m�me de la repr�sentation qui d�termine la mise en �uvre de tel ou tel discours. Ecrire en arabe ou en fran�ais des romans ou des pi�ces de th��tre �tait d�j� un pi�ge, au m�me titre, bien entendu, que les autres formes de repr�sentation politiques, sociologiques ou culturelles. Le roman et le th��tre sont des arts import�s, ob�issant � leurs propres normes et � une logique particuli�re. Mostefa Lacheraf avait, dans les ann�es 1950, avanc� l�id�e que les �crivains de l��poque ne s�adressaient qu�� un public fran�ais, loin de leurs populations occup�es par leurs propres formes qui �taient, bien entendu, aussi parfaites que les structures europ�ennes. Le fait d�adopter les formes europ�ennes, notamment litt�raires, engendre de s�rieux malentendus et provoque la r�surgence permanente de graves c�sures. Si l��cole fran�aise n��tait pas ouverte � tous les Maghr�bins, parfois boycott�e par eux, une �lite intellectuelle s��tait, par contre, constitu�e et avait commenc� par assimiler la culture de l�Autre et, paradoxalement, contester le pouvoir colonial en usant de sa langue. Le d�but du XXe si�cle a constitu� un moment essentiel dans l��veil culturel des �lites maghr�bines. Le colonis� prenait conscience de la n�cessit� de se nourrir de la culture du colonisateur consid�r� comme �l�ment fondamental de la �modernit� �. L�adoption des formes de repr�sentation europ�ennes ob�issait � la n�cessit� de poss�der une culture utilitaire, nourrici�re. Jamais les Maghr�bins n�eurent autant de mal � choisir une culture qui ne leur appartenait pas. L�autochtone avait d�j� sa propre culture, souvent bloqu�e et fossilis�e par une pr�sence turque qui rendait toute action nationale peu probable et ruinait les possibilit�s d��volution. L�Europ�en venait bouleverser l��tat mental et la vie sociale du Maghr�bin. La transculturation assum�e, parfois revendiqu�e, affecta tous les courants culturels et politiques. Le regard �clectique et �tranger port� sur le corps du colonisateur correspondait paradoxalement � la mont�e du nationalisme. Une culture embryonnaire marqu�e par les soubresauts politiques de l��poque et les emprunts de traits �vidents d�une autre soci�t�, industrialis�e et �moderne�, soutenue par �un effort de survie biologique �, commen�ait � voir le jour durant le d�but du XXe si�cle, au fur et � mesure que s��puisait et devenait caduc le patrimoine culturel jalousement pr�serv�, mais contenant parfois sa propre scl�rose. C�est � une exp�rience de type syncr�tique que nous avons affaire. L�adoption du th��tre et de la litt�rature par les Maghr�bins correspond � une n�cessit� sociale et historique et � des manifestations latentes. L�emprunt est souvent v�cu par les peuples domin�s comme une sorte d�excroissance suspecte ou un espace d�ali�nation n�gative. Dans ce contexte, la repr�sentation litt�raire associait en quelque sorte les �l�ments du terroir qui traversaient toute la soci�t� et la nouvelle structure qui apportait de nouvelles donn�es et imposait sa propre forme. L�appropriation du th��tre et de la litt�rature n�excluait pas la pr�sence de faits culturels autochtones caract�risant le fonctionnement de la repr�sentation. Des pi�ces �syncr�tiques� o� se faisaient voir les gestes du conteur et l�espace th��tral voyaient le jour. Depuis l�adoption du th��tre et du roman, de nombreux traits et �l�ments appartenant � diff�rentes cultures s�interpellent, s�entrechoquent et s�interp�n�trent dans la repr�sentation dramatique et litt�raire. Certes, les structures emprunt�es dominent, mais n�effacent pas de l�imaginaire collectif les espaces culturels autochtones qui refont surface dans toute situation de communication. C�est d�ailleurs dans ces conditions qu�apparaissent dans de nombreux textes dramatiques et litt�raires des r�sidus et des stigmates d�une m�moire populaire r�fractaire � tout embastillement et � toute fermeture. L�assimilation du mod�le fran�ais n�effa�a pas les lieux culturels populaires qui se manifestaient dans les pi�ces et les romans �crits par les auteurs trop marqu�s par l�imaginaire collectif et les stigmates de la litt�rature populaire. C�est vrai que plusieurs formes �traditionnelles� connurent une disparition certaine, une fois le th��tre et les formes litt�raires europ�ennes adopt�s par les Alg�riens, et surtout sous la pression des changements et des �v�nements qui secouaient de fond en comble la soci�t� alg�rienne. C�est ce que le sociologue tunisien appelle �hypoth�que originelle� et Jean Duvignaud, pour d�crire ces nouvelles r�alit�s, nomme �les mythes et les id�ologies dramatiques �. Si l�on interroge la r�alit� du th��tre en Alg�rie durant le d�but du si�cle, on s�aper�oit que ses premiers promoteurs Allalou, Ksentini et Bachetarzi qui emprunt�rent le moule europ�en ne purent se d�tacher s�rieusement de la force magn�tique que constituait le fonds dramatique populaire qui investissait l�imaginaire et la culture de ces trois auteurs. La pi�ce th��trale ob�issait, certes, � la forme europ�enne d�agencement, mais devenait �galement un lieu qui cristallisait, volontairement ou non, les signes latents de la culture populaire. La structure du conte investissait toute la repr�sentation. La po�sie, souvent pr�sente dans les espaces populaires, articulait le texte et devenait le centre de l�action. Comme d�ailleurs la parole qui impr�gnait le jeu et les performances des com�diens et d�terminait les grandes figures g�om�triques et les d�placements sc�niques. La m�moire s�introduisait par effraction dans un univers nouveau qui ne pouvait r�sister � cette incursion qui transformait la structure th��trale. Profond�ment ancr�s dans l�imaginaire populaire, les faits culturels originels se r�veillent, de fa�on d�sordonn�e et �parse, au contact de valeurs et de formes ext�rieures. La latence est marqu�e par la dur�e. Les signes latents caract�risent le v�cu social et restent en �veil, en attente. La culture populaire, pr�tendument disparue et consid�r�e comme d�finitivement morte, se m�tamorphose subitement et r�ussit jusqu�� transformer les formes dites savantes. C�est surtout l�inattendu qui caract�rise cette intrusion dans des espaces apparemment ferm�s. Ainsi, l�emprunt, souvent latent, parcourt les lieux peu �herm�tiques � et accueillants de la forme emprunt�e. Les marques ext�rieures ou exog�nes ne peuvent donc effacer, de mani�re d�finitive, les structures internes ou endog�nes. Ces structures, productions investies de savoir et d�histoire, investissent la repr�sentation dramatique alg�rienne. Les textes contiennent, bon gr� mal gr�, les r�sidus de la culture originelle qui ob�it tout simplement au primat de l�appareil th��tral et romanesque. Les pi�ces de th��tre, par exemple, ob�issent fondamentalement, sur le plan de l�agencement, � la structure th��trale de type europ�en, mais se caract�risent souvent par un fonctionnement circulaire, lieu du conte populaire, mettant �galement en �uvre le fantastique et le merveilleux. La satire sociale investit le parcours narratif du conte. De nombreux th�mes et des personnages puis�s dans le fonds populaire se retrouvent r�investis dans les pi�ces de Allalou, Bachetarzi, Ksentini, Touri et les romans de Debbeche, Dib, Feraoun et Ouary. Dans son th��tre, Kateb Yacine articulait la structure narrative autour du personnage de Djeha (devenu, pour la circonstance Nuage de Fum�e ou Moh Zitoun) qui se transformait radicalement sur sc�ne et qui devenait le centre d��v�nements actuels. Cette association syncr�tique de deux formes apparemment antith�tiques marquait la repr�sentation artistique et litt�raire alg�rienne. Kateb Yacine, Abdelkader Alloula, Ould Abderrahmane Kaki et Slimane Bena�ssa repr�sentent largement ce courant qui reprend volontairement certains �l�ments de la culture populaire. Kateb Yacine, qui faisait appel � Djeha, tentait de d�multiplier les espaces et les temps en fragmentant le r�cit, provoquant ainsi la mise en ouvre d�une relation tout � fait productive avec le public, comme il avait d�j� fait dans ses romans, Nedjma et Le polygone �toil�. Le temps mythique, celui du conte, agitait les contours d�instances temporelles actuelles, concr�tes et se conjuguait avec des espaces souvent pr�cis�s, d�termin�s par l�auteur. La d�multiplication des temps et des espaces et la pr�sence du merveilleux et du fantastique apportaient aux pi�ces une dimension po�tique et engendraient un morcellement du parcours narratif. Cette fragmentation spatio-temporelle caract�rise substantiellement le mouvement narratif dans la production romanesque de Rachid Boudjedra qui convoque intentionnellement l�espace m�moriel qui ne s�embarrasse nullement de politesse pour p�n�trer avec effraction dans la structure des textes. Le discours originel laissait place � une transmutation dramatique et litt�raire qui met l�une � c�t� de l�autre deux conceptions du monde et de l��criture. Cette transmutation du langage op�re un surinvestissement du sens et met en mouvement un geste double, concourant, paradoxalement, � la mise en �uvre d�une unit� discursive. Ce nouveau mode d��criture se met paradoxalement au service d�une structure externe ou exog�ne qui impose sa primaut� au niveau de la repr�sentation d�finitive. Les signes portent et produisent un syst�me de repr�sentation engendrant une sorte d�ambivalence discursive. Plusieurs auteurs utilisent des r�cits et des histoires puis�s dans le patrimoine litt�raire. Les �crivains n�ont pas tous rompu avec les jeux privil�gi�s de la culture populaire. Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Malek Ouary, Kateb Yacine, Rachid Boudjedra, Tahar Djaout, Amine Zaoui ont explicitement revendiqu� la part de la culture populaire dans leurs travaux litt�raires. Mais d�j�, implicitement, leurs textes sont s�rieusement marqu�s par la pr�sence de r�sidus puis�s dans la culture de l�ordinaire. La structure circulaire, en spirale, la fragmentation du r�cit, la sc�nographie et les jeux de situation ne sont pas �trangers au discours populaire qui cultive une certaine �tranget� � l��gard du genre romanesque ou th��tral, donnant � voir deux univers structuraux, engendrant une unit� discursive diss�min�e, c�est-�-dire cultivant une certaine m�fiance. Dans de nombreux textes, l�alt�rit� s�inscrit dans une structure ternaire (moi et l�autre � la fois, en face de l�Autre), d�termin�e par une double �nonciation et une nouvelle forme de langage malheureusement pi�g�e par le primat de l�appareil romanesque ou th��tral. Youn�s dans le roman de Yasmina Khadra est travaill� par une posture trivalente faisant cohabiter le moi et l�autre, nourri par l��cole et l�Autre, l��tranger qui ne l�accepte pas totalement. La fronti�re est t�nue, floue entre le Moi et l�Autre. Ce double hiatus ou ce d�doublement paradoxal nourrit de nombreuses productions litt�raires et th��trales. Les textes romanesques et dramatiques de Mohammed Dib par exemple, surtout apr�s 1962, convoquent des entit�s doubles, les personnages, le temps et l�espace sont fractur�s, travaill�s par un s�rieux d�doublement. Les personnages, souvent en crise, ne semblent pas trop concern�s par une illusoire identit� ou une nation trop fragile, trop mouvante. La production litt�raire et dramatique dans les pays du Maghreb, per�ue comme une litt�rature p�riph�rique, d�sign�e comme �francophone �, c�est-�-dire singuli�re, ballott�e entre un discours s�autoproclamant postcolonial et une propension � une qu�te de territoires et d�identit�s illusoires, donne � voir un univers syncr�tique paradoxal et une alt�rit� � trois facettes, posant in�luctablement la question de la place du sujet dans l��conomie g�n�rale des textes litt�raires et dramatiques. Cette double posture du centre et de la p�riph�rie, obsessionnellement pr�sente dans le discours francophone, se retrouve �galement reprise par les tenants du discours postcolonial qui reprennent parfois des id�es contestables de Frantz Fanon et d�Edward Sa�d qui, malgr� le magistral d�montage du fonctionnement du discours colonial, tombent parfois dans le travers qu�ils d�noncent en rejetant l��Occident� dans sa totalit�, privil�giant les jeux trop peu clairs de la g�ographie dans la d�finition des rapports entre un Tiers-Monde cens� �tre pur et un �Occident� corrompu et violent. Comme l�a fait Sartre dans sa pr�face � l�Anthologie de la po�sie n�gre et malgache, Orph�e noir, c�l�brant une po�sie noire, la seule r�volutionnaire. Comme d�ailleurs Homi Bhabha qui, dans sa proposition de mettre en �uvre l�id�e d�hybridit�, semble oublier que l�hybridit� caract�rise tout discours social et litt�raire. L�essentialisme et les jeux d�une nostalgie d�un pass� mythique ne sont pas loin, rejoignant ainsi le regard binaire d�une pens�e europ�enne nourrie des r�sidus de la culture chr�tienne, � l�image de Paul Ric�ur ou d�Emmanuel Levinas qui voient le monde, en partant de leur propre centre, pour reprendre Mohamed Arkoun, �vacuant les autres territoires. D�o� aujourd�hui, se pose la n�cessit� d�un questionnement des diff�rents territoires ontologiques et �pist�mologiques pr�sidant la pens�e europ�enne. La critique litt�raire reprend souvent, comme espace fondateur, Aristote et articule son discours autour de ce lieu de l�gitimation du parcours historique et �pist�mologique europ�en. Les sp�cialistes maghr�bins reprennent justement, sans les interroger, les territoires notionnels puis�s dans cet univers, reproduisant le regard fond� sur une alt�rit� limit�e, excluant d�autres espaces. Cette mani�re de faire reprenant l�id�e centrale du discours grec, illustr�e par l�hypertrophie du moi, p�jorant les autres cultures, est paradoxalement pr�sente dans les interventions des sp�cialistes maghr�bins de la litt�rature. Une lecture de nos th�ses et de nos m�moires, comme de la production romanesque et du discours critique, nous permettrait de nous rendre compte de la reproduction automatique des mythes grecs et europ�ens. Ce qui limite ainsi les jeux de la r�flexion faisant du locuteur maghr�bin un simple r�p�titeur de la parole de l�Autre sans une interrogation approfondie du parcours notionnel et de la possible application op�ratoire des grilles et des espaces interpr�tatifs, en r�fl�chissant � cette notion de �syncr�tisme paradoxal � qui partirait de l�id�e de la pr�sence dans notre imaginaire d��l�ments duaux marqu�s par les jeux de la m�moire indig�ne ou autochtone et de l�histoire europ�enne, tragiquement install�e avec, essentiellement, la colonisation, venant se greffer sur celle-ci et se comportant comme espace dominant. L�enseignement des litt�ratures du Maghreb dans nos universit�s reste parfois marqu� par une lecture trop conventionnelle des textes et une relative absence de leur mise en relation avec les espaces imaginaires maghr�bins, comme si le texte devait �tre embastill� dans des sch�mas �conceptuels� europ�ens, se pr�tant � un jeu de miroirs, r�pondant � l�attente de l�Autre. Ce retour du texte est une sorte d�assimilation qui ne dit pas son nom. Aussi, souvent, cherche-t-on � �crire pour faire plaisir � l�Autre. Mohamed Arkoun parle ainsi du d�sir de l�Autre d�inciter l��trange �tranger � s�assimiler : �L�Autre est ainsi vraiment l��tranger radical, qui ne peut entrer dans mon espace citoyen ou dans mon espace de valeurs religieuses et/ou d�mocratiques que s�il se convertit ou s�assimile, comme on dit encore � propos des immigr�s.� Notre intention n�est nullement d�exclure tout apport �tranger de toute exploration critique, ce qui est une entreprise impossible, ou de c�l�brer un pass� r�volu ou une authenticit� biais�e. La colonisation a permis la d�couverte d�une alt�rit� impos�e, provoquant une profonde coupure �pist�mologique et l��mergence d�un nouveau langage, d�un nouveau discours et de nouvelles attitudes. Tout cela engendre de nouvelles formes plus complexes, nourries d�une double culture, l�une impos�e, l�autre v�cue. Toute lecture devrait prendre en consid�ration ces param�tres. Arrivera-t-on � �d�nationaliser� les textes, pour reprendre la belle formule de Pierre Bourdieu ? Une nouvelle critique des litt�ratures du Maghreb, lib�r�e de certains carcans conventionnels, est-elle possible ? Une autre lecture du fait litt�raire maghr�bin est-elle possible ? Est-il possible de revoir les outils critiques pouvant correspondre � une autre r�alit� ?