, vraiment. C'est un état d'âme. Je n'ai pas le choix, c'est comme ça. A chacun ses moments de vacuité. C'est mon tour, aujourd'hui. Puis, je sais au fond que les débuts et fins d'année ne me réussissent guère. J'ai cherché à en comprendre les raisons, en vain. Je dois avoir un fonds de déprime, naturellement. Je gère l'événement à ma façon. J'ai pris ma tire et pris le chemin du centre-ville, pensant que le temps, que je passerai dans la circulation, ferait taire mon angoisse. En termes de circulation, je n'ai pas à vous faire un dessin ; c'est le comble. A croire que personne ne circule à pinces. Nous sommes tous dans nos bagnoles, fiers de nos ferrailles. Pare-choc contre pare-choc, quand nous ne faisons pas hurler nos klaxons, on rajoute de l'angoisse au tourment. J'ai fermé les quatre vitres des portières, j'ai mis un cd de Léo Ferré. Je croyais naïvement que le plus anarchiste de la chanson française allait me remettre les idées en place. Tel est pris qui croyait prendre ! Je me suis jeté dans la gueule du loup. Ferré qui chante, de sa voix haute : « La mélancolie, … c'est un désespoir qu'a pas les moyens. » Comment voulez-vous que le moral remonte ? Bien au contraire, je voyais flou. Je prends le chemin de droite ; il faut que je m'arrête impérativement. Je dois sortir de ce tacot. Marcher me ferait du bien. Du moins, je vais essayer cette solution. Je vais voir l'ami Mus. Il est de bonne compagnie. Il pourra certainement m'enlever de la caboche ce fusible qui fait des siennes. Je le trouve à sa place, fidèle ami. Après les salamalecs d'usage, la palabre s'entame. Je ne sais pas comment la discussion s'engage sur le football. Il est vrai que Mus est un féru de ce sport. Il fut footeux dans une autre vie. « J'ai vu le match de la JSK contre le RAJA. Nuls, ils étaient nuls nos joueurs. Incroyable, ils ne savent pas jouer. Il n'y avait aucune construction de jeu. Il est normal que la JSK soit éliminée… Je crois que l'entraîneur… » Je l'écoutais complaisamment. Franchement, je suis loin, très loin, du football, de la JSK et de toute autre équipe. Je m'en fous royalement, comme de ma dernière paire de chaussettes. Je pensais trouver du réconfort auprès de cet ami, il me remet avec ses histoires de pousse-ballon dans la ronde infernale d'une journée cafardeuse. Attendez, je ne lui ai rien dit. Je respecte les aînés. Le droit d'aînesse est sacré. Je l'ai laissé dire. Il faut bien qu'il vide son sac. En attendant, je me morfondais au fond de moi, comme un condamné dans sa geôle. Ne me tenant plus dans mes chaussettes, j'ai fait un geste involontaire, et j'ai envoyé valser le téléphone de mon pote ; oui, il a subi des dommages. Il y a des jours comme ça où tout va de travers. Aujourd'hui, c'est mon jour. C'est comme ça, je tourne en rond. Une dépression masquée ? Non, du tout ! De la monotonie ? Certainement ! Une peur sans objet ? Aussi ! L'usure ? Ah, oui, l'usure, jusqu'à la corde ! Je me mets à côté. J'ouvre ma page Facebook, zaâma. Que vois-je ? Un hurluberlu, criant à qui veut l'entendre, avec une paire de lunettes à la Gim's, que Yennayer n'est pas une fête du tout. Que c'est haram. Que c'est païen. Que c'est pas bien. Que c'est pas de chez nous. Que c'est… Que c'est… Que c'est… Et vas-y que je touille la haine. Et vas-y que j'appelle à la haine. Et vas-y que j'éructe la haine. Je pensais trouver un bouquet de fleurs virtuelle dans cet espace virtuel. J'avais tout faux. Je tombe sur un énergumène qui vient vendre sa salade à deux sous. D'où tient-il toute cette haine ? Pourquoi toute cette haine ? Ce bipède veut simplement nous enlever de la surface de la terre algérienne. Dieu n'y est pour rien ! L'islam, non plus ! Ce n'est pas du sang qui coule dans les veines de ce gus, c'est de la nitroglycérine. Ça a rajouté de la déprime à ma déprime. C'est pour quand le « vivre-ensemble » en Algérie ? Je presse le pas. Je vais à ma librairie préférée. J'achète un recueil de poésie. Les épines et la fleur, de Mohamed Aïssati (édition La Pensée, 2019), pensant trouver un palliatif à la viduité de mon cœur. Ouais, je me suis dit que la poésie agit comme un dictame sur des mains esseulées. Je l'ai même appris à l'école. Je saute la présentation. On ne présente pas un recueil de poésie. Du moins, pour moi ! Je me mets à lire le premier poème. Il a pour titre Coulée de miel. Je me dis « Chouette, du miel, c'est bon signe. » Je me mets à lire le texte. Tout est bon ! Mais la chute m'a fichu une gifle. Et m'enfonce davantage dans mon état d'asphyxie. Je vous le donne en mille : « Coulée de miel/Tombant du ciel/Entre la terre et l'infini divin/Repose sur des étoiles de satin/Insistant de beauté et de lueurs/Eclaboussant de lumière/La terre, les mers et le ciel/Sont-ils éphémères et artificiels. » (page 6) Pourquoi donc cette question ? J'étais entre le ciel, les mers, les étoiles, le satin, la beauté, la lumière. Je me sentais bien. Je commençais à prendre de la hauteur. A m'extraire de ma gangue. Puis, le poète – comme pour se distinguer – me rejette dans l'éphémère et l'artificiel. C'est tout cela que je veux éviter, aujourd'hui. Je prends mon téléphone. J'appelle un ami, un ami lointain. Lointain par l'absence ! Un ami que je vois une fois toutes les années bissextiles. Chaque 29 ! La sonnerie s'entend clairement. Ça sonne. Ça sonne. Ça sonne. Rien ! L'ami ne décroche pas. Comme à ses habitudes, il fait du silence une forme de piété. Qu'à cela ne tienne, je suis maintenant habitué. Un ami, ça reste un ami. Il faut le prendre tel qu'il est. Je ne sais plus pourquoi il est mon ami. Par défaut, peut-être. A moins qu'il y eut, au temps de l'insouciance, des atomes crochus. Puis, le temps est venu mettre sa sale gueule au centre d'une gestuelle de douceur. Bref, je me rends à mon café habituel. Je commande un thé-maison. Pas le thé-sachet. J'ai en horreur ce dernier. Au coin du zinc, j'attends qu'on me serve. Puis, le téléphone se met à sonner. Au fait, nos sonneries sont stridentes. Presque tous les consommateurs ont mis la main sur leur bidule. Non, c'est pour moi ! Tiens, mon ami, qui confond amitié et silence, me rappelle. Je fixe bien l'écran. Il y a bien son nom affiché clairement. En toutes lettres. Je laisse sonner. Je prends une gorgée de thé. Délicieux ! La sonnerie est maintenant très nette. Comme si le téléphone s'impatientait ! Je laisse toujours sonner. Je ne réponds pas. Je ne répondrai pas. Je renvoie mon ami à son silence. Il y est à sa mesure. Je n'ai pas le droit de le déranger dans ses certitudes. A l'avenir, je ferai comme ça. Oui, du tout ou rien ! Je vais m'y faire, moi aussi. Puis, dans mes moments de crise, je tournerai en rond jusqu'au vertige. Voilà, je tourne en rond. Et j'y mets un point final à cet espace de parole ! Y. M.