Par Dr Mourad Betrouni Cette contribution a été inspirée par les propos du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le professeur A. Chitour, prononcés à l'occasion de la cérémonie d'installation des membres de la Conférence nationale des établissements publics à caractère scientifique et technologique, le dimanche 19 janvier 2019, à Alger. C'est surtout l'idée de séparer la gestion administrative de la gestion scientifique, pour une meilleure visibilité de l'université, qui a suscité notre intérêt et nous a rappelé une réflexion que nous avions menée sur la recherche archéologique en Algérie, dans la perspective d'une politique nationale. Nous voulions profiter de cette occasion, pour la partager, à travers les colonnes du Soir d'Algérie. La mise en place d'une politique nationale de recherche scientifique en archéologie passe, d'abord et nécessairement, par l'accès à un même entendement des notions, concepts et terminologies utilisés dans ce domaine, ensuite, par leur mise en cohérence et en conformité avec les instruments et mécanismes juridiques et administratifs. Etat des lieux Si nous tentons un état des lieux de la recherche archéologique en Algérie, nous réalisons, d'emblée, l'existence d'une ambiguïté entre deux notions fondamentales : la «fouille archéologique» qui, par sa nature destructive (fouiller, c'est détruire, enlever), relève de la protection régalienne de l'Etat, au titre du patrimoine culturel, et la «recherche archéologique», qui procède de normes et protocoles d'une discipline scientifique, l'archéologie. Cette ambivalence a empêché, jusque-là, toute formulation d'une politique de recherche dans le domaine de l'archéologie, qui aurait autorisé la mise en place de mécanismes de planification, d'évaluation et de suivi du capital connaissance et savoir scientifique archéologique en Algérie – car il y a des connaissances et un savoir scientifique archéologique sur l'Algérie, qui ne procèdent pas de la politique nationale de la recherche archéologique et qui relèvent d'ancrages extra-nationaux. - De l'autorisation de recherche archéologique (1980) La confusion entre fouille et recherche archéologiques a pris forme au courant de l'année 1980, avec la promulgation d'un arrêté ministériel relatif aux autorisations de recherches archéologiques.[1] Pour la première fois, fouille et recherche archéologiques vont être associées et confondues dans un texte réglementaire, dérogeant à un dispositif législatif de l'ordonnance n°67-281 sur les fouilles et la protection des sites et monuments historiques et naturels, qui distinguait explicitement les deux notions. Dans son titre II, intitulé «Des Fouilles», en article 6, cette ordonnance stipulait que «le ministre chargé des Arts est seul habilité à faire entreprendre ou à autoriser des fouilles ou sondages, à l'effet de recherches de monuments ou d'objets pouvant intéresser l'histoire, l'art ou l'archéologie». A aucun moment, il n'est question de recherche archéologique, une activité qui relève d'un autre champ paradigmique. L'arrêté du 17 avril 1980 a été pris dans un contexte national marqué par un bouillonnement politique autour de la question identitaire berbère (évènements du 20 Avril 1980). Il serait intéressant de rappeler certaines de ses dispositions, pour mieux situer sa portée et ses incidences sur le champ d'exercice de la recherche archéologique dans ce contexte. Son article 1er est éloquent : «Aucune recherche archéologique ne peut être effectuée sur le territoire national par des chercheurs appartenant à des universités ou autres institutions scientifiques sans l'autorisation préalable du ministre de l'Information et de la Culture». Une disposition davantage renforcée par un article 2 qui précise que : «Les recherches archéologiques sont effectuées avec la participation des services chargés de l'archéologie du ministère de l'Information et de la Culture. Les chercheurs de ces services intéressés par le thème de recherche soumis à autorisation participent d'office aux travaux envisagés». Cet arrêté ministériel légalise l'interdit, non pas de la fouille, mais de la pratique de la recherche archéologique. Il s'adresse expressément aux chercheurs des universités et des institutions scientifiques, porteurs de projets de recherche archéologique, en s'installant sur le terrain de l'évaluation et du contrôle scientifique de la recherche. Sur le plan législatif, l'ordonnance n°67-281 avait donné tutelle exclusive au ministre «chargé des Arts», en l'occurrence le ministre chargé de la Culture, pour autoriser ou faire entreprendre des fouilles, au titre de la protection du patrimoine archéologique. L‘article 18 est très clair sur ce sujet : «Le ministre chargé des Arts peut, le cas échéant, autoriser des personnalités scientifiques ou des chercheurs, délégués par des organismes scientifiques, à effectuer des fouilles sur des terrains lui appartenant ou non…» [il] «retirera les autorisations de fouilles si les prescriptions imposées pour l'exécution des recherches ne sont pas respectées…». La distinction entre fouille et recherche archéologiques est bien affirmée ici. Il y a lieu de signaler, s'agissant des fouilles et des sondages archéologiques, que l'autorité de tutelle est dévolue au seul ministre «chargé des Arts», qui ne peut déléguer cette autorité à quelques autres services d'administration. - L'Agence nationale d'archéologie et de protection des sites et monuments historiques (1987) En 1987, le ministère de la Culture et du Tourisme crée une Agence nationale d'archéologie et de protection des sites et monuments historiques (ANAPSMH),[2] dans un contexte national marqué par un débat institutionnel sur la recherche scientifique et technologique en Algérie, initié par le Haut Commissariat à la recherche (HCA).[3] Le sujet portait, notamment, sur les établissements et organismes sous tutelle, éligibles à l'exercice de la recherche scientifique, telle que définie dans les statuts de la recherche. Par éligibles, s'entendait l'existence d'un potentiel chercheurs requis et d'un programme de recherche conséquent. C'est en réponse à cette attente que l'Agence a été créée, sous le statut d'un établissement public à caractère administratif (EPA). Outre les attributs classiques d'inventaire, d'étude, de conservation, de restauration, de mise en valeur et de présentation au public du patrimoine archéologique et historique (article 3), cette agence se voit transférer des pouvoirs régaliens qui, d'ordinaire, relèvent du champ législatif qui, plus est, pour certains aspects, sont l'exclusif du seul ministre «chargé des Arts» : «entreprendre par des moyens appropriés, les fouilles archéologiques programmées dans le cadre de son plan d'action annuel», «assurer le suivi des autres fouilles effectuées par d'autres personnes publiques et privées, nationales et étrangères», «effectuer des fouilles de sauvetage», «étudier et donner un avis sur les demandes d'autorisation de recherche archéologique émanant de scientifiques ou d'organismes publics ou privés nationaux ou internationaux», «suivre et contrôler toutes recherches archéologiques effectuées par des chercheurs et organismes nationaux et étrangers», «veiller à la stricte application de la législation et de la réglementation en matière de recherche archéologique», «évaluer périodiquement les travaux de recherche», «suivre les progrès en matière de recherche archéologique dans le monde…». Il serait trop long pour revenir sur cet épisode et ses incidences sur la recherche archéologique en Algérie ; l'enseignement à en tirer est cette position de monopole conféré au secteur sur l'archéologie, qui va le dispenser et l'exempter – s'agissant de la recherche archéologique — des exigences de la planification, de l'évaluation, du contrôle et du suivi par les instances nationales de la recherche scientifique. Résultat : ni le statut de recherche, ni celui chercheur ne seront étendus aux institutions du secteur chargé de la culture. Le CNRPAH[4] et le CNRA[5] constitueront les deux exceptions qui dérogent à la règle. Le premier est un héritage de la dissolution du Crape[6] et le second, celle de l'ANAPSMH. - La loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel (1998) Après une dizaine d'années de pratique archéologique (fouille, recherche), sous le contrôle et le suivi de l'ANAPSMH (1987-1998), une nouvelle loi sur le patrimoine culturel est promulguée le 15 juin 1998 : la loi n°98-04, portant protection du patrimoine culturel. Son titre V est intitulé : «Les recherches archéologiques». La recherche est mise au pluriel. Nous ne sommes plus dans le titre II «Des Fouilles» de l'ordonnance 67-281, mais dans un nouveau système qui va formaliser, dans la loi, l'ambiguïté «fouille-recherche». «Le ministre chargé de la Culture est seul habilité à faire entreprendre ou à autoriser des prospections, de[s] fouille[s] ou de[s] sondage[s] et autres types de recherches archéologiques…» (Article 71). Tout est résumé dans cette disposition et le reste n'en est que l'affirmation et l'approfondissement. De la fouille et du sondage archéologiques, qui relèvent de la protection légale de l'Etat, au titre du patrimoine culturel, nous passons à la protection légale de la «prospection» et des «autres types de recherches archéologiques». Une situation paradoxale, puisque la même année de la promulgation de la loi n°98-04 sur la protection du patrimoine culturel (juin 1998), paraissait la loi n°98-11 d'orientation et de programme quinquennale sur la recherche scientifique et le développement technologique (22 août 1998) qui, dans son volet programmatique stipulait, en article 10, que «les programmes nationaux de recherche traduisent la problématique de développement économique, social et culturel du pays en un ensemble cohérent d'objectifs et d'actions de recherche scientifique et de développement technologique» et qu'à ce titre et pour la période quinquennale 1998-2002». Les programmes nationaux de recherche portaient, entre autres, sur la «culture et la communication», «l'histoire», «la préhistoire», «l'archéologie» et «les sciences humaines». Il est surprenant que le secteur chargé de la culture n'ait pas soumissionné à cette offre institutionnelle nationale, qui lui aurait fait gagner les nombreuses opportunités, notamment d'expertise scientifique et de financement par le fonds de la recherche scientifique et technique. A la lumière de ces quelques observations, il nous est apparu utile, aujourd'hui que les perspectives d'une nouvelle gouvernance sont annonciatrices de rigueur et d'efficacité, d'apporter des éclairages sur la problématique de la recherche archéologique et sa relation à la fouille, en invitant les pouvoirs publics, tout particulièrement le secteur de l'enseignement et de la recherche scientifique et celui de la culture, à une revisite des instruments et mécanismes qui régissent les domaines de la fouille et de la recherche archéologiques, pour parvenir à l'énoncé d'une politique nationale de recherche scientifique en archéologie. De la fouille archéologique - Définition et champ d'action La fouille archéologique est une opération de dégagement et de mise au jour de structures et/ou d'objets ayant un intérêt scientifique, historique, archéologique ou artistique, qui se présentent soit en surface, sans recouvrement, soit en couche, ensevelis partiellement ou totalement sous des épaisseurs de sédiments. La fouille archéologique peut être destructive ou conservative, selon la nature et l'état de conservation des structures et/ou des objets archéologiques. Il existe deux types de fouilles : - La fouille programmée, qui est envisagée dans le cadre d'un projet de recherche, d'une problématique scientifique et d'un plan méthodologique de réalisation de la fouille. Le projet de recherche est porté par un chercheur dûment qualifié par une institution de recherche. Il est homologué par un conseil scientifique, qui en assure le suivi et l'évaluation, dans le cadre des instruments de la loi et des règlements de la recherche scientifique. La fouille archéologique programmée est une étape du projet de recherche – elle n'est pas le projet de recherche — Elle est l'étape scientifique et technique de terrain, qui consiste à recueillir et récolter le maximum d'informations et de données de terrain (photos, relevés, échantillonnage, récolte de matériel), en vue de leur analyse et interprétation en laboratoire. - La fouille de sauvetage [inscrite dans le chapitre de l'archéologie préventive] est une intervention d'urgence de protection des structures et/ou d'objets archéologiques exhumés et mis au jour lors de travaux d'aménagement ou d'infrastructure. Elle est effectuée dans le cadre d'une étude de réalisation de ces travaux, qui permet le dégagement de solutions techniques pour garantir la préservation des valeurs archéologiques
- Du contrôle et suivi de la fouille La fouille archéologique est réalisée sous le contrôle des services archéologiques du ministère chargé de la Culture, au titre de la protection du patrimoine archéologique (application de la loi 98-04). Ce sont les inspecteurs et conservateurs du patrimoine culturel, fonctionnaires de l'Etat, qui agissent, dans ce cadre, au titre de la puissance publique. Le contrôle exercé par ces services ne concerne pas le projet de recherche dans sa formulation scientifique. Celui-ci relève du domaine de la propriété scientifique et intellectuelle et ressort des outils de contrôle et de suivi de la recherche scientifique (conseil scientifique, examen par les pairs). Le contrôle de la fouille consiste à veiller à la bonne conservation des structures dégagées et mises au jour des objets récoltés et des données et informations recueillies, dans le cadre d'un plan de conservation, qui prend en charge tout le processus d'exploitation des vestiges archéologiques. De la recherche archéologique - Définition et champ d'action Etymologiquement, le mot «archéologie» provient du grec arkhaïos (ancien) et logos (parole, discours). Selon le dictionnaire Littré, il désigne la «connaissance et l'étude de l'Antiquité». Le Robert reprend cette définition en y ajoutant un sens plus moderne : «Etude scientifique des civilisations disparues au moyen des témoins matériels qui en subsistent, ensemble des techniques de recherche et d'interprétation que cette étude met en œuvre.» Dans la loi du 27 septembre 1941 [l'Algérie était département français], l'article 14 énumère les catégories archéologiques suivantes : «Les monuments, ruines, substructions mosaïques, éléments de canalisation antiques, vestiges d'habitation ou de sépultures anciennes, des inscriptions ou généralement des objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art, l'archéologie ou la numismatique». Dans la loi de 1994,[7] cette définition est davantage explicitée : «L'archéologie s'attache à reconstituer l'histoire de l'humanité des origines à nos jours, à partir des vestiges matériels qui ont subsisté. Elle est fondée sur l'étude des objets et des traces laissées dans le sol par les différentes occupations humaines, pour lesquelles les sources écrites sont absentes, muettes ou complémentaires». Ce contenu est tiré de la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, adoptée en 1992. En 2007, l'article L 510-1 du code français du patrimoine propose une autre définition : «Constituent des éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges et autres traces de l'existence de l'humanité, dont la sauvegarde et l'étude, notamment par des fouilles ou des découvertes, permettent de retracer le développement de l'histoire de l'humanité et de sa relation avec l'environnement naturel.» Dans le dispositif juridique algérien, qui s'inspire directement du système juridique français, l'archéologie n'est pas définie dans son objet et ses propriétés intrinsèques, nous la retrouvons dans la loi n°98-04, en article 64 : «Les biens culturels archéologiques ne peuvent faire l'objet de transactions commerciales, lorsque ces biens proviennent de fouilles clandestines ou programmées, de découvertes fortuites, anciennes ou récentes, sur le territoire national ou dans les eaux intérieures et territoriales nationales.» Cette loi n'indique pas pourquoi les biens culturels sont interdits de transaction commerciale. Il faut aller à la loi domaniale n ° 90-30,[8] pour réaliser que « les monuments publics, les musées et les sites archéologiques » relèvent du domaine public artificiel (article 16). C'est dans la section 4 sur les épaves et les trésors que la question archéologique est traitée, en article 57 : «Constitue un trésor, tout objet ou valeur, caché ou enfoui, sur lequel nul ne peut justifier sa propriété et qui est découvert ou mis au jour par le pur effet du hasard», puis en article 8 : «Le trésor découvert dans une dépendance quelconque du domaine national appartient à l'Etat. La propriété de l'Etat s'étend également à tous les objets mobiliers ou immobiliers par destination, présentant, au titre de la législation en vigueur, un intérêt national du point de vue de l'histoire, de l'art ou de l'archéologie : - découverts au cours de fouilles ou fortuitement, quelle que soit la condition juridique de l'immeuble où cette découverte a été faite ; - provenant de fouilles ou découvertes anciennes, conservées sur le territoire national ; - découverts au cours de fouilles ou fortuitement dans les eaux territoriales nationales. Toutefois les sujétions découlant de la conservation in situ des biens en question sur le propriétaire de l'immeuble ouvriront droit à une indemnisation dans les conditions et formes prévues par la législation en vigueur». Ainsi, tout objet ou valeur, caché ou enfoui [dont l'objet archéologique], sur lequel nul ne peut justifier sa propriété est protégé par l'Etat, par le fait, d'une part, des dispositions de la loi domaniale sur les épaves et trésors et, d'autre part, du dispositif constitutionnel qui, contrairement au droit français, requiert que la propriété du sol n'entraîne pas la propriété du sous-sol. La loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel n'intervient, dans ce dispositif juridique, qu'en dernière instance, s'agissant des seuls objets classés ou inscrits sur l‘inventaire supplémentaire. - La documentation archéologique Il est entendu par « documentation archéologique » l'ensemble du mobilier archéologique, c'est-à-dire tous les objets mais aussi tous les matériaux, organiques ou inorganiques, recueillis ou prélevés lors de travaux de terrain, y compris les échantillons de sédiments, les prélèvements de microfaunes ou de macro-restes végétaux, ainsi que la documentation scientifique y afférente, allant des documents d'enregistrement et de déroulement de la fouille jusqu'à la publication. La «documentation archéologique» comprend trois catégories de matériaux : - les artefacts ou mobilier archéologique (catégorie (A), qui est composée des objets transformés par l'activité humaine recueillis lors de l'opération de fouille. Ce mobilier est étudié, classé, marqué, inventorié et référencé. - Les écofacts (catégorie (B) qui désignent les vestiges matériels issus animaux, végétaux et minéraux qui, à la différence des artefacts, n'ont pas été transformés par l'activité humaine. Ces vestiges sont traités par type de matière et identifiés de la même manière que le mobilier archéologique. - Les archives ou documents scientifiques (catégorie C), qui comprennent des documents graphiques (plans, relevés, minutes, dessins) ; documents photographiques et audiovisuels ; documents numériques ; documents écrits (carnets et fiches d'enregistrement de terrain, correspondance, rapports d'étude) ; publications sur tout support. Les documents scientifiques — à l'exception de la publication — constituent des archives administratives et sont la propriété de l'Etat. Les originaux de ces documents doivent être classés et inventoriés par grands types selon leur support ou mode de conditionnement et référencés par un code identifiant et rangés dans des contenants qui garantissent la bonne conservation (classeurs, boîtes d'archives, cartons à dessin, rouleaux). La documentation archéologique, sous sa forme globale (catégories A, B et C), n'est pas automatiquement incorporée dans les collections nationales; elle ne bénéficie pas systématiquement du régime de la domanialité publique. Seuls les artefacts sont concernés directement par l'incorporation dans les collections nationales. Les écofacts et les archives demeurent régis par les modes de gestion administrative, scientifique et technique des lieux de dépôts archéologiques agréés par le ministre chargé de la Culture. Les récoltes, les ramassages et les prélèvements de mobiliers archéologiques, réalisés par les archéologues, à l'occasion de fouilles ou de sondages, n'acquièrent de valeur significative qu'après leur étude et leur identification, qui détermineront leur consistance et leur intérêt archéologiques. L'acte de sélection des artefacts, parmi la documentation archéologique, mené dans les règles de l'art, est accompagné par l'établissement d'un arrêté d'incorporation dans les collections nationales, qui leur confère les caractères d'inaliénabilité, d'imprescriptibilité et d'insaisissabilité. - L'archéologie et l'intérêt public scientifique La spécificité de l'activité de recherche archéologique, tout particulièrement sa dimension académique, réside dans le caractère fondamentalement public de ses résultats et le cadre universel de leur expression, à travers la diffusion, l'échange et le partage du savoir et de la connaissance. Ces caractéristiques universelles, indéniables sur un plan éthique et déontologique, soulèvent, toutefois, le problème des ancrages juridiques relatifs aux droits et obligations et des retombées réelles de l'activité de recherche archéologique sur l'intérêt national, notamment lorsqu'il s'agit de coopération internationale, où il est nécessaire d'évaluer et de protéger la part qui revient à chaque partenaire en termes de transfert des savoirs et des connaissances et des output et plus-values dans l'économie nationale. Déterminer l'importance du rôle de la recherche scientifique en archéologie dans l'économie nationale, c'est d'abord concevoir une politique en matière de propriété intellectuelle sur les produits de cette recherche, qui sont traduits sous la forme d'œuvres écrites, de procédés, de techniques, de méthodes, de bases de données, de dessins, de photographies, d'architectures, de cartographies, de dessins techniques… Considérant que le processus de la recherche archéologique en Algérie (formation-profession-valorisation) est subventionné par l'Etat, à travers notamment, un budget, des espaces et des équipements de bureaux et de laboratoires, des services d'administration, du personnel soutien à la recherche et de laboratoire, des fournitures et services divers, du matériel logiciel et logistique informatiques, des frais de déplacement, et d'autres types de dépenses, il est incontestable que la propriété intellectuelle sur tout objet découvert ou créé par le chercheur ou l'équipe de recherche mandatés à cette fin, revient à l'Etat qui, à travers ses organismes et établissements publics chargés de la recherche archéologique, est le propriétaire de tout objet conçu, fabriqué, découvert ou créé par un chercheur ou une équipe de recherche, dans l'exercice de leurs fonctions et de leurs attributions respectives. - Les ressources publiques de la recherche archéologique Dans tout projet de recherche-coopération ou de prestation qu'il exécute pour une partie tierce, l'organisme ou l'établissement public chargé de la recherche archéologique doit définir précisément les ressources matérielles, financières et humaines qu'il engage dans le projet : espaces ; équipements de bureaux ; laboratoires ; logiciels et logistique informatiques ; services de secrétariat; fournitures et services divers ; frais de déplacement ; personnel soutien à la recherche; bibliothèque spécialisée ; autres types de dépenses. Dans ce listing des ressources, il doit être fait état du capital constitué par les capacités intellectuelles du chercheur et/ou de l'équipe de recherche (formation, expérience). Chaque catégorie de service doit, nécessairement, être budgétisée et adaptée aux livrets des recettes et dépenses. - La production scientifique Dans le cadre d'un projet de recherche archéologique, il est entendu par production scientifique, l'ensemble documentaire écrit, graphique, photographique ou numérique issu du traitement, de l'analyse et de l'interprétation des résultats de la fouille archéologique. Les résultats d'analyses physiques et/ou chimiques de matériaux archéologiques à travers des procédés techniques de laboratoires constituent une production scientifique qui participe à l'analyse et l'interprétation intellectuelle. Ils ne constituent pas une production intellectuelle au sens de la création conceptuelle. Il faudrait distinguer la part qui relève de la propriété scientifique de celle qui relève de la propriété intellectuelle. La propriété scientifique incombe à l'auteur du traitement analytique des matériaux archéologiques (laboratoire, chercheur, ingénieur, étudiant….), alors que la propriété intellectuelle échoit à celui ou ceux qui réalisent l'analyse et l'interprétation scientifiques des résultats d'analyses physiques et/ou chimiques des matériaux archéologiques. - La production intellectuelle Dans le cadre d'un projet de recherche archéologique, il est entendu par production intellectuelle du chercheur et/ou de l'équipe de recherche archéologique, la substance conceptuelle issue du traitement, de l'analyse et de l'interprétation des données scientifiques et techniques de l'opération de recherche archéologique. Cette production conceptuelle traduit l'acte intellectuel qui relève de l'esprit du chercheur et/ou de l'équipe de recherche et qui bénéficie de la protection du droit d'auteur. - La publication : une obligation déontologique La publication des résultats des découvertes archéologiques constitue une obligation de nature déontologique qui échoit au détenteur d'une autorisation de fouille archéologique. Cette forme d'obligation est tirée de la «Recommandation définissant les principes internationaux à appliquer en matière de fouilles archéologiques, adoptée par l'Unesco en 1956,[9] notamment son article 24 relatif aux droits et obligations du fouilleur qui : - «invite les Etats à garantir au fouilleur la propriété scientifique de ses découvertes pendant un délai raisonnable» et énonce que «l'autorisation de fouille, délivrée par l'Etat, devrait être assortie de l'obligation, imposée au fouilleur, de publier les résultats de ses découvertes, dans un délai qui ne devrait pas être supérieur à deux ans pour les rapports préliminaires, et à cinq ans pour les rapports finaux.» Cette recommandation fixe à «cinq ans après la découverte la durée pendant laquelle les autorités archéologiques compétentes devraient s'engager à ne pas communiquer pour étude détaillée l'ensemble des objets provenant des fouilles, ni la documentation scientifique qui s'y rattache, à moins d'autorisation écrite du fouilleur.» Conclusion Les champs distincts, mais voisins, de la fouille et de la recherche archéologiques, que nous avons sollicités, pour y préciser les contours et les contenus et situer la place des acteurs publics, parties prenantes du processus de production de la valeur et de la ressource archéologiques, participent d'une approche liminaire qui invite à un renouvèlement du regard sur les matériaux de construction (législatifs, institutionnels et administratifs) d'une politique nationale de la recherche archéologique. Cette approche passe, en priorité, par la mise en place d'un organe consultatif (type conseil supérieur de la recherche archéologique), qui aura pour missions, notamment, de faire des propositions sur les objectifs stratégiques et programmatiques de la recherche archéologique à l'échelle nationale. Des propositions qui concourent à l'énoncé de projets institutionnels et organisationnels, fondés sur des principes, des normes et des méthodes scientifiques, qui concilient les exigences éthiques et déontologiques de la recherche scientifique et les impératifs de la protection légale. Cet organe consultatif serait un outil d'évaluation scientifique, à la demande des ministres chargés de la Culture et de la Recherche scientifique. Il serait, également, l'interlocuteur éthique et déontologique, dans le domaine de la coopération internationale. Cet organe consultatif n'est pas à confondre avec la «commission nationale des fouilles archéologiques», un autre dispositif à mettre en place, dont l'avis conforme serait sollicité par le ministre chargé de la Culture, notamment pour les questions liées aux inventaires, au contrôle et suivi des fouilles archéologiques, au traitement des découvertes, des fouilles d'urgence, de la conservation de la documentation archéologique M. B. Renvois [1] Arrêté du 17 mai 1980 relatif aux autorisations de recherches archéologiques, pris par le ministre de l'Information et de la Culture A. Mehri. [2] Décret n°87-10 du 6 janvier 1987, portant création de l'Agence nationale d'archéologie et de protection des sites et monuments historiques. [3] La création d'un Haut-Commissariat à la recherche (H.C.R, décret n° 86-72) traduisait la consécration d'une vision techniciste de la recherche, parachevant le processus de minorisation des sciences humaines et sociales. [4] Décret n°93-141 du 14 juin 1993 portant transformation du Centre national d'études historiques en Centre national de recherches préhistoriques, anthropologique et historiques (CNRPAH). [5] Décret n°05-491 du 22 décembre 2005 portant création du Centre national de recherches archéologiques. [6] Centre de recherches en préhistoire, anthropologie et histoire (Crape), créé en 1955 et rattaché au Centre national des études historiques (CNEH) en 1984. [7] Loi n°94-926 du 26 octobre 1994. La France a approuvé la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, conclue en 1992. [8] Loi n°90-30 du 1er décembre 1990 portant loi domaniale. [9] Recommandation définissant les principes internationaux à appliquer en matière de fouilles archéologiques, adoptée par l'Unesco, 5 décembre 1956.