L'affaire Mourad Oulmi risque de surprendre, voire même choquer l'opinion publique jusque-là focalisée sur des noms d'oligarques ayant bâti des fortunes colossales à l'ombre du régime déchu. Son dossier pèse très lourd… Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les éléments recueillis dans le cadre des enquêtes ayant conduit à son inculpation ne semblent pourtant pas avoir réellement surpris les auteurs de ces recherches. Mourad Oulmi fait partie des intouchables. Il a longtemps su échapper aux nasses de la justice grâce aux considérables appuis dont il jouissait tant à l'intérieur du pays qu'auprès de certains cercles d'hommes d'Etat étrangers. Ses innombrables voyages à l'étranger font partie de ces éléments qui ne passent pas inaperçus. Représentant de quatre marques automobiles prestigieuses (la plus connue étant Skoda), propriétaire de sociétés dans le même domaine en Espagne et en Allemagne, ses déplacements auraient semblé normaux, voire nécessaires, s'ils n'avaient pas atteint des nombres records que même les enquêteurs ont eu du mal à expliquer. A en juger : 157 voyages effectués entre février 2017 et mars 2019. S'y ajoutent 18 entrées et sorties du territoire national entreprises à bord d'un jet privé loué à 600 000 DA de l'heure. Les déplacements les plus fréquents ont eu lieu en France, le lieu de résidence officiel de sa famille et le sien naturellement, puisqu'il dispose également de la nationalité française. Mourad Oulmi voyage aussi souvent en Espagne, en Turquie et en Tunisie. Invité (à l'époque) à expliquer ses entrées et sorties aussi fréquentes qu'intrigantes, il évoque des examens médicaux mais avoue que ses voyages à bord du jet privé sont réservés à des vacances et des escapades saisonnières. De lourds soupçons pèsent sur sa personne mais aussi sur ses frères et associés. L'un d'eux, Kheider, bat même les records en matière de déplacements inexpliqués : 189 entrées et sorties du territoire national durant la même période et dans les pays cités plus haut. La trentaine de voyages effectués par leurs deux autres frères, Slimane et Nabil, paraissent du coup insignifiants. Les prétextes médicaux de Mourad Oulmi sont jugés caducs. Des sources proches du dossier affirment que l'enquête menée a mis au jour l'existence de sociétés civiles immobilières domiciliées en France, un pays dans lequel il se trouve également être propriétaire d'une série de biens immobiliers incroyables : cinq maisons à Neuilly-sur-Seine, bâtisse luxueuse à Saint-Tropez, une autre à Paris, et une maison située à Seine-Saint-Denis. Le montant déclaré des sommes versées pour l'achat de ces biens s'élève à 24 185 112 euros… Bien avant d'être ciblé par une enquête, Mourad Oulmi avait attiré l'attention en rachetant, en 2006, la luxueuse maison de Nicolas Sarkozy à Neuilly-sur-Seine pour le prix de 1 993 000 euros. «Pas étonnant, soutiennent des sources bien au fait du dossier. Il était détenteur d'un carnet d'adresses bien rempli, il côtoyait des cercles au pouvoir en France. C'est ainsi qu'il parvenait à faire pression sur les décideurs algériens pour obtenir des avantages incroyables.» L'enquête qui a ciblé son frère Kheider révèle, elle aussi, des éléments incroyables. Simple associé de l'usine de montage automobile Skoda que dirige Mourad Oulmi, il s'avère propriétaire de trois maisons de luxe en France : deux à Monaco et une sur la Côte-d'Azur. Le montant versé pour l'acquisition de ces biens est supérieur à 2 500 000 euros. En 2014, il procède à l'achat d'une quatrième maison, mais à Paris cette fois, pour la somme de 1 270 000 euros. Les 64 voyages effectués à bord d'un jet privé entre 2017 et 2019 étaient en outre destinés à des séjours de plaisance. Kheider avoue avoir reçu l'aide de son frère Mourad pour l'acquisition de ses maisons. La multitude de ses biens à l'étranger est considérée par la justice algérienne comme étant le fruit d'un blanchiment d'argent et d'un transfert irrégulier de fonds à partir du territoire national. Un second élément attirait les soupçons de plusieurs organismes algériens entre 2010 et 2019. Des irrégularités sont observées au niveau de différentes banques où Mourad Oulmi multiplie les prêts prétextant ses activités dans l'automobile. Ses dettes s'accumulent et atteignent le montant de 4600 milliards de centimes. En 2013, il tente d'obtenir un nouveau prêt auprès du Crédit populaire algérien (CPA). Implacable, le directeur de l'époque refuse. Trois ans plus tard, la donne change. Le CPA est doté d'un nouveau directeur général qui lui accorde les prêts demandés. On le dit ami avec Oulmi au point où il accepte d'intervenir auprès de la BADR pour l'aider à obtenir des crédits importants. Entre 2014 et 2016, le montant de ces crédits atteint 12 040 000 000.DA Des sources bien informées font savoir que Mourad Oulmi privilégiait, cependant, le travail avec des banques privées dans le cadre des activités de SOVAC. Le procédé visait à l'obtention de crédits délivrés plus rapidement et plus facilement que les banques publiques. L'on s'interroge aujourd'hui sur la destination prise par les montants obtenus. Bizarrement, «aucune trace de tout l'argent engrangé n'a été trouvée dans les comptes de Mourad Eulmi et de ses frères. Les multiples comptes en banque contenaient des sommes dérisoires», affirment nos sources. «L'Algérie, nous dit-on, était ainsi considérée comme étant un territoire destiné à engranger de l'argent. Les affaires étaient son unique lien avec le pays, sa famille est établie en France, ses biens immobiliers aussi. Que faut-il de plus pour comprendre ce qui s'est passé ?» Les déplacements les plus fréquents s'effectuaient en direction de Paris, Nice, «mais il y avait aussi l'Espagne, Barcelone où Mourad Oulmi possède des affaires dans le domaine de l'automobile. Il était également très bien introduit dans ce pays, mais également en Allemagne». Son carnet d'adresses bien rempli lui permet rapidement de s'introduire auprès des cercles des dirigeants algériens. Son projet de montage automobile est entaché d'irrégularités, mais il est accepté avec une facilité déconcertante par les organismes compétents. Des avantages notables lui sont accordés. Il parvient ainsi à acquérir un immense terrain à Relizane pour la construction d'une usine. Sa valeur est fixée à 58 274 000 000 DA. Mourad Oulmi verse 40 826 901 000 DA et l'obtient. Des avantages tout aussi énormes lui sont accordés. Ils seront révélés durant le procès fixé au 11 mai prochain. L'opinion risque d'être surprise : l'enquête a révélé que l'usine n'était en fait qu'une «couverture car toutes les importations étaient revendues en l'état». On apprend, enfin, qu'une partie des pertes occasionnées par Mourad Oulmi s'élèvent à un milliard et demi d'euros , sans les avantages de l'ANDI (Agence nationale de développement et de l'investissement), du CNI (Conseil national de l'investissement) et des exportations CKD et SKD. «Ce dossier est une tache dans les affaires de l'industrie et des preuves très solides ont mené à son inculpation» et celles d'autres coaccusés. Il s'agit de l'ancien chef de gouvernement Ahmed Ouyahia, des deux anciens ministres de l'Industrie Youcef Yousfi et de Abdeslam Bouchouareb. Ces derniers sont poursuivis pour octroi d'indus avantages lors de passation irrégulière de contrats, mauvaise utilisation de leur fonction, l'acte est considéré comme étant volontaire, conflit d'intérêt, pots-de-vin reçus en échange des avantages octroyés et dilapidation de deniers publics. A. C.