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Industries : quand les villes moyennes algériennes s'éveilleront
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 06 - 2020


Par Nidam Abdi(*)
Certains souhaitent la création de zones industrielles clés en main, d'autres veulent que l'Algérie, société de jeunes, s'inscrive sans tarder dans l'entrepreneuriat par les start-up et, enfin, il y a ceux qui ne voient le salut que dans un renforcement du rôle des chambres de commerce et d'industrie, à travers les 48 wilayas du pays... Mais personne ne s'inquiète du déficit en termes de gouvernance des collectivités territoriales algériennes à l'heure de la transition numérique et énergétique.
Alors que se multiplient les interventions du gouvernement pour la relance économique, hors hydrocarbures, du plus grand pays d'Afrique, il serait peut-être judicieux aussi de penser le développement, à l'heure de l'arrêt mondial des activités pour cause sanitaire, en lui intégrant le renouveau de la gouvernance des territoires des villes moyennes et la création, grâce à l'innovation technologique, de petites industries locales à forte valeur ajoutée. Promouvoir une vision de l'avènement de filières de petites et moyennes industries par l'aménagement du territoire, alors même que la crise sanitaire pousse les gouvernements occidentaux et de pays émergents à penser l'avenir économique de l'après-Covid-19, en envisageant la décongestion des implantations industrielles loin des grandes métropoles. D'autant qu'il faut garder en tête que chaque démographe et géographe qui se penche sur le cas de l'Algérie s'alarme de découvrir que 87% de la population vit au nord du pays, sur uniquement 11% de l'ensemble du territoire.
Mi-mai, une divine surprise a été annoncée dans la presse algérienne, celle où « ... une start-up spécialisée dans le développement d'équipements hydromécaniques destinés aux traitements des eaux usées, à Aïn Defla, a réussi la gageure de produire, pour la première fois en Algérie, des canons pulvérisateurs de désinfectants de haute qualité, destinés à la prévention et la lutte contre la propagation du nouveau coronavirus (Covid-19)... ».
Il s'agit de S. Five Groupe, une PMI de 10 ans d'âge, basée à Khemis Miliana, pour la simple raison que son fondateur, Abdelghani Seffal, est natif de la ville. On découvre alors qu'à l'image des belles réussites des petites et moyennes industries allemandes à travers les villes moyennes du territoire germanique, l'Algérie est capable d'offrir des PMI innovantes en dehors de ses grandes métropoles. On est tout simplement dans la même configuration de l'avènement, presque deux siècles après l'Allemagne, de l'installation de petites industries ancrées dans l'environnement de territoires donnés et situés loin des grands centres urbains — des PMI allemandes qui allaient par la suite élargir leur champ d'actions sur les lands (régions) puis le pays avant d'aller à la conquête de marchés à l'international.
Tout récemment, c'est la Faculté des sciences et technologies de l'Université de Jijel qui s'est distinguée par la mise en service d'un stérilisateur contre le virus Covid-19, en forme de petit tunnel mobile à destination des entrées de lieux publics et de bâtiments.
Réalisée grâce à la collaboration de plusieurs laboratoires de l'Université Mohamed-Seddik-Benyahia dont celui du génie des procédés du docteur Fetih Chioukh, l'initiative est un tour de force qui démontre la capacité des campus universitaires algériens dans les villes moyennes d'adapter l'innovation aux besoins immédiats de la société.
Mais reste qu'à la différence de l'Allemagne, le pays roi des PMI dans les territoires décentralisés, en Algérie les innovateurs créateurs de produits industriels dans les villes moyennes, et qu'ils soient déjà entrepreneurs comme Abdelghani Seffal, de Khemis Miliana, ou enseignants-chercheurs à l'exemple du Dr Fetih Chioukh, à l'Université de Jijel, ne sont aucunement accompagnés par une stratégie des collectivités territoriales pour développer un écosystème local de filières industrielles d'excellence qui deviendront, au fil du temps, la marque de fabrique de leur région.
Il est bien beau que le wali de Jijel, Abdelkader Kelkal, soit venu en délégation à l'Université Mohamed-Seddik-Benyahia, pour encourager les enseignants-chercheurs à aller vers le secteur économique et nouer des liens avec le milieu des PME/PMI. Mais qui a-t-il comme service public ou associatif efficaces à Jijel pour accompagner des enseignants-chercheurs dans les méandres de l'entrepreneuriat de la wilaya du pays des Kotamas ?
Sur l'indigent site web de la Wilaya de Jijel, puisqu'il semble que la ville éponyme n'a pas d'offre internet malgré ses plus de 130 000 citoyens, rien n'invite un innovateur scientifique de la collectivité locale à rêver à un possible avenir dans le monde de l'entreprise. Les deux documents PDF Calpiref, du dossier d'investissements pour obtenir du foncier, ne suffisent pas à faire d'un enseignant-chercheur un potentiel chef d'entreprise. Bref, c'est ce maillon essentiel de l'accompagnement entrepreneurial qui semble faire défaut aux collectivités locales algériennes et non les innovateurs qu'ils soient scientifiques à la base ou bien simples porteurs de projet.
Les autorités locales des villes moyennes algériennes devraient créer des organismes d'accompagnement de projet comme il en existe ailleurs. En leur sein, il existe un métier essentiel, celui d'accompagnateur qui aide le candidat à l'entrepreneuriat à sa professionnalisation dans son nouveau métier de dirigeant et apprendre les premières bases qui sont souvent : quelle posture adopter ? Comment réagir face à mes clients ? Comment trouver des partenaires ?
Ainsi, si à Jijel on ne voit pas comment le Dr Fetih Chioukh et ses collègues universitaires pourraient, à partir d'un prototype de leur stérilisateur contre le virus Covid-19, faire un projet de PMI viable, essayons de comprendre comment en Allemagne, dans des universités de villes moyennes, des chercheurs-enseignants réussissent dans le monde de l'entreprise.
Il y a, par exemple, à Oldenburg, ville de 170 000 habitants, située dans le Land de Basse-Saxe, le cas de cet ingénieur-électricien, Babak Ravanbac, qui travaille au DLR d'Oldenburg pour mettre en œuvre des réseaux électriques décentralisés alimentés par des énergies renouvelables. Ce chercheur-enseignant est déjà certain que ses poteaux d'éclairage qui servent de station de charge seront prochainement installés à la base aérienne d'Oldenburg. Car pour Jürgen Krogmann, le maire de la ville, la priorité de sa gouvernance, en termes de politique économique, c'est la mise en réseau des entreprises et des communautés scientifiques. Le Oldenburg Energy Cluster (OLEC), par exemple, qui se concentre sur le développement de technologies énergétiques durables, est une plateforme de collaboration entre une trentaine d'entreprises, institutions scientifiques et éducatives de la ville.
Les bureaux de transfert de technologie de l'Université d'Oldenburg et de celle des sciences appliquées au nom de Jade sont, depuis de nombreuses années, des points de contact centraux pour les partenaires de l'industrie. Le Centre de technologie et de création d'entreprises d'Oldenburg (TGO) est la première adresse pour les fondateurs potentiels d'entreprises qui souhaitent créer une société directement depuis l'université. La relation très étroite entre les milieux scientifiques et commerciaux est également démontrée par le grand nombre de chaires de fondations financées par des fonds privés. A l'exemple du cercle qui s'est formé autour de la Chambre de commerce d'Oldenburg et de l'Association des employeurs de la ville pour soutenir une chaire consacrée à l'entrepreneuriat.
À Khemis Miliana, trois semaines après avoir eu les faveurs de l'APS, la Télévision nationale et la presse écrite algérienne, S.Five Groupe, son dirigeant Abdelghani Fessal et sa jeune équipe attendent toujours de voir wali, maire, élus, fonctionnaires territoriaux ou responsables de chambre de commerce... franchir la porte de leur unité de production. Pourtant, ils sont l'exemple même de bonne gouvernance entrepreneuriale dont a besoin l'Algérie, pour avoir eu cette réactivité à se mettre à la disposition des services publics et produire un canon pulvérisateur désinfectant contre le virus Covid-19. Même le cadeau offert d'un pulvérisateur à la wilaya de Blida qui, à juste raison, était la première région impactée par le virus, n'a pas eu pour effet de réveiller les autorités locales de Khemis Miliana et du département de Aïn Defla.
Alors oui, on peut rêver que si Jürgen Krogmann, premier édile de Oldenburg, était le maire de Khemis Miliana, évidemment les choses auraient pris une autre tournure pour la PMI S.Five Groupe. Car l'élu démocrate qui a réussi, en 2017, à obtenir de l'Etat fédéral allemand 18 millions d'euros pour développer son projet européen de smart-energy sur l'aéroport de sa ville, avec la création d'un consortium d'une vingtaine de partenaires, est au courant de toutes les activités industrielles innovantes de son territoire et il en est surtout le meilleur ambassadeur.
Par exemple, lorsqu'en 2013, il a vu la fermeture de l'ex-usine d'AEG, fondée en 1947, qui est passée de 4 000 salariés à 50, Jürgen Krogmann a tout de suite imaginé un projet pour les six hectares du site. Après de longues négociations, le maire a convaincu son Conseil municipal de lancer un programme de développement avec la création de sociétés médicales, afin de bâtir un cluster de la santé, Oldenburg souhaitant renforcer sa position dans cette branche d'avenir. On peut croire que la crise sanitaire de Covid-19 ne lui a pas donné tort.
La diversité des villes moyennes algériennes avec leurs propres conditions structurelles, démographiques, économiques, leurs tailles et leurs emplacements, joue toujours un rôle important dans leur développement. Cependant, toutes sont confrontées à des défis qui peuvent être des demandes croissantes en ce qui concerne l'immobilier et les infrastructures, la stabilisation ou le maintien de l'approvisionnement. Il est important de les renforcer en tant qu'éléments de soutien du système de peuplement d'un grand pays.
Ainsi, une vision simple et un transfert unique d'activités industrielles ne sont pas opportuns. Chaque territoire doit trouver ses propres approches de filières économiques, les réorganiser avec l'existant et les adapter à son propre contexte. Pour les villes moyennes, l'objectif est d'ouvrir des espaces d'expérimentation, de développer des espaces individuels d'action et de favoriser l'ouverture et la créativité. De cette façon, le potentiel d'innovation peut être reconnu, des structures et des espaces propices peuvent être créés.
Par ailleurs, ces villes moyennes oubliées dans le secteur de l'activité industrielle peuvent, si elles s'organisent en fonction de cet enjeu, développer les conditions de leurs identités. Situées dans des territoires intermédiaires, et à condition de s'organiser en réseau avec des villes similaires en rapport avec l'objectif de compétitivité, elles peuvent, grâce à ce maillage, rivaliser ou du moins être reconnues par les grandes villes, en créant des projets pilotes de plateformes technologiques ; elles couvriront ainsi les besoins des entreprises qui pourraient avoir la tentation de se délocaliser, et du tissu des PME/PMI existantes en majorité dans ces villes et ces territoires intermédiaires qui pourront ainsi rivaliser dans le marché de la compétitivité.
Mais pour gagner de tels défis, il n'y a que l'autorité locale qui a en main les clés de réussite d'une politique d'aménagement valorisante pour le territoire. Le rôle des entrepreneurs est celui de créer de la valeur et évidemment d'investir dans leur cité en termes social, culturel et autre, mais la vision et le cap de développement de la collectivité et du bien-être de ses citoyens reviennent aux politiques, qu'ils soient élus, fonctionnaires territoriaux ou de l'Etat. Ailleurs, en Europe comme en Amérique, ce sont ces derniers qui font même parfois les VRP des produits des entreprises de leurs villes. Imagine-t-on un jour voir des autorités de Khemis Miliana ou Jijel faire la promotion, dans les salons professionnels d'Alger, d'Oran ou de Constantine, des produits de S.Five Groupe et des innovations de l'Université Mohamed-Seddik-Benyahia ?
Bref, il serait curieux de savoir combien de mains se lèveront, si on demande lesquelles des autorités de collectivités locales algériennes ont visité, comme leurs collègues marocains et tunisiens, les salons professionnels des capitales européennes ?
N. A.
(*) Editeur de la veille stratégique Territorial Challenges, spécialisée en transition numérique et énergétique des territoires. Membre de Peps, la plate-forme qui réunit en France, professionnels, élus et experts issus des secteurs publics et privés autour des questions environnementales et de leur impact social.


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