Dans un entretien paru dans l'édition d'hier du journal L'Opinion, le président Abdelmadjid Tebboune s'est exprimé dans le style qui est le sien avec pondération et clarté sur des sujets parfois à polémique. Il faut noter que le chef de l'Etat fait de la communication, un outil privilégié de sa démarche politique. L'interview accordée au quotidien français intervient après celle de France 24. L'occasion pour le président de la République de s'adresser sans ambages directement à l'opinion publique française sur des thèmes majeurs intéressant les relations mouvementées entre l'Algérie et la France. «L'Algérie est incontournable pour la France et la France l'est aussi» dira-t-il en substance. Et c'est tant mieux qu'il se dessine un nouveau climat entre les deux pays. Sous l'impulsion d'Emmanuel Macron (qui a appelé à deux reprises, en l'espace d'un mois, Abdelmadjid Tebboune) une nouvelle dynamique semble se substituer aux tensions récurrentes. La restitution des crânes des résistants à la colonisation sera l'occasion que soit réaffirmée la volonté des deux côtés de poursuivre le travail engagé sur les questions mémorielles. Le chef de l'Etat dira à ce propos : «Il faut affronter ces événements douloureux pour repartir sur des relations profitables aux deux pays, notamment au plan économique.» Emmanuel Macron, dira-t-il, «connaît bien les évènements qui ont marqué notre histoire commune. L'historien Benjamin Stora a été nommé pour accomplir ce travail mémoriel du côté français. Il est sincère et connaît l'Algérie et son histoire, de la période d'occupation jusqu'à aujourd'hui. Nous allons nommer son homologue algérien dans les 72 heures». Mais il insistera sur les menaces existantes. «Il existe en France des lobbies minoritaires mais dangereux qui parasitent les rapports entre les deux pays.» Il est donc clairement signifié que ces forces n'admettent pas que l'Algérie, pays souverain, vole de ses propres ailes. Conséquences : la France a perdu sa place de premier fournisseur de l'Algérie, rappelant toutefois que : «Plus de 450 entreprises françaises opèrent dans le pays. Elles sont appelées à jouer leur rôle dans la nouvelle Algérie.» Le président de la République saisira l'opportunité de l'entretien pour exposer au journaliste français, l'orientation de la politique algérienne dans la diplomatie économique longtemps négligée en contradiction au demeurant avec les nombreux liens traditionnels, historiques et culturels avec les pays africains. L'effacement de la dette (1,4 milliard de dollars) de certains de ces pays procède de la solidarité de l'Algérie envers ces pays. Mais les efforts à entreprendre sont appelés à être déployés en direction d'une coopération aussi large que possible à travers des projets d'investissement. Pour ce faire, la mise en place de voies de communication s'impose. Le chef de l'Etat en fait un des points de son intervention au sommet de la 33e conférence des chefs d'Etat de l'Union africaine (UA) le 9 février dernier. C'est ainsi qu'a été créée une Agence algérienne de la coopération internationale à «vocation africaine», destinée à renforcer la coopération de l'Algérie avec les pays voisins, notamment avec les pays du Sahel. C'est Chafik Mesbah, universitaire et ancien cadre de l'Etat, qui présidera aux destinées de l'Agence dont il est attendu qu'elle préfigure une nouvelle configuration des rapports économiques interafricains. Il est ainsi question de la construction de voies ferrées de l'Algérie vers le Mali et vers le Niger renforçant de façon plus efficace un apport alternatif à la transsaharienne dans le transport des marchandises. Dans le même temps, une route de 900 km reliera Tindouf à Nouakchott (Mauritanie) dont l'objectif est d'ouvrir la voie aux produits algériens jusqu'au Sénégal, la Gambie voire le Gabon. Pragmatisme, c'est le maître-mot que réitérera le chef de l'Etat dans la nouvelle vision économique qui doit prévaloir et qui ne doit pas procéder par des affinités idéologiques comme cela a prévalu... mais dans une démarche gagnant-gagnant. Les relations économiques avec la France, indiquera-t-il, devront s'inscrire dans cette nouvelle donne. Abdelmadjid Tebboune n'a pas éludé la question de la règle 49/51 dont l'abrogation vise à attirer les investissements étrangers. S'agissant du Hirak, au journaliste de L'Opinion qui l'a interpelé sur le sujet sur la grâce présidentielle au profit des détenus, il a répondu : «Le Hirak, du 22 février, a préservé le pays d'un effondrement total.» A ce propos, il annoncera que d'autres mesures d'apaisement sont prévues. Brahim Taouchichet