En guéguerre avec la France notamment au sujet de la guerre en Libye, Recep Tayyip Erdogan sort à nouveau la carte de l'Algérie. Le président turc a, une nouvelle fois, rappelé les massacres commis par la France coloniale en Algérie. Dans un discours prononcé devant des militants de son parti, AKP, à Ankara, le chef de l'Etat turc a rappelé que "la France a tué 5 millions d'Algériens" durant la colonisation. "Qui m'a dit cela ? C'est le Président algérien qui me l'a dit. Je lui ai d'ailleurs demandé de nous fournir des documents qui prouvent cela. Parce que Macron ne sait pas ce qu'il s'est passé. Il faut le lui rappeler", a-t-il indiqué. "Bien sûr, les Français ont commis des massacres, non seulement en Algérie, mais aussi au Rwanda. De nombreux pays d'Afrique du Nord ont été témoins de ce type de massacres français dans leur histoire. Le président français Emmanuel Macron ne le sait pas", a-t-il encore fulminé. C'est une réponse aux accusations répétées de la France qui rappelle que la Turquie envoie des mercenaires en Libye pour soutenir le gouvernement de Fayez al-Serraj. Ce n'est pas la première fois que Recep Tayyip Erdogan "frappe" la France avec l'argument algérien. En 2011, alors qu'il était Premier ministre, le chef de l'Etat turc avait accusé la France d'avoir commis "un génocide" en Algérie. C'était en réponse au vote par le Parlement français d'une loi pénalisant la contestation des génocides, dont celui commis par l'Empire ottoman en Arménie en 1915. "On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s'agit d'un génocide", avait, en effet, estimé Erdogan. Versant dans la provocation, il avait "conseillé" au président français de l'époque, Nicolas Sarkozy, de se renseigner auprès de son père. "Si le président français ne sait pas qu'il y a eu un génocide, il peut demander à son père, Pal Sarkozy, qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940. Je suis sûr qu'il a beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie", avait-il dit, avant d'être démenti par le père de Sarkozy qui niait s'être rendu en Algérie. En réponse, le Premier ministre algérien de l'époque Ahmed Ouyahia, aujourd'hui détenu à la prison d'El-Harrach pour des affaires de corruption présumée, avait répliqué que "personne n'a le droit de faire du sang des Algériens un fonds de commerce". "La Turquie, qui était membre de l'OTAN pendant la guerre d'Algérie, et qui l'est encore, avait participé, en sa qualité de membre de cette Alliance, à fournir des moyens militaires à la France, dans sa guerre en Algérie, au moins par l'achat d'une bombe larguée en Algérie ou d'une balle tirée contre des Algériens", avait-il encore rappelé. Les relations algéro-françaises, la corde sensible Si la diatribe d'Erdogan envers la France est d'abord une réponse du berger à la bergère, surtout qu'Emmanuel Macron multiplie ces derniers jours les déclarations hostiles à la Turquie, il est évident que le président turc utilise la sensibilité qui caractérise les relations algéro-françaises pour tenter de rallier un maximum de pays à sa cause. Surtout qu'avant la venue du président turc à Alger la semaine dernière, un froid s'est installé entre Alger et Paris. Cela a commencé lors de l'annonce des résultats de l'élection présidentielle. Le président français, Emmanuel Macron, déclare alors, depuis Bruxelles, qu'il prenait "note" de la "la déclaration" d'Abdelmadjid Tebboune comme "vainqueur" de l'élection. Une affirmation qui avait irrité le nouveau chef de l'Etat. "Je ne lui réponds pas. Il est libre de vendre ce qu'il veut dans son pays", avait indiqué Abdelmadjid Tebboune lors de sa première conférence de presse de Président élu. La tension a baissé depuis qu'Emmanuel Macron a "félicité" Abdelmadjid Tebboune après l'annonce des résultats définitifs à l'élection présidentielle. Là aussi, une polémique a failli éclater lorsque l'agence de presse officielle, APS, a évoqué des "félicitations chaleureuses" du président français. Les services de l'Elysée ont alors été dans l'obligation de recadrer la communication officielle algérienne en affirmant que le chef de l'Etat français s'est contenté de "féliciter" son homologue algérien. Si le chef de l'Etat algérien a déclaré récemment que les "choses" rentraient "dans l'ordre" dans les relations algéro-françaises, il ne s'est pas empêché de décocher, une nouvelle fois, des flèches à l'ancien colonisateur. "Il y a eu des tentatives d'ingérence" française lors de la période qui précédait l'élection présidentielle, révèle Abdelmadjid Tebboune. "Cela ne vient pas forcément du président français", a-t-il tempéré, mais "les Français savent que nous sommes très sensibles lorsqu'il s'agit de notre souveraineté", a ajouté Tebboune qui rappellera que "l'Algérie n'est sous la tutelle de quiconque". Il a évoqué l'existence "de lobbies" hostiles à l'Algérie au sein de la classe politique et de la société civile en France. Mais il n'a cité personne en particulier. En évoquant la normalisation, Abdelamadjid Tebboune faisait référence à la visite, quelques jours avant cette intervention médiatique, du chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Drian. Contrairement aux pratiques en usage en Algérie, le ministre français n'a pas été accueilli à son arrivée à l'aéroport international d'Alger par son homologue. Sabri Boukadoum, qui s'est déplacé lui-même mercredi dernier pour accueillir le ministre émirati des Affaires étrangères, a préféré envoyer le secrétaire d'Etat chargé de la communauté nationale à l'étranger pour recevoir Le Drian. Un geste qui confirme qu'entre les deux hommes, les liens étaient plutôt froids. Ce qui n'a pas empêché des discussions "chaleureuses", notamment sur la question libyenne. Les relations algéro-françaises ont toujours évolué en dents de scie. À chaque nouveau couac entre les dirigeants des deux Etats, la question de la mémoire ressurgit. En Algérie, des associations et partis du pouvoir sortent toujours la carte de la "repentance" face à l'ancien colonisateur. Les dirigeants français, pris en tenailles entre une partie de leur opinion publique qui ne veut rien céder sur la question mémorielle et la sensibilité des réactions algériennes, ont toujours joué sur les mots. C'est le cas d'une récente sortie médiatique où Emmanuel Macron a comparé la colonisation de l'Algérie à la Shoah. Un début de polémique, déclenchée notamment par les milieux de la droite en France, a poussé le chef de l'Etat à faire marche arrière. "Rien ne peut être comparé à la Shoah", s'est-il rétracté. Une preuve que les relations entre l'Algérie et la France restent toujours prisonnières du passé. Une corde sensible sur laquelle tente de jouer Erdogan.