En 2003, la Sonatrach vendait les actions quelle d�tenait sur les compagnies am�ricaines Anadarko et Duke Energy. Le fruit de cette vente a �t� plac� aupr�s d�un fonds d�investissement cr�� quelques mois auparavant par un parent de Mohamed B�djaoui, l�ancien pr�sident du Conseil constitutionnel et ministre des Affaires �trang�res. Cette op�ration, unique dans les annales de l��conomie alg�rienne, aurait �t� d�cid�e par Chakib Khelil alors qu�il �tait ministre de l�Energie et pr�sident-directeur g�n�ral de la Sonatrach. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - En onze ann�es de gestion sans partage sur le secteur de l��nergie, Chakib Khelil a pris des engagements qui restent inexpliqu�s. L�affaire des placements des actions d�tenues par la Sonatrach sur le g�ant am�ricain Anadarko et sur Duke Energy, la compagnie de distribution de gaz de l�Etat de Caroline du Nord, fait partie des grandes �nigmes � inscrire dans le bilan du d�sormais ex-ministre de l�Energie et des Mines. Le 27 mai dernier, soit deux jours avant son limogeage, Khelil avait qualifi� ce placement �d�op�ration excellente �. L�a-t-elle r�ellement �t� pour l�Etat alg�rien ? Actions strat�giques Cette affaire de placements n�est que le prolongement d�une autre affaire qui avait d�fray� la chronique vers la fin des ann�es 70: le contrat gazier El Paso. Ce contrat, qui portait sur la vente d�une importante quantit� de gaz naturel liqu�fi� (GNL) aux Etats-Unis n�a pu aboutir � cause d�un litige sur le prix de cession. Un litige qui s�est achev� par un arbitrage international en faveur de la Sonatrach, en qualit� de repr�sentant de l�Etat alg�rien. A titre de compensation, la compagnie nationale b�n�ficiera de portefeuilles d�actions Anadarko et Duke Energy, deux importantes entreprises am�ricaines. Il faut dire que ce dossier a toujours �t� entour� d�une certaine confidentialit�. Aujourd�hui encore, il existe tr�s peu d�informations sur les modalit�s de gestion de ces avoirs durant les ann�es 1980 et 1990. Mais au-del� de son caract�re �sensible�, tous les responsables qui se sont succ�d� � la t�te de l�Etat alg�rien ont refus� de c�der ces actions pour des raisons d�ordre strat�gique. Une d�cision qui a �t� maintenue au plus fort de la crise �conomique et politique des ann�es 90, alors que le pays �tait quasiment en cessation de paiement. En 1997, la compagnie nationale confie � sa filiale hollandaise SPIC BV la cr�ation de la Sonatrach Petroleum Corporation (Sopec). Domicili�e aux Etats-Unis, la Sopec est charg�e de g�rer les 16 millions de parts d�tenues dans le groupe Duke Energy, soit 2 % de son capital. �Au 31 d�cembre 2001, le volume total du portefeuille actions de Duke Energy, d�tenu par la Sopec s�est �lev� � 639 millions de dollars am�ricains. Il a d�gag� une valeur ajout�e de plus de 303 millions de dollars am�ricains avant r�duction des taxes, soit un r�sultat net apr�s taxes de 202 millions de dollars am�ricains �, pr�cise un rapport de la Sonatrach datant de 2002. Les avoirs d�tenus sur Anadarko sont eux aussi cons�quents. Les rapports financiers publi�s en 2003 et 2004 par la Sonatrach pr�cisent qu�ils �taient de l�ordre de 240 millions de dollars (239 464 035,8 dollars am�ricains). A l��poque, l�Etat alg�rien d�tenait 5 % du capital du g�ant am�ricain. Courts-circuits Nomm� en 1999, � l�arriv�e de Abdelaziz Bouteflika, Chakib Khelil impose une nouvelle �vision�. Fini le protectionnisme � l�alg�rienne. L��re est � l�ouverture. Pour imposer ses d�cisions, Khelil commence par court-circuiter le Conseil national de l��nergie, une institution cr��e par le pr�sident Liamine Zeroual en avril 1995. L�article 2 du d�cret pr�sidentiel suffit � d�montrer les pouvoirs et les pr�rogatives de ce Conseil : �Le Conseil national de l��nergie est charg� d�assurer le suivi et l��valuation de la politique �nerg�tique nationale � long terme, notamment de la mise en �uvre d�un plan � long terme destin� � garantir l�avenir �nerg�tique du pays; d�un mod�le de consommation �nerg�tique en fonction des ressources �nerg�tiques nationales, des engagements ext�rieurs et des objectifs strat�giques � long terme du pays ; de la pr�servation des r�serves strat�giques du pays en mati�re d��nergie ; des strat�gies � long terme de renouvellement et de d�veloppement des r�serves nationales en hydrocarbures et leur valorisation ; de l�introduction et du d�veloppement des �nergies renouvelables ; des sch�mas d�alliances strat�giques avec les partenaires �trangers intervenant dans le secteur de l��nergie ; des engagements commerciaux � long terme.� Il est cens� �tre le garant de la politique �nerg�tique de l�Etat alg�rien. Aucune d�cision strat�gique ne peut se prendre en dehors de ce cadre. Pr�sid� par le Chef de l�Etat, le Conseil national de l��nergie ne s�est jamais r�uni depuis la venue de Abdelaziz Bouteflika. Notons que le poste de secr�taire g�n�ral du Conseil est assur� par le ministre de l�Energie et des Mines. De f�vrier 2001 � septembre 2003, Chakib Khelil verra ses pouvoirs d�cupler puisque, en plus du poste de ministre, il sera nomm� en qualit� de pr�sident-directeur g�n�ral de la Sonatrach. Un cumul de fonctions qui lui permettra de diriger les principaux organes de la compagnie p�troli�re, notamment l�Assembl�e g�n�rale (en qualit� de ministre de l��nergie) et le Conseil d�administration. Il semble que c�est � cette p�riode que la d�cision de placement des actions Anadarko et Duke Energy ait �t� prise. Rayan En effet, au m�me moment, un fonds d�investissement voyait le jour dans l��mirat de Duba� : Rayan Asset Management. Cette structure est le repr�sentant exclusif pour le Moyen-Orient et l�Afrique du Nord de Russell Investments, un fonds d�investissement am�ricain de premier plan. A sa t�te, on retrouve un jeune homme d�origine alg�rienne, Farid B�djaoui. Ce dernier n�est autre que le neveu de l�ancien pr�sident du Conseil constitutionnel et ministre des Affaires �trang�res, Mohamed B�djaoui. Quelques mois seulement apr�s sa cr�ation, Rayan Asset Management a r�ussi � d�crocher son premier gros contrat avec la dixi�me compagnie p�troli�re du monde. C�est en effet Rayan qui est charg� de g�rer le fruit de la vente des deux portefeuilles d�actions Anadarko et Duke Energy d�tenus par la Sonatrach. Selon des documents retra�ant les mouvements de placements op�r�s par le fonds d�investissement, dont nous avons obtenu des copies, le compte Sonatrach a �t� ouvert le 22 septembre 2003 avec un apport de plus de 7 millions de dollars am�ricains (7 506 961,98 dollars am�ricains) en cash provenant de la vente d�action Duke Energy Corp. Les premiers fonds ont �t� plac�s une semaine plus tard, soit le 29 septembre. Le premier apport issu de la vente des actions Anadarko date du 22 avril 2005 avec plus de 11 millions de dollars am�ricains (11 824 782,69 $). A l�exception d�achat de bons du Tr�sor am�ricain, les placements op�r�s par Rayan Asset Management sont, dans leur totalit�, � caract�re sp�culatif. Un fait important est toutefois � relever : Rayan Asset Management a servi d�interm�diaire dans l�op�ration d�achat d�actions de Energias de Portugal, la soci�t� nationale de distribution d��lectricit� du Portugal. En 2007, le minist�re de l�Energie et des Mines annon�ait la prise de participation � hauteur de 25 % dans le capital de l�entreprise portugaise. Il s�av�re que ces actions n�ont pas �t� acquises dans le cadre d�une transaction d�cid�e par l�Etat alg�rien, mais plut�t � travers les placements effectu�s par Rayan Asset Management pour le compte de la Sonatrach. Le processus d�achat a d�but� le 22 f�vrier 2007 par le versement de la somme de 65 millions d�euros. Les achats d�actions se sont d�roul�s � intervalles r�guliers jusqu�au 31 d�cembre 2007. Le compte d�di� � l�achat du portefeuille d�actions de Energias de Portugal a �t� cl�tur� le 31 d�cembre 2009. Officiellement, Rayan Asset Management a proc�d� � la cl�ture de l�ensemble des comptes de la Sonatrach le 30 mars 2010, les derniers paiements proviennent de la vente de bons du Tr�sor am�ricain. Un point important est � retenir : la cl�ture des comptes co�ncide avec l��clatement des scandales qui ont �branl� la compagnie nationale au d�but de l�ann�e 2010. Qui, comment et pourquoi ? Quarante-huit heures avant son limogeage, Chakib Khelil avait pr�cis� que les fonds plac�s aupr�s de Rayan avaient �t� restitu�s et que les gains s��l�vent � 600 millions de dollars. �Les fonds ont �t� restitu�s et on a fait un gain de 600 millions de dollars sur un investissement d�un milliard de dollars. Donc on a gagn� pratiquement 60 % sur ces fonds (�) Ce qui est important de retenir, c�est que nous avons gagn� 600 millions de dollars sur un milliard de dollars de placement. Et vous pouvez imaginer si on avait un peu plus d�argent, on aurait pu gagner un peu plus�, annon�ait-il avec fiert�. Mais Chakib Khelil n�en dira pas plus. Des questions restent encore en suspens. Elles sont trop nombreuses. Qui a pris la responsabilit� de vendre les actions d�tenues par l�Etat alg�rien sur Anadarko et Duke Energy ? Car c�est bien l�Etat qui d�tient ces avoirs. Il suffit de se r�f�rer � l�article 5 du d�cret pr�sidentiel du 11 f�vrier 1998 portant statuts de la Sonatrach : �Sonatrach dispose d�un capital social de deux cent quarante-cinq milliards de dinars r�parti en deux cent quarante-cinq mille actions d�un million de dinars chacune, enti�rement et exclusivement souscrit et lib�r� par l�Etat. Il est inali�nable, insaisissable et incessible�. Les actions �tant de fait �inali�nables, incessibles, insaisissables�, par quel subterfuge ont-elles �t� c�d�es ? La Banque d�Alg�rie, seule institution � pouvoir placer et g�rer les avoirs de l�Etat alg�rien � l��tranger, a-t-elle �t� saisie ? Le Conseil de la monnaie et du cr�dit a-t-il autoris� cette op�ration ? Consid�rons, dans l�absolu, que le ou les initiateurs de cette vente aient respect� la r�glementation, pourquoi ontils choisi Rayan Asset Management pour effectuer les placements ? Pourquoi n�y a-t-il pas eu de processus de pr�s�lection ? Pourquoi avoir mis� tout cet argent dans un fonds d�investissement cr�� quelques mois auparavant par le neveu d�un dignitaire du r�gime ? Sommes-nous face � une forme de d�lit d�initi� ? Quels sont les montants des honoraires per�us par Rayan, qui finalement est intervenu en qualit� d�interm�diaire de Russel Investments ? Pour quelle raison la Sonatrach a acquis une part du capital de Energias de Portugal � travers ce fonds d�investissement ? Quelles ont �t� les cons�quences de la crise financi�re internationale sur le portefeuille Sonatrach? Rayan a-t-elle perdu de l�argent ? Responsabilit�s Si l�on se r�f�re au d�cret pr�sidentiel du 11 f�vrier 1998, la gestion de la compagnie nationale est du ressort de trois organes : l�Assembl�e g�n�rale, le Conseil d�administration et le pr�sident-directeur g�n�ral. Trois organes qui �taient plac�s sous le contr�le de Chakib Khelil au moment des faits. Sa responsabilit� est donc totalement engag�e. Au m�me titre que les cadres qui si�geaient au sein de l�Assembl�e g�n�rale et du Conseil d�administration. Une responsabilit� partag�e �galement par le coll�ge des commissaires aux comptes de la compagnie. Dans les rapports financiers des dix derni�res ann�es, les commissaires aux comptes ne font � aucun moment mention de la vente des actions Anadarko et Duke Energy ni m�me des placements effectu�s aupr�s de Rayan Asset Management. Dans cette op�ration, il y a forc�ment des gagnants et des perdants. Il est peu probable que l�Etat alg�rien fasse partie de la premi�re cat�gorie. Par contre, on peut d�j� identifier deux grands gagnants : Rayan Asset Management, qui a r�alis� une excellente affaire financi�re tout en se taillant une sacr�e r�putation en d�crochant un contrat avec la Sonatrach. Anadarko a forc�ment gagn� dans cette affaire. La major am�ricaine a fini par se d�barrasser d�un actionnaire encombrant. Et ironie du sort, Anadarko et Sonatrach sont aujourd�hui en arbitrage � propos de la taxe sur les superprofits, mesure introduite dans la loi sur les hydrocarbures. Un texte initi� par Chakib Khelil�