Par Ali Chérif Deroua «Parler est facile. Agir est difficile. Comprendre est le plus difficile. Une fois que l'on a compris, il est facile d'agir.» Phrase tirée du discours d'ouverture d'Ahmed Soekarno à la Conférence de Bandung le 18 avril 1955. Une phrase qui en dit long sur la valeur, la sagesse et la philosophie d'Ahmed Soekarno. Cher lecteur, Permettez-moi de faire certaines transgressions à l'unicité du sujet et revenir sur mes précédentes contributions, afin d'éclairer certains lecteurs qui ont demandé d'expliciter certains passages de mes écrits. Nasser et son soutien à la Révolution algérienne. En complément du contenu de la contribution, je signale au lecteur que selon le témoignage de Ferhat Abbas, sur lequel personne ne peut avoir de doute, il reconnaît avoir été reçu par Nasser en tant que président du GPRA le 5 octobre 1958, les 2 et 11 février 1959 et le 6 avril 1959. Il l'a également invité aux dîners offerts en l'honneur de Djoeanda Kartawidjaja, chef du gouvernement indonésien, le 26 octobre 1958, et en l'honneur de la délégation irakienne conduite par le président Mohamed Naguib Al Rouba'i le 5 novembre 1958.(1) Six rencontres en huit mois, la dernière, la veille du départ de Abbas en Inde !!! À défaut d'aide, comme certains continueront à le penser à tort, il avait au moins de la considération et du respect pour le président du GPRA, donc pour l'Algérie. En ce qui concerne le livre de Fethi Dib, j'ai utilisé le terme «certaines inepties», et j'en cite au moins deux. Au lecteur d'apprécier. Il écrit dans son livre: 1- les membres de ce comité qui sont arrivés au Caire, étaient : -Le commandant Abane Ramdane, chef de la Kabylie -Le commandant Krim Belkacem, chef de la wilaya de Constantine -Le commandant Bentobal Lakhdar, chef de la wilaya de Constantine -Le commandant Benkhedda Benyoussef, chef de la wilaya d'Alger -Le commandant Saâd Dahlab, chef de la wilaya du Sahara....(2) 2- Quelques jours plus tard, nous avons appris l'assassinat d'Abane Ramdane, alors en route vers la Tunisie.(3) Cher lecteur, je crois que c'est la première fois que vous entendez parler de ces inepties. Eh bien beaucoup vont profiter de ces découvertes pour se les approprier ou les attribuer à d'autres. J'en sais quelque chose puisque j'ai été victime de pareils cas dans le passé. Je les dénoncerai tôt ou tard, ce n'est qu'une question de temps. Revenons à la conférence. Sur une initiative de Nehru, une conférence s'est tenue à Colombo (Ceylan, actuel Sri Lanka) du 2 au 5 mai 1954 pour trouver une solution à la situation en Indochine, soit 3 jours avant l'événement de Dien Bien Phu. Les cinq pays participants, Birmanie, Ceylan, Inde, Indonésie et Pakistan avaient discuté aussi de la politique des blocs, la libération des pays sous colonisation, les essais nucléaires, l'admission de la Chine populaire aux Nations unies et surtout de la préparation d'une conférence plus importante qui aura lieu en Indonésie. Les cinq pays se retrouvent en décembre 1954 à Bogor (Indonésie) pour décider de la date et du lieu de cette conférence, et établir la liste des pays participants, des invités et des observateurs. C'est ainsi qu'eut lieu la Conférence de Bandung du 18 au 24 avril, avec 29 pays participants, Afghanistan. Arabie Saoudite, Birmanie, Cambodge, Ceylan, Chine, Côte d'Or actuel Ghana, Egypte, Ethiopie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Liberia, Libye, Népal, Pakistan, Philippines, Somalie, Soudan, Syrie, Thaïlande, Turquie, Vietnam et Yémen, 30 observateurs et une dizaine d'invités de marque dont Abdelkhalek Hassouna, secrétaire général de la Ligue arabe. Parmi les observateurs, il y avait une délégation unique des mouvements de libération des trois pays nord-africains : Néo Destour Tunisie, Istiqlal Maroc, Front de libération nationale Algérie. Je les cite tels qu'écrits dans les documents officiels. Avant, j'aimerais vous narrer des événements qui justifient souvent les crises dues à l'orgueil, l'intérêt, la préséance, le tempérament... Dès que les invitations sont parvenues à la Ligue arabe, s'est posée la question de qui dirigera cette délégation. Les trois partis ont préféré la solution de trois délégations séparées. L'invitation était pour une délégation unique, donc il fallait choisir. Salah Benyoussef et Allal Al Fassi voulaient la présidence de la délégation. Ce dernier arguait qu'il était le président de l'Istiqlal et que Benyoussef n'était que le secrétaire général du Néo Destour. L'Algérie était non concernée, l'appel du 1er Novembre 1954 ayant résolu le problème par la direction collégiale !!! La présidence de la délégation en faveur de Salah Benyoussef a été tranchée sur les critères suivants : 1- ancienneté de la création du parti : Néo Destour 2 mars 1934, Istiqlal 10 décembre 1943 ; 2- ancienneté du déclenchement de la lutte armée Tunisie 22 janvier 1952, Maroc après la déposition de Mohammed V le 20 août 1953 ; 3- argument décisif : le Néo Destour est le seul parti à disposer dans la région de bureaux avec des représentants officiels Tayeb Slim à New Delhi et Rachid Driss à Djakarta, qui ont suivi le déroulement de toutes les réunions pour la tenue de cette conférence. Ils étaient rodés à la diplomatie et avaient les connexions nécessaires ; 4- l'âge des deux postulants : Salah Benyoussef né le 11 octobre 1907, Allal Al Fassi né le 10 janvier 1910. Le choix de Benyoussef avait poussé Allal Al Fassi à bouder la délégation, arriver en dernier à Bandung, juste un jour avant l'ouverture, déléguer Margaret Pope pour la photo souvenir et surtout «disparaître des écrans». Jusqu'à preuve du contraire, aucune photo de Allal Al Fassi n'a apparu sur les médias à ce jour. Il faut signaler que ni la Ligue arabe ni le pouvoir égyptien n'ont interféré dans ce choix. D'autre part, l'Egypte n'a voulu inclure personne dans sa délégation, sûrement pour ne pas subir le reproche de favoritisme. Pour le lecteur, Margaret Pope, de nationalité anglaise, était une militante de l'Istiqlal depuis 1951, date à laquelle elle était la correspondante à Tanger de l'hebdomadaire Observer, un des plus anciens et des grands journaux du monde. D'après Hocine Aït Ahmed à Rangoun, Birmanie : «Janvier 1952, Tayeb Slim pour le Néo Destour, Miss Margaret Pope pour l'Istqlal et moi-même pour le PPA/MTLD, assistons en tant qu'observateurs à cette conférence de Rangoun... Le problème de la décolonisation est inscrit à l'ordre du jour.»(4) À l'ouverture de cette conférence de Bandung, Ahmed Soekarno a prononcé un discours d'ouverture d'anthologie, où il a posé tous les problèmes politiques, économiques, de voisinage, de décolonisation, auxquels l'humanité était confrontée, les solutions et moyens de les résoudre et les buts assignés à cette conférence, qu'il a formulés par le vocable de NEUTRALITISME POSITIF. Pour plus de précautions et d'égalité, chaque délégation bénéficiait de 10 sièges dans la salle. Les vedettes de cette conférence étaient, d'après les commentateurs de cette époque, Nehru qui s'imposait par sa sagesse, son talent de négociateur, son panache, son passé et son âge, étant le doyen de cette conférence. Chou En Lai avec sa prestance, l'aura de la Grande Marche, le poids de la Chine, sa connaissance des langues, polyglotte, sa valeur intrinsèque et surtout un sourire permanent et charmeur qui mettait à l'aise l'interlocuteur. Nasser avec sa tenue militaire, sa taille, un sourire conquérant, une énigme dans cette conférence où tous les ténors avaient un CV bien chargé, un verbe dans un anglais parfait et surtout une modestie naturelle et une disponibilité permanente. Soekarno, l'hôte de la conférence, le leader de la lutte de libération de son pays, chef d'orchestre de ce ballet de chefs d'Etat et de dignitaires, avenant, attachant, plein d'humour et surtout de conviction prêt à la faire partager aux autres. Enfin tout ce qu'il fallait pour que cette conférence soit historique. Dans ce concert, deux jeunes Algériens âgés d'une trentaine d'années, Hocine Aït Ahmed et M'hammed Yazid, étaient présents pour promouvoir et défendre avec succès les positions d'une jeune révolution algérienne âgée de six mois. Ils ont réussi cette mission avec éclat. Leur participation a fait de la question algérienne l'une des priorités de la politique mondiale de l'époque. Ils y sont parvenus. La preuve en est le paragraphe dans le communiqué final de cette conférence. «En ce qui concerne la situation instable en Afrique du Nord et le refus persistant d'accorder aux peuples d'Afrique du Nord leurs droits à disposer d'eux-mêmes. La conférence afro-asiatique déclare appuyer les droits des peuples d'Algérie, du Maroc et de Tunisie à disposer d'eux-mêmes et à être indépendants. Elle presse le gouvernement français d'aboutir sans retard à une solution pacifique de cette question.» Cette participation et le communiqué de la conférence ont galvanisé le moral des moudjahidine, et ils étaient peu nombreux en ce temps-là, qui se battaient pour que l'Algérie recouvre son indépendance et sa liberté. Pour plus de précisions pour le lecteur, Hocine Aït Ahmed et M'hammed Yazid étaient les benjamins de cette conférence. Avec ce résumé de leur participation, au lecteur de se faire sa propre opinion sur la valeur des deux premiers diplomates algériens. A. C. D. Cher lecteur, pour ne pas avoir à subir le reproche de certains, la prochaine contribution portera sur l'implantation de l'armée française en Algérie durant la guerre de Libération. (1) Autopsie d'une guerre. Ferhat Abbas. Pages Editions Garnier. (2) Nasser et la Révolution algérienne Fethi Dib page 325 Saihi Editions. (3) Idem page 339 (4) Document de 5 pages écrit par Hocine Aït Ahmed paru sur Jeune Afrique 1272 du 22 mai 1985 pages 14, 15, 17, 18 et 19.