Ce soir-là, je n'étais pas sur M6. J'écoutais la voix d'une Algérie qui n'était plus tremblante, elle n'était pas hésitante; elle s'exprimait dans la langue qui n'aurait jamais dû quitter ce pays : la langue des révolutionnaires, des hommes libres qui ne se courbent pas devant Trump et n'acceptent pas ses plans à la noix de coco, dont il n'est d'ailleurs même pas l'auteur, puisqu'ils sont concoctés par le plus sioniste des Américains, son beau-fils Jared Kushner. Certains avaient interprété le silence des derniers jours à propos de la drôle de «normalisation» comme le signe d'un prolongement de l'ère Bouteflika, avec des émirs en pays conquis, pour qui rien n'était trop beau, y compris les tueries organisées de notre faune ! Au diable la diplomatie de la tête baissée et de l'hypocrisie. Dire que la cause palestinienne est sacrée pour le peuple algérien ne relève d'aucune démagogie ou populisme. C'est la réalité des sentiments qu'éprouve un peuple colonisé durant 132 ans vis-à-vis d'un autre peuple spolié de ses droits. Au diable les intérêts économiques — s'il y en a ! — et tous les soi-disant investissements qui vous obligent à vous courber et accepter toutes les compromissions. Je sais, je sais... Certains me reprocheront de m'accrocher à des chimères, d'autres me diront que le monde a changé et qu'il faut voir son intérêt ; certains parmi les plus jusqu'au-boutistes étaleront leur amour d'Israël et leur haine des Arabes. Je ne parle pas des Arabes, ceux-là ont définitivement raté le train de l'Histoire; ils sont de plus en plus fourbes, de plus en plus égoïstes, de plus en plus lâches. Ils ne m'intéressent pas et le mieux pour l'Algérie est de se retirer de la Ligue de la honte dominée par ceux qui paient le mieux ; je parle de ce peuple qui subit des violations quotidiennes, qui a perdu tout son territoire ou presque — ces bantoustans reliés par des bouts de route au milieu des colonies de plus en plus nombreuses —, je parle de ces femmes et hommes qui sont les derniers damnés de la terre. Et quand ils veulent s'émanciper par les armes, une résistance reconnue comme légitime pour se libérer de l'occupation militaire, on crie au terrorisme. Pourtant, ce furent notre voie et nos moyens pour nous affranchir de la colonisation, ce fut le chemin des Vietnamiens et, comble de l'ironie, le patriotisme tel qu'il a été pratiqué par les colons américains pour chasser l'occupant anglais ! Je ne fais même pas d'efforts pour ressentir cette fierté : elle coule en moi depuis que j'ai vu mon oncle Hamid embrasser les siens pour partir au maquis et y mourir à l'âge de 15 ans, depuis que j'ai parcouru les ruelles insalubres de ce que l'on appelait le Communal, gros bourg de gourbis, sans eau courante, sans électricité et sans réseaux d'assainissement, depuis que j'ai croisé des mômes en haillons, les cheveux ébouriffés et plein de poux, pieds nus, qui traînaient une vieille roue de brouette, leur jouet du jour... J'ai vu beaucoup de choses et pas à la télévision qui n'existait pas. Nous avons attendu 1970 pour voir les premières images grâce à l'unification du réseau national. J'ai vu l'Algérie grandir et se bâtir et je crois que 1962 n'a pas apporté que des malheurs. Il a apporté la santé aux Algériens qui vivent jusqu'à 78 ans, alors qu'ils ne dépassaient pas les 48 en 1962 ! La liste des acquis est telle qu'il serait impossible de les citer dans le détail. Je parle de la Palestine parce que je lui souhaite de se libérer et de bâtir le progrès et la prospérité pour tous, mais avec un meilleur parcours démocratique que nous. Justement, la Palestine que je bâtis dans ma tête est le rêve des musulmans et des chrétiens de ce pays, frères de combat pour une cause commune; je ne la vois pas donc sous l'œil d'une religion unique comme le font la majorité des Algériens. Je suis comme ces millions de citoyens du monde qui vibrent au mot Palestine et organisent la résistance des sociétés libres face à l'hégémonie sioniste. Ce soir-là, je retrouvais Novembre, le vrai, qui a été bien malmené depuis 2019 par des opportunistes de tous bords voulant s'accaparer cette proclamation historique au ton résolument moderniste, populaire, progressiste et anti-impérialiste. J'ai dit un jour à un ami qu'elle était même socialiste. Il m'arrêta net pour me dire que le mot n'existe pas dans le texte. Oui, et je crois que les éléments révolutionnaires, auteurs de cette proclamation, étaient conscients du fait qu'un Front ne pouvait pas rentrer dans de tels détails, au risque de toucher la sensibilité de certains parmi eux. C'est pourquoi le terme «social», pour qualifier l'Etat indépendant, convenait mieux afin de ne pas créer de divisions artificielles mais l'idée du socialisme, telle qu'on la retrouve chez Ben M'hidi, ne laisse aucun doute. Un Etat qui se mobilise pour les démunis, se préoccupe des zones d'ombre, soutient les prix des produits de première nécessité, subventionne le carburant et, par conséquent, le transport des travailleurs et des classes défavorisées, soigne gracieusement les malades, maintient l'école, le lycée et l'université gratuits et ouverts à toutes les classes sociales, supprime les taxes pour les bas salaires, perd de l'argent en prenant en charge la différence entre les prix réels de l'eau, de l'électricité et du gaz et ceux payés par les clients, ne se détourne pas des grandes sociétés publiques qu'il veut rendre puissantes et prospères ; cet Etat ne vous rappelle rien ? C'est ce travail, malgré les lourdeurs bureaucratiques, les tracas que rencontrent les retraités dans les bureaux de poste et la faiblesse chronique de l'internet ainsi que les pannes d'eau courante et un tas d'autres problèmes qui empoisonnent notre vie quotidienne; c'est ce travail qui compte et il faut le poursuivre et l'approfondir en cherchant des solutions efficaces et intelligentes à la question du chômage et de la malvie de cette jeunesse qui prend des barques de fortune pour aller voir le monde réellement moderne. L'Algérie a besoin de programmes économiques et sociaux mais surtout d'une véritable renaissance culturelle dans ces arts modernes que le discours religieux intransigeant met sur le compte de la dépravation ! Nous avons besoin de plus de centres de loisirs, de plus de cinémas, de théâtres, de salles pour les concerts musicaux, de galeries de peinture et d'écoles de danse. Vingt années de Bouteflika — succédant aux années FIS — ont défiguré le visage de la société algérienne qui a basculé dans le wahhabisme au moment même où le pays de naissance de cette doctrine infernale essaye courageusement de s'en débarrasser en s'ouvrant à la culture moderne. Qui aurait dit que les cinémas multiplex les plus modernes s'installent à Riyad et Djeddah au moment où nos salles de cinéma, rafistolées depuis 1962 et totalement dépassées sur le plan technique, se comptent sur les doigts d'une seule main ? Le novembrisme, bricolé pour casser le Hirak, est un ramassis de mensonges car la révolution n'a jamais été islamiste, et d'ailleurs l'islamisme n'existait pas. Elle a été imaginée et produite par des révolutionnaires progressistes dont le combat s'inscrivait dans la tradition de lutte pour la liberté des peuples du tiers-monde. Les révisionnistes veulent nous faire croire que l'expression «dans le cadre des principes de l'islam» est un programme idéologique qui fait la part belle à leurs idées effrayantes. La référence à l'islam est un passage obligé parce que la libération de l'homme algérien passait obligatoirement par la récupération de sa personnalité, de sa langue, de sa religion. Les premiers concepteurs du projet n'étaient pas des Martiens, ni des révolutionnaires de salon, coupés de leur peuple ! Beaucoup venaient des célèbres medersas et des Scouts musulmans, deux écoles qui forgèrent cet esprit de maquisard imprégné des valeurs de son peuple. Ils venaient à titre individuel parce que les Ulémas n'étaient pas très chauds pour s'engager. Cependant, la formation patriotique de ces pionniers les orientait le plus naturellement vers le combat libérateur. Novembre doit revenir aux patriotes qui ne mélangent pas politique et religion car les problèmes les plus graves — et ce n'est pas terminé — sont venus de cette confusion. Le législateur a bien prévu dans la Constitution de 1989 l'interdiction des partis religieux. Si le pouvoir de Chadli avait eu le courage d'imposer la loi, on ne serait pas dans cette situation. L'erreur n'a pas été corrigée sous Zéroual, ni sous Bouteflika. Le sera-t-elle cette fois-ci ? Simple question de bon sens : si l'islam est la religion de l'Etat et du peuple, de quel droit certains en feraient un programme politique pour leurs partis ? M. F.