Par Hocine Bouraoui(*) La guerre israélo-arabe Comme cité précédemment, Messali Hadj, dépassé par la chronologie du mouvement national, voulait, à sa libération, en maîtriser les développements. Sous prétexte de venir en aide au peuple palestinien spolié de ses terres par le sionisme, il tentera d'éloigner les activistes clandestins de l'OS du terrain de la lutte anticoloniale vers la coalition arabe dans la première guerre israélo-arabe. Des militants, à leur tête le Dr Lamine Debaghine, qui a assuré l'intérim du «Zaïm» pendant sa longue absence, se sont opposés à cette politique interventionniste, préférant conserver cette force de frappe pour l'insurrection future. Messali lui fera payer son «insubordination» le moment voulu. Le Dr Lamine Debaghine, un des organisateurs de l'Association des étudiants musulmans africains, membre du PPA dont il prendra la tête en l'absence de Messali, contestera la politique «réformiste» du vieux leader. Il parcourt le territoire pour convaincre les militants de la nécessité de revoir la ligne politique de Messali. Le «Zaïm» le considère comme son principal rival. Il sera exclu du comité central le 1er décembre 1949. La crise de 1949 En France, à l'affirmation du slogan «Algérie française», des militants de la Fédération de France avaient opposé «Algérie algérienne», sans en préciser le contenu et encore moins les formes. Le simulacre de vote organisé par Rachid Ali Yahia est qualifié par Aït Ahmed «d'agissements irresponsables» (Ali Guenoun). Que l'administration coloniale et les services secrets français aient soufflé sur le feu ; du côté algérien, ce fut le tollé général. La direction du parti réagit violemment. Elle prononcera la dissolution immédiate de la Fédération et dépêchera une commission formée de Kabyles (Dr Chawki Mostefai, Saïdi Sadok) et du bras droit de Messali, Abdellah Fillali. Le Dr Lamine Debaghine se rangera du côté de la Fédération et s'opposera à cette lutte fratricide. Tous les écrits rapportés (Mohamed Harbi, Ali Yahia Abdennour, Amar Ouerdane) ne sont étayés par aucun document vérifiable ; bien plus, ils se contredisent. Les supposés documents saisis par la police sur Bennaï Ouali, arrêté à Oran en partance pour la France afin d'amener à la raison Rachid Ali Yahia, existent pour certains (Harbi), sont niés par d'autres (Ouerdane) et seraient faux selon l'historien du nationalisme algérien, Mahfoud Kaddache. Messali verra dans cette «crise berbéro-matérialiste» l'occasion idoine pour domestiquer l'indomptable «Organisation spéciale» en écartant d'abord son chef, le «Kabyle» Aït Ahmed, et le remplacer ensuite par un élément de sa région (Tlemcen), l'ex-adjudant de l'armée française, Ahmed Ben Bella. Un mal algérien, l'açabisme-wilayisme Assassinats de Bennaï Ouali, Ould Hammouda et M'barek Aït Menguellet Après le déclenchement de l'insurrection, la plupart des acteurs de la crise de 1949 avaient rejoint le FLN, pour dire que ladite crise fut interne au parti MTLD et non comme rapporté par certains écrits tendancieux qui l'attribuent, tantôt à une «crise berbériste», tantôt à une crise «anti-berbériste». Le vieux militant Messaoud Oulamara (1913-2001) intercédera auprès de Krim pour son ancien chef Bennaï. Ce dernier, à l'instar des anciens militants, voulait rejoindre l'insurrection du 1er Novembre : «Sois prudent, ne le crois pas. Dis-lui de se tenir tranquille. Le jour où nous aurons besoin de lui, nous l'appellerons», répondit Krim Belkacem. Quant au poème kabyle composé par le militant du PPA clandestin Mohand Idir Aït Amrane «Kker a mmîs u Mazigh !» (Debout fils d'Amazigh !), dont les vieux nationalistes de Kabylie attribuent la rédaction à Ali Laïmèche (emporté par la typhoïde et non mort au combat comme rapporté par Ouerdane), des lectures postérieures en avaient détourné le sens en le confinant dans l'idée que «l'Algérie n'est pas arabe». L'hymne berbère en appelle les enfants de Kabylie et des régions berbérophones pour se soulever contre le colonialisme oppresseur. Yacine Temlali signalera dans son ouvrage La Genèse de la Kabylie (2015) que parmi les grandes figures célébrées dans ce chant figure Messali, tout au moins jusqu'à la crise de 1949. Le professeur Belaïd Abane, qui ne porte pas pourtant Krim Belkacem en estime, écrit : «Rien n'est moins sûr de considérer Krim Belkacem traître à la cause berbère comme le fait Ali Yahia Abdenour.» Connaissant le colonialisme sous ses multiples facettes, pour l'avoir combattu des années durant avant le déclenchement de la lutte armée, Krim avertit : «Le berbérisme ne peut que desservir notre idéal d'indépendance. C'est une arme terrible que nous mettons nous-mêmes entre les mains de notre ennemi, le colonialisme.» Pour Ali Yahia Abdenour, «le Congrès de la Soummam a condamné, pêle-mêle, les militants berbéristes, messalistes et contre-révolutionnaires». Il rapportera dans ses mémoires (2007) les propos que lui avait tenus Benyoucef Benkhedda, membre du CCE : «Ouali Bennaï est condamné à mort par le CCE.» Ali Yahia Abdenour écrira avoir lui-même annoncé la nouvelle à Bennaï : «Ils peuvent me tuer, d'autres Bennaï naîtront [...] En creusant ma tombe, Abane creuse la sienne», aurait répondu ce dernier. Il se contredira plus tard dans son ouvrage La Crise berbère de 1949 (2013) en écrivant : «Amar Ould Hammouda et M'barek Aït Menguellet ont été condamnés à mort par un tribunal composé de Krim Belkacem, Ouamrane Amar, Mohammedi Saïd et Cheikh Amar.» Mon ami Abane Belaïd écartera, dans son ouvrage Nuages sur la Révolution (2015), l'hypothèse de l'implication du CCE, donc d'Abane Ramdane, dans l'existence de la tenue d'un quelconque tribunal : «Y a-t-il un témoignage, une trace, un écrit concernant un soi-disant jugement rendu par un soi-disant tribunal du CCE ?» Maître Ali Yahia Abdenour omettra sciemment de rapporter dans son livre les différends d'ordre personnel qui opposeraient Bennaï à Krim. Il dira au neveu d'Abane Ramdane : «La question berbériste et le berbérisme, c'était secondaire.» Abane Belaïd poussera le vieux militant dans ses derniers retranchements en lui posant la question suivante : «Pourquoi ne l'avez-vous pas écrit dans votre livre ?» Il eut pour réponse : «Il y a des choses qu'il ne faut pas dire pour ne pas meurtrir un peu plus la Kabylie.» Si le CCE n'était pas impliqué de près ou de loin dans la condamnation à mort de Bennaï, comme s'évertue à le démontrer Belaïd Abane, pourquoi la direction suprême de la Révolution n'a-t-elle pas sévi pour punir les auteurs du crime odieux et lâche commis sur un militant de la dimension de Si Ouali Bennaï ? Ce dernier a été lâchement abattu par une rafale de mitraillette dans le dos. Les propos de Messaoud Oulamara, rapportés par Ali Yahia Abdenour dans son ouvrage sur un quelconque rapprochement entre Bennaï et le «Général» Bellounis, aux fins d'une éventuelle prise du commandement du bras armé du MNA, prêteraient à équivoque et ne sont qu'une simple vue de l'esprit : comment un militant engagé de bonne heure dans le mouvement national irait-il s'acoquiner avec un «retourné» ? Pour les responsables et les vieux militants de la Kabylie, Bennaï Ouali, «un homme exceptionnel de courage et de droiture», acteur principal de l'«anti-zaïmisme» de Messali dans la crise de 1949, ne perdrait pas son honneur en se jetant dans une alliance douteuse pro-messaliste. Le grand militant que fut Si Ouali Bennaï s'est retiré de la politique après sa sortie de prison vers la fin de l'année 1949, probablement déçu par les tergiversations, les retournements et les méandres du mouvement national. Aucun document n'existe à ce jour attestant de l'existence d'un prétendu «Parti du peuple kabyle». Ferhat Ali, militant de première heure à l'Etoile et ancien opposant à la politique de Messali, est touché par balle tirée par Krim Belkacem pour «une question d'argent» (Ali Guenoun In. Chronologie). L'Echo d'Alger s'empare de l'incident : «Des membres dissidents du PPA veulent créer le Parti du peuple kabyle.» Malgré la mise au point de Ferhat Ali, l'Echo d'Alger refuse le démenti. Et c'est le journal Alger Républicain qui s'en chargera. Ce ne furent pas «ses frères de combat» qui assassinèrent Bennaï comme rapporté par Saïd Sadi (Amirouche, une vie, deux morts, un testament, 2010), mais les responsables de la Wilaya III sur ordre du futur colonel Amirouche. Les «chouhada» sans sépultures, M'barek Aït Menguellet et Amar Ould Hamouda, subiront le même sort. Lors de la bataille d'Alger, Ben M'hidi est capturé puis assassiné par les militaires du général Massu. Le Comité de coordination et d'exécution (CCE) quitte précipitamment Alger pour la Tunisie le 5 mars 1957. Krim, Bentobal et Benkhedda rejoindront la Tunisie par les maquis, principalement ceux de la Wilaya III. Abane Ramdane et Saâd Dahleb prendront la direction opposée jusqu'à la Wilaya V, d'où ils gagneront la Tunisie par le Maroc. En choisissant de passer par les maquis de la Kabylie, Krim voulait s'assurer de sa mainmise sur la Wilaya III, débarrassée de tous ses opposants potentiels. Il en confiera le commandement à ses subordonnés acquis : le colonel Mohammedi Saïd, secondé par le commandant Amirouche. L'itinéraire tracé par Krim était prémédité, comme le choix de ses compagnons de route, Benkhedda et Bentobal. Ce dernier, responsable de la lutte armée dans le Nord-Constantinois après la mort de Zighoud Youcef (1921-1956), cherchait dans le compagnonnage de Krim à passer par la Wilaya II pour imposer un homme de confiance (Ali Kafi). L'éloignement par le chemin opposé de l'architecte du Congrès de la Soummam, dont la disparition soudaine de Ben M'hidi devait automatiquement propulser au premier rôle, embarrasserait les calculs sordides et machiavéliques de Krim. Abane Ramdane, dans son intransigeance et son tempérament de rassembleur, s'opposerait certainement à la liquidation physique de militants sans preuves préétablies de trahison. «La date de l'assassinat le 19 février 1957 de Si Ouali n'est pas aussi fortuite», rapportera Ali Guenoun dans son ouvrage Chronologie du mouvement berbère, 1945-1990, Casbah Editions,1999. La guerre d'indépendance et la guerre des frères Le viol colonial De toutes les résistances aux invasions coloniales qu'a connues le territoire algérien (romaine, vandale, arabe, ottomane...), celle de «l'effraction coloniale» française fut la plus violente et la plus meurtrière. Les instructions de l'ordre colonial sont résumées par les propos du colonel Pélissier de Reynaud : «Tout ce qui vivait fut voué à la mort [...] En revenant de cette expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances et une d'elles servit, dit-on, à un horrible festin.» (François Maspero, L'Honneur de Saint-Arnaud, Casbah Editions, 2018). Le premier choc colonial frappera irrémédiablement et de plein fouet les fondements anthropologiques mêmes de la population musulmane. Alexis de Tocqueville écrit dans son rapport sur l'Algérie : «La société musulmane, en Afrique, n'était pas incivilisée ; elle avait seulement une civilisation arriérée et imparfaite [...] autour de nous les lumières se sont éteintes [...] nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle ne l'était avant de nous connaître.» Le deuxième choc aura pour scène «le meurtre colonial par la destitution du nom» et l'«orphelinage» qui en découlera. La loi de 1882 sur l'état civil, permettant le contrôle des indigènes, contribuera à effacer la référence à la tribu et au père. La psychanalyste Karima Lazali écrit à propos du dessaisissement de soi : «Mouloud Feraoun, issu d'une famille kabyle très pauvre et auteur de plusieurs romans, porte un patronyme arbitrairement modifié par l'administration coloniale passant, d'Aït Chabane, nom de sa tribu, à Feraoun Il est l'écrivain du leurre colonial et subit cette difficulté de sortir de l'imaginaire auquel l'assigne la colonialité. L'écriture feraounienne est une tentative de négociation entre deux univers impossibles à lier.» Les conséquences de la «bâtardisation» par la loi sur l'état civil sont encore visibles de nos jours chez des concitoyens porteurs de patronymes humiliants. Karima Lazali ose une approche freudienne du meurtre du père : «Dans le système traditionnel, le père est agent médiateur entre les ascendants et les descendants, entre le monde d'ici-bas et l'au-delà, entre le visible et l'invisible : son rôle est central, puisqu'il est tout autant passeur qu'élément intermédiaire entre la loi écrite et la loi parlée, d'où le fils se tient, en tant que fils ou fille de... En induisant un démantèlement des filiations, l'état civil a, de fait, institué la disparition des pères dans leur fonction, en plus des disparitions réelles.» Mohammed Dib écrira dans L'Arbre à dires (1998) : «La quête du père nourrit aujourd'hui leur inquiétude et leurs fantasmes, ce père qu'ils n'ont pas eu à tuer, les diverses colonisations d'une histoire proche et lointaine s'étant chargées de le faire et de réduire ainsi les fils à un orphelinage généralisé, ou à une forme de bâtardise par confiscation de l'image paternelle. Leurs colonisateurs ont changé les Algériens en fils de personne.» L'historiographie du mouvement national a toujours présenté la révolution algérienne comme menée par des «frères». Cette notion de fraternité cachera en réalité l'appartenance traditionnelle filiale tribale ou familiale (on est le fils de, l'héritier de...) rompue par la violence dévastatrice de la logique coloniale. Karima Lazali écrit : «Cette volonté de réinscrire l'héritage et prendre place dans l'histoire a été au centre d'une guerre qui se voulait révolutionnaire.» La violence et l'exclusion coloniales n'ont laissé au «sujet colonisé» (Albert Memmi) que le choix de ces modes de rapport et d'altérité. La guerre d'indépendance a été une guerre de tous contre tous. Contre l'ordre colonial et entre les frères. Le FLN se réclamant du messalisme s'érigera contre Messali. Karima Lazali relève une remarque inscrite au chapitre du syndrome cornélien en écrivant : «L'histoire officielle de l'Algérie indépendante a retenu de Messali Hadj la figure d'un patriarche (zaïm) épris de pouvoir et déchu à ce titre de la cause nationale par ses fils révolutionnaires. Malgré l'indépendance, il n'accédera à la nationalité algérienne qu'en 1965. Ses demandes de passeport lui sont refusées à plusieurs reprises par le jeune Etat, et il ne l'obtiendra que peu de temps avant sa mort survenue en 1974. Ainsi, le père du nationalisme algérien ne sera algérien qu'à l'article de sa mort.» La compulsion de la recherche du père perdu a impulsé le fonctionnement du pouvoir politique algérien. L'analyse psychanalytique de Karima Lazali reflète la recherche éperdue de la paternité et le cycle du parricide depuis Messali Hadj à Mohamed Boudiaf : «L'histoire du pouvoir politique en Algérie depuis la guerre de Libération indique que, chaque fois qu'un homme a été mis à cette place de père de cette nation en gestation, il sera exécuté ou progressivement évacué des mémoires. Il se produit un phénomène très paradoxal dans lequel les combattants ne cessent d'en appeler à un père fédérateur et pourtant, lorsque l'image du père se profile, l'exécution est son destin, laissant les frères en place d'orphelins et de meurtriers.» Le meurtre de Abane Ramdane : meurtre d'Abel ? Une tragédie grecque ? La logique dévastatrice, qui a emporté Chihani Bachir, Bennaï Ouali et ses compagnons, le commandant Hadj Ali et d'autres anonymes, s'étendra à l'intérieur même du FLN. Le meurtre entre frères touchera la direction du mouvement national en la personne d'Abane Ramdane, augurant ainsi le règne du fratricide. Gilbert Meynier (1942-2017), spécialiste de l'histoire de l'Algérie, écrit avec force : «Pendant toute la guerre, les Algériens (MNA et surtout FLN) tueront probablement plus d'Algériens qu'ils ne tuent des Français» (Histoire intérieure du FLN, 2002). Mohamed Harbi reste interrogatif : «L'Algérie perd une grande part de ses forces vives dans les luttes intestines [...] Les facteurs politiques sont impuissants à rendre compte de l'acharnement dans la tuerie. À qui incombe la responsabilité de cette tragédie ? (Le FLN mirage et réalités, 1980). Ferhat Abbas dédiera son ouvrage Autopsie d'une guerre à la mémoire de Abane Ramdane, il écrira à l'indépendance pour se délivrer : «On a assassiné des innocents pour assouvir d'anciennes haines, tout à fait étrangères à la lutte pour l'indépendance. [...] On a condamné la torture chez les Français mais on la pratiquait sur nos propres frères.» (Ferhat Abbas : L'indépendance confisquée, éditions Flammarion, Paris 1984). Abane, traître à la cause nationale ? Je ne m'attarderai pas sur les propos de l'ex-président du Haut-Conseil d'Etat (HCE), Ali Kafi, à propos de ses vérités sur le Congrès de la Soummam. «Le Congrès de la Soummam, c'est le début de la dérive de la révolution» et son organisateur, Abane Ramdane, «est coupable de trahison». Ali Kafi portera durant toute sa vie la blessure narcissique de son interdiction d'accès à la maison du congrès à Ifri Ouzellaguen. Les responsables du congrès avaient chargé son chef Zighoud Youcef de lui confier la mission de réception d'un parachutage d'armement au cap Sigli. Il se rendra compte plus tard de la ruse, mais surtout de sa niaiserie. Il attendra quarante ans durant, profitant des privilèges inhérents au poste d'ambassadeur, pérégrinant à travers plusieurs capitales arabes et européennes, pour distiller son venin. L'accès à la magistrature suprême fut une catharsis pour l'inattendu président. Il écrira : «Abane n'avait ni une orientation de gauche ni des ambitions idéologiques, sinon celle d'étendre son pouvoir sur la révolution et d'arracher ses leviers de commande à la délégation extérieure ; ce qui s'est avéré dans les résolutions du Congrès de la Soummam concernant la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire, lui-même s'étant compté parmi les politiques. C'est pourquoi les membres de la délégation extérieure devinrent de simples chargés de mission. Par ailleurs, il eut recours aux groupes qui ne croyaient même pas à la révolution comme Ferhat Abbas [...] Abane avait des contacts secrets avec l'ennemi qu'il n'avait pas divulgués à ses collègues dans la direction jusqu'à ce qu'ils les aient découverts par leurs efforts et leurs propres moyens. Et c'est là où les soupçons l'ont entouré. Ceci poussa ses collègues à le persuader d'aller avec eux au Maroc sous prétexte de rencontrer le roi Mohammed V. Là il fut jugé et exécuté.» (Ali Kafi : Du dirigeant politique au dirigeant militaire, Casbah Editions, 1999.) Après avoir profité de la retraite dorée de chef d'Etat, Ali Kafi déclare aux journalistes d'El Watan le 9 mars 2000 : «Je regrette d'avoir été président du HCE.» Abane, un homme de conviction et de passion Libéré le 18 janvier 1955 après cinq ans de détention pour son appartenance à l'OS, Abane regagne son village natal à Azzouza (Kabylie) afin d'assister sa mère qui souffrait d'un accident vasculaire cérébral. Il sera contacté par Krim Belkacem le 23 mars 1955. Abane prendra la direction de l'Algérois pour remplacer Ouamrane après l'arrestation de Rabah Bitat. Le sens de l'organisation et le dynamisme d'Abane feront d'Alger la plaque tournante de la résistance. Abane trouvera en Ben M'hidi l'alter ego pour asseoir une stratégie révolutionnaire. À deux, ils feront du FLN le légitime représentant du peuple algérien contre le Mouvement national algérien (MNA) dirigé par Messali Hadj. Leur devise : «La libération de l'Algérie sera l'œuvre de tous les Algériens, et non pas celle d'une fraction du peuple algérien, quelle que soit son importance.» Ils entameront une dynamique fédérative qui regroupera les nationalistes PPA-MTLD, les «Centralistes», les «Udmistes», les «Ulémas» et les communistes. Les catégories socioprofessionnelles ne seront pas en reste : création de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA). En juin 1956 paraît le journal El Moudjahid. Le titre a été proposé par Abane contre celui de Le Patriote. À la demande d'Abane, l'hymne national Kassamen, rédigé le 25 avril 1955 par le poète Moufdi Zakaria et mis en musique par l'Egyptien Mohamed Fawzi, viendra galvaniser le peuple algérien et ses moudjahidine. En fin stratège, Abane fera doter l'insurrection du 1er Novembre d'une plateforme politique qui manquait au mouvement national. Issue du Congrès de la Soummam dont il a été l'inspirateur et l'architecte, la plateforme politique restera intimement liée à la personne d'Abane Ramdane. Youcef Benkhedda, futur Président du GPRA, formera avec Abane et Ben M'hidi le triumvirat mandaté par le CCE pour l'organisation de la Zone autonome d'Alger (ZAA). Il reconnaîtra en Abane «l'un des plus grands acteurs de l'histoire du mouvement national». L'indépassable plateforme politique et les calculs politiciens Le corpus de la plateforme de la Soummam (PFS) est simple et accessible à qui voudrait le consulter. Il parle de lui-même et n'a besoin d'aucun avocat pour sa défense. Pour la première fois, le FLN se dote d'une direction politique (CNRA/CCE), d'une organisation armée structurée et hiérarchisée (ALN) et d'un découpage territorial précis. Des écrits sérieux et documentés viendront annihiler les critiques viciées formulées à l'encontre de la PFS dans sa forme (absences des Aurès, Fédération de France, Délégation du Caire...) et son contenu (déviations de la PFS, principes islamiques...). On peut discuter des lacunes et des insuffisances. Cependant, la réaction frontale des opposants à la PFS, Ben Bella en tête, laisse perplexe devant l'attitude schizophrénique de ses pourfendeurs : la bénédiction d'une plateforme politique venue mettre de l'ordre dans l'insurrection armée traversée par un tribalisme ravageur (Mohamed Larbi Madaci, Les Tamiseurs de sable, Anep 2001) d'une part, et son rejet en bloc et dans le détail, d'autre part. Ces agissements enfantins renseignent sur l'indigence politique des détracteurs de la PFS et de la personne de son concepteur, Abane Ramdane. La première entreprise de déstabilisation du CCE installé nouvellement à Tunis viendra d'Ahmed Mahsas, un proche de Ben Bella qui tentera de fomenter des troubles. Il aura la vie sauve contre un commando dépêché par le colonel Ouamrane grâce à sa désertion vers l'Allemagne. On dit qu'il fut exfiltré par les Tunisiens sur demande de l'Egypte. J'éviterai de comparer les niveaux d'instruction de Ben Bella (primaire) et d'Abane (baccalauréats de philo et de maths) et les itinéraires de l'adepte du football et du lecteur de Lao-Tseu. J'ajouterai seulement ceci, pour celles et ceux qui ont relevé l'absence de référence aux «principes islamiques» et les «déviations de la PFS» que Ben Bella, une fois arrivé au pouvoir, jettera en prison le leader de l'Association des Oulémas, le vieux Cheikh El Ibrahimi. Il écrira dans ses mémoires Itinéraires : «Le FLN a condamné à mort l'Association des Oulémas.» Le Président Ben Bella arborera pour ses déplacements officiels un nouvel habit révolutionnaire : le «col Mao». Son premier pèlerinage sera pour... le mausolée de Lénine. Les «frères ennemis» iront chercher, qui une accointance d'Abane avec les services du SDECE, qui une «kabylisation» du texte fondateur du futur Etat algérien. Curieusement, les «va-t-en-guerre» et les oublieux de la composition du Congrès de la Soummam en épargneront dans leurs malédictions son président, l'«Arabe» Larbi Ben M'hidi. Soit dit en passant, ce dernier sera livré aux parachutistes de Massu pour être exécuté sans jugement. Si le secret de son martyre n'a été dévoilé que 45 ans plus tard par son bourreau, le tortionnaire Paul Aussaresses (1918-2013), son arrestation en février 1957 en pleine «Bataille d'Alger» demeure énigmatique. H. B. (À suivre) (*) Professeur de médecine, spécialiste en neurologie et neuropsychologie. Diplômé des études supérieures de médecine de guerre. Licencié en sciences économiques (économie de la santé).