C 'est un livre qui réhabilite deux figures historiques du Mouvement nationaliste algérien au destin tragique. Bennaï Ouali et Amar Ould Hamouda, assassinés en pleine guerre de Libération nationale par leurs «camarades». C'est aussi et surtout un manifeste qui redonne à la dimension amazighe sa place naturelle dans une Algérie véritablement «algérienne», tant le combat de ces deux héros se confond avec celui de l'identité amazighe de l'Algérie. Un combat qui a mis au grand jour les contradictions des nationalistes algériens, se transformant en une crise anti-berbériste qui éclata au sein du parti indépendantiste (PPA- MLTD) en 1949. L'auteur du livre, Ali Yahia Abdennour, une autre grande figure du Mouvement de libération et du combat démocratique post-indépendance, revisite cette histoire – qui a eu des conséquences dramatiques sur le cours des événements et des valeureux hommes – pour rendre justice aux militants berbéristes qui se sont opposés aux orientations idéologiques arabo-islamiques de Messali Hadj et du bureau politique du PPA-MTLD. A l'origine de la crise, le mémorandum de 1948 adressé par Messali Hadj à l'ONU. Ce texte, qui fixe le cadre identitaire de l'Algérie, provoque une fracture nationale qui aura ses prolongements cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie. «La crise anti-berbériste de 1949, qui a privé les Algériens de leur algérianité, avait pour objectif de détruire l'attachement viscéral du peuple algérien à ses racines. Elle a été provoquée par une falsification de l'histoire par la direction du PPA-MTLD qui a écrit dans une mémorandum d'une cinquantaine de pages adressé à l'ONU, fin 1948, où il est précisé que l'Algérie est une nation arabe et musulmane depuis des siècles», rappelle Ali Yahia pour situer le contexte dans lequel a éclaté la crise qui allait fragiliser le parti indépendantiste et surtout déclencher une chasse aux sorcières. «Cette décision n'a pas été examinée à la lumière des réalités nationales, mais a intégré mécaniquement un modèle extérieur dicté par Azzam Pacha, et Chakib Arselane qui revendiquent un empire arabo-islamique allant de l'Atlantique au Pacifique (…)», poursuit l'auteur. Cette orientation idéologique imprimée à l'Algérie par Messali a provoqué l'opposition des militants issus de la Kabylie. L'opposition radicale et frontale vient surtout des trois vaillants militants : Bennaï Ouali, Amar Ould Hamouda et Mohand-Cid Ali Yahia, dit Rachid. Intransigeants sur la question berbère, ils ne veulent rien céder. Il était impossible pour eux d'imaginer une Algérie amputée de son fondement historique, identitaire et linguistique, qui est la berbérité. En osant affronter Messali sur ce terrain, ces militants nationalistes subissent les foudres du bureau politique du parti, à sa tête le secrétaire général, Hocine Lahouel, un affidé de Messali. «Lahouel a la haine de Bennaï. A la réunion du comité central élargi de 1948, pour éviter tout débat de fond relatif aux nombreux problèmes posés, il s'attaque violemment aux responsables de Kabylie, particulièrement Ouali Bennaï et Amar Ould Hamouda», écrit Ali Yahia dans son ouvrage. Une campagne de dénigrement s'ensuit alors. «Le bureau politique du parti multiplient calomnies et diffamation à l'encontre des cadres du parti qui défendent la berbérité», rappelle l'auteur. Ils sont vertement accusés de complot. Ils seront bannis. Face au déluge d'attaques auquel ils ont fait face, Bennaï Ouali et son compagnon Ould Hamouda assument courageusement leur choix et leur rupture. Le district de Kabylie rompt avec la direction du parti, mais une figure brillante refuse de démissionner de son poste au sein du bureau politique. Il s'agit de Hocine Aït Ahmed. Sa position à l'occasion de cette crise a intrigué ses camarades. Pour obtenir le ralliement de Hocine Aït Ahmed, Bennaï Ouali confie cette tâche à Amar Ould Hamouda. Ali Yahia révèle que plusieurs rencontres secrètes entre les deux hommes ont eu lieu, mais qui se sont soldées par un échec. Aït Ahmed décide de rester au bureau politique. Leurs analyses de la situation divergent et la rupture entre les deux camarades devient inéluctable. «En creusant ma tombe, Abane creuse aussi la sienne» Voués aux gémonies, depuis l'éclatement de la crise de 1949, les berbéristes sont persécutés et les accusations fomentées les poursuivent même après le déclenchement de la guerre de Libération. Leur sort est scellé par le Congrès de la Soummam qui a décidé de «liquider physiquement les messalistes, les berbéristes et autres contre-révolutionnaires». Amar Ould Hamouda et un autre vaillant militant, Mbarek Aït Menguellet, sont taxé de messalistes et condamnés à mort par les responsables du FLN de Kabylie. Ils sont exécutés par l'ALN en avril 1956 dans leur région, à Ath Waven. Bennaï Ouali ne tardera pas à subir le même sort. «Début octobre, j'ai déjeuné avec Bennaï Ouali au square Bresson (Port Saïd), Chergui Brahim, responsable du FLN, me signale au CCE (comité de coordination et d'exécution). Je suis convoqué par Benyoucef Ben Khedda. Avec délicatesse et des détours qui lui sont familiers, il m'apprend que Ouali Bennaï est condamné à mort par le CCE. Je rencontre Bennaï une semaine après sans pouvoir lui annoncer la nouvelle, ce n'est qu'à la deuxième entrevue que je lui ai avoué la vérité : le CCE t'a condamné à mort», témoigne Ali Yahia dans son livre. «J'ai intégré la mort dans mon existence, elle est une réalité qui m'a suivi comme une ombre dans ma vie militante clandestine… Ils peuvent me tuer, d'autres Bennaï naîtront…)», réagit stoïquement le condamné. Avant que les deux hommes se séparent, Bennaï charge Ali Yahia de transmettre un message à Abane Ramdane. «Dis-lui qu'en creusant ma tombe, Abane creuse aussi la sienne.» Ali Yahia rencontre Abane vers la fin de 1956 à Dar Saâda et transmet le message. «Je dois te transmettre un message de Bennaï qui a soif de dignité et de liberté, et qui a tout donné pour son pays. Voici ce qu'il dit : ‘‘En creusant ma tombe, Abane creuse aussi la sienne''.» «Les Algériens, rebondit Abane, qui font preuve de patriotisme, de responsabilité et de réalisme n'entendent pas prendre ordre de l'étranger, d'Egypte de Nasser et de Fethi Dib.» Le 13 février 1957, l'enfant de Ldjemâa n'Saharidj (Tizi Ouzou) est tué par les militants de l'ALN à la sortie de son village par une salve de mitraillette dans le dos. Il avait tout juste 40 ans. Avec ses assassinats suivis de beaucoup d'autres, l'Algérie combattante signe le début du processus de liquidation de l'idéal révolutionnaire qui s'est poursuivi après l'indépendance. Le livre du militant au long cours rappelle avec un recul critique tous les égarements de la marche révolutionnaire. Il appelle à une révision déchirante. Rendre à l'Algérie sa véritable identité. Son algérianité. La Crise Berbère de 1949 Portraits de deux militants : Ouali Bennaï et Amar Ould Hamouda Quelle identité pour l'Algérie ? Barzakh Editions