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Les commerçants de boissons alcoolisées au bord de la crise de nerfs Contraints à l'inactivité et sans revenus depuis huit mois pour cause De Coronavirus
«Maintenant, ça suffit ! » lâchent presque d'une même voix les gérants des commerces de boissons alcoolisées (bars, restaurants et points de vente) venus de Larbaâ-Nath-Irathène, Azazga, Aïn-el-Hammam, Boghni, Tizi-Ouzou et d'autres villes de la wilaya, lors d'une réunion tenue au siège de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA). Huit mois déjà se sont écoulés et aucune décision des pouvoirs publics n'est venue dissiper l'inquiétude de ces professionnels pour qui l'incertitude pèse sur la situation économique de toute une filière, en raison des contraintes induites par la mesure de fermeture des bars, débits de boissons à emporter et des restaurants servant de l'alcool à table. Déception, colère et recherche de solutions. Et alors que se profile la fin de l'année, saison propice pour faire un bon chiffre d'affaire, les propriétaires des établissements concernés n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme en appelant au bon sens des autorités. «On est prêts à appliquer les règles de protection sanitaires et à observer toute autre prescription édictée par l'Etat. Mais voilà, nous nous heurtons à un mur de silence de la part des autorités qui font la sourde oreille et adoptent une attitude incompréhensible face à nos multiples doléances et sollicitations», proteste le gérant du restaurant «Le Baghdad» sis au centre-ville de Tizi-Ouzou. Le même discours revient comme une inlassable litanie dans la bouche de nombreux autres professionnels habilités à servir de l'alcool à table que nous avons rencontrés. Pétitions, regroupement au sein de collectifs, lettres ouvertes à destination des pouvoirs et du président de la République: les commerçants multiplient les actions afin d'alerter sur les conséquences «désastreuses» pour leur avenir et celui de leurs salariés qui risquent de résulter en cas du prolongement indéterminé de la mesure de fermeture qui leur est imposée par le gouvernement. Dans la matinée du samedi 26 septembre, ils étaient une trentaine de bistrotiers, restaurateurs et débitants de boissons alcoolisées, sur les trois cents en exercice, à se donner rendez-vous au siège du syndicat local des commerçants pour une réunion de concertation. Contraints à l'inactivité et sans revenus, ces professionnels, qui tiennent à ce qu'ils soient considérés comme «des commerçants comme tous les autres car détenteurs du registre du commerce et travaillant dans le respect des obligations légales», faisaient grise mine. Excédés et particulièrement remontés contre une administration qui les a exclus de l'autorisation de reprise du travail suite à l'allégement des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus. Ostracisme et bureaucratie tatillonne Dans la salle de réunions du syndicat local des commerçants, la discussion s'anime. Elle tend même à s'envenimer pour prendre, quelquefois, des allures de foire d'empoigne, n'étaient les appels au calme de Djebbar Samir, le jeune coordinateur de l'UGCAA qui a du mal à faire la police des débats, rôle dont il s'était investi pour l'occasion, à instaurer un peu de sérénité parmi une assistance qui ne décolère pas. Objet de la rencontre, trouver une solution à leur problème qui perdure. « Je ne comprends pas pourquoi les bars et les restaurants sont ouverts et travaillent normalement dans des wilayas comme Alger, Oran, Annaba...», tonne ce gérant d'un point de vente de vin et liqueurs à Larbaâ-Nath-Irathène, qui vilipende «une administration qui fait preuve d'ostracisme à l'égard des propriétaires des commerces de Tizi-Ouzou et Béjaïa. Pourtant, le coronavirus existe partout en Algérie ! A moins qu'on veuille particulariser ces deux wilayas». M. H. est propriétaire d'une brasserie à Azazga, une ville connue pour sa densité de bars et de restaurants très courus par une nombreuse clientèle venant même d'Alger et de Boumerdès, attirée par la qualité gastronomique et culinaire de ses établissements dont l'activité est plombée par la crise sanitaire qui s'est installée depuis le mois de mars dernier. Visiblement irrité et préoccupé par une telle situation, ce septuagénaire alerte et ne donnant pas l'air d'avoir l'âge de ses artères ne tient pas en place. Il harangue ses collègues et les presse à agir vite et à adopter un plan d'action à la mesure de l'attitude qu'il juge injuste et arbitraire des pouvoirs publics à l'égard de leur corporation. Comme beaucoup d'autres de ses collègues, il ne comprend pas pourquoi ils sont concernés de façon unilatérale par le maintien de cette mesure qui se prolonge jusqu'à nouvel ordre. Le gérant du restaurant «Le Baghdad», à Tizi-Ouzou, H. Drarni, a du mal à dissimuler sa colère et son dépit. «Cette situation est mal vécue sur le plan psychologique, économique et social. Malgré la perte d'une grosse partie de notre chiffre d'affaires pour cette année, nous n'avons perçu aucune indemnité ni compensation fiscale et parafiscale. L'ajournement des échéances de paiement est le seul avantage qui nous est accordé. Avec toutes ces contraintes, il est de notre devoir de verser les salaires de nos employés», déplore H. Drarni qui interpelle les pouvoirs publics pour « mettre fin à la situation intenable que nous vivons (...) L'arrêt de travail durant huit mois est une catastrophe pour nos familles comme pour celles de nos salariés. La balle est dans le camp de ceux qui détiennent la décision, le wali de Tizi-Ouzou en premier qui n'a pas encore daigné répondre à nos doléances que nous avons déposées auprès de son cabinet. Pourtant, nous nous sommes engagés au respect strict du protocole sanitaire en vigueur. On est prêt à réduire de moitié nos capacités d'accueil.» Soucieux lui aussi de respecter le protocole sanitaire, B. Akkache, patron du «Le Troisième», une brasserie située dans la localité de Tala-Allam, à la périphérie nord de Tizi-Ouzou, souhaite vivement la reprise rapide de l'activité. «On nous a brisés, nous n'en pouvons plus», se plaint A. Belkacem. Lui également invoque la détresse socioéconomique induite par cette situation. «Il y a trois cents propriétaires de points de vente de boissons alcoolisées et chacun emploie cinq à six salariés, en moyenne. Un calcul rapide nous donne le nombre important de familles qui risquent d'être privées de revenus si les autorités continuent à ignorer nos revendications qui sont légitimes et réalistes. Les autorités doivent prendre leur responsabilité et clarifier la position à notre égard. À partir de là, on aura à nous déterminer si on doit continuer à exercer notre activité habituelle ou changer de métier», dira le propriétaire du «Troisième» qui déplore les dérives induites par cette interdiction de reprise d'activité. «Je suis au regret de le dire, par leur comportement, elles ont créé une situation de non-droit. Il y a un laisser-faire qui a ouvert grandes les portes à des dérives morales, à des activités illégales et délictuelles. Des réseaux de commerce parallèle et de vente illégale de boissons alcoolisées activent au grand jour.» Belkacem estime que lui et ses collègues ont payé le prix fort, alors que d'autres établissements sont autorisés à travailler pas seulement dans d'autres wilayas mais à Tizi-Ouzou. «Je suis sanctionné alors que des établissements hôteliers sont autorisés à servir des boissons alcoolisées à leurs clients et à faire du chiffre. Pourquoi ce qui est permis aux uns est interdit aux autres ?», accuse-t-il. Un air de prohibition et ambiance de bars clandestins au bord des routes Se disant engagé en tant que coordinateur de l'UGCAA pour la défense de tous les commerçants détenteurs du registre du commerce, Djebbar Samir abonde dans le même sens que tous ces vendeurs légaux. «Ces gens-là, ont, pour moi, le statut d'opérateurs économiques. Ils travaillent dans la légalité et créent de l'emploi. Leur cause mérite donc d'être défendue», dira le jeune syndicaliste. «Pas moins de 1 500 ménages vivent de revenus qui proviennent de ce commerce qu'il ne sert à rien de stigmatiser, en proférant des jugements moraux à l'égard de ceux qui l'exercent», précise S. Djebbar qui dit ne pas comprendre la décision des pouvoirs publics de ne pas les autoriser à reprendre le travail sous prétexte que leur activité peut être un vecteur de propagation de la maladie. Une mesure qui a tout l'air d'être une fausse bonne idée pour lutter contre la propagation du coronavirus. «Beaucoup d'endroits accueillant le public comme les marchés et les grandes surfaces respectent rarement le protocole sanitaire de lutte contre le virus», protestent, à l'unanimité, ces commerçants. Un argument appuyé par le coordinateur de l'UGCAA qui insiste sur les conséquences néfastes sur l'ordre public induites par les restrictions imposées à la vente légale du vin et autres liqueurs et bière. «Cette volonté des autorités d'exercer, pour des raisons sanitaires, un contrôle sévère sur la vente légale des boissons alcoolisées dans des endroits habilités a provoqué des effets délétères et néfastes sur l'ordre public. Cette décision a favorisé l'irruption d'une situation inédite qui rappelle, à s'y méprendre, l'époque de la prohibition instaurée au début du siècle dernier par un amendement constitutionnel aux Etats-Unis», se désole notre interlocuteur. «Des niches de trafic et de vente illégale ont vu le jour et se banalisent. Des jeunes, sous prétexte de chômage, des mineurs, collégiens et lycéens, attirés par le gain facile mais ignorant les implications morales d'une telle activité, s'adonnent, au mépris de la loi, à ce trafic dans les villages, les quartiers urbains et sur les routes», explique-t-il, regrettant que «l'Etat soit perdant dans cette affaire, en laissant des sommes importantes échapper au fisc». Gendarmes et policiers s'en mêlent Pas moins de 10 724 bouteilles, de différentes marques, de boissons alcoolisées ont été saisies par les éléments du Groupement territorial de wilaya de Tizi-Ouzou de la Gendarmerie nationale. Ces saisies ont été réalisées durant la première quinzaine du mois de septembre en cours, lors d'opérations ciblant de nombreux endroits suspectés d'abriter des activités illicites, à travers le territoire de la wilaya. C'est ce qu'a indiqué un communiqué des services du Groupement de la Gendarmerie nationale, que nous avons reçu en date du 12 septembre 2020, qui note qu'un nombre (non précisé, Ndlr) d'individus impliqués dans ces affaires de détention illégale de boissons alcoolisées et destinées à la vente autorisée ont été arrêtés et présentés à la justice. De leur côté, les services de la Sûreté de wilaya ont annoncé avoir effectué, au courant du semestre en cours, via des opérations coup-de-poing, des saisies de quantités importantes de ces boissons. Ce qui constitue un indicateur sur l'ampleur prise par un phénomène depuis le début de la crise sanitaire liée au coronavirus. S. Aït Mébarek