«Quand l'Amérique éternue, le monde se grippe». Cette vieille remarque a toujours court à l'occasion de l'élection présidentielle qui s'est déroulée ce mardi 3 novembre 2020. 200 millions d'Américains ont été appelés à départager les deux candidats au poste de la Maison-Blanche : Donald Trump, 74 ans, républicain natif de New York et Joe Biden, 77 ans, démocrate né en Pennsylvanie, dans le nord-est des Etats-Unis. Il est de tradition aussi que le monde soit suspendu aux résultats de ce scrutin tant les enjeux à caractère multiple sont évidents. Ceux-ci impacteront durablement le pays, au demeurant, quel que soit le candidat qui en sortira victorieux. Le président républicain sortant, au terme de son premier mandat de 4 ans, est désireux de prolonger son séjour à la Maison-Blanche et pour lui les résultats du scrutin ne font aucun doute quant à sa réélection. Il a pour lui son style de gouvernance plutôt volontariste qui fait fi des règles des convenances diplomatiques et n'hésite pas à dire tout haut le fond de sa pensée. Cela est tout aussi vrai au plan interne quand on sait sa gestion de la pandémie du Covid-19 alors que l'épidémie fait des ravages et l'on s'attend au pire avec une troisième vague annoncée. N'a-t-il pas lui-même été contaminé lui qui a provoqué une interminable polémique en soutenant mordicus que la Chine est responsable de l'apparition du virus ? L'on met par ailleurs sur le compte de son passif l'abandon de la politique de protection sociale initiée par son prédécesseur Barack Obama. Son goût prononcé pour les mesures radicales est perceptible également à l'endroit des migrants latinos particulièrement mexicains allant jusqu'à ériger un mur de plusieurs kilomètres le long de la frontière et a mobilisé pour assurer leur «étanchéite» la Garde nationale. Héritant d'un pays frappé par la récession économique avec pour conséquence des Etats, jadis prospères, en cessation de paiement, une absence de perspectives de sortie de crise, le richissime homme d'affaires jouera sur l'incertitude des lendemains de ses compatriotes pour se faire élire et invite l'Amérique profonde à croire de nouveau à une Amérique puissante où règnera la prospérité d'avant. Aujourd'hui, il peut enregistrer à son actif une baisse de la courbe du chômage, la relance du complexe militaro-industriel qui lui apporte des rentrées financières considérables grâce aux contrats juteux conclus avec les monarchies du Golfe notamment. Mais sa gestion de la crise interne est violemment décriée par ses adversaires démocrates. Pis, certaines de ses positions feront réagir même des oppositions dans son propre camp surtout du fait de ses propos favorables aux suprémacistes blancs et autres milices qui brûlent d'en découdre avec les membres de la communauté afro-américaine, ses propos étant jugés comme un encouragement. «Black Lives Matter» Le pic de cette stigmatisation des Noirs américains débouchera sur l'affaire qui a mis en émoi le monde entier est l'assassinat de George Floyd par un policier de Minneapolis le 25 mai dernier, suivi quelques jours après par celui d'un jeune de 27 ans par balles à Philadelphie. Les manifestants insurgés, blancs et noirs, scanderont «Black Lives Matter» (la vie des noirs comptent) du mouvement né en 2013. Certes, ce conflit entre les deux plus importantes communautés aux Etats-Unis révèle une fois de plus que le racisme antinoir est ancien même qu'il peut être à tout moment instrumentalisé afin de faire diversion devant une crise. L'Américain moyen qui n'arrive plus à payer ses factures est donc le plus exposé. Le candidat républicain ne l'ignore pas et certaines voix l'accusent de jouer sur ce terrain mouvant au risque de faire courir à l'Amérique de l'Oncle Sam, le plus grave des dangers : la partition ! Le cas de la controverse qui l'a opposé à la Chine populaire de l'exaspération de la première puissance économique et militaire. Brusquement, les dirigeants américains prennent conscience qu'ils ne sont plus le pays de référence aux plans économique et commercial. La diplomatie de Donald Trump s'efforcera de mettre en place une nouvelle politique de containment de l'époque de la guerre froide, mais cette fois-ci en direction de la Chine qui dévale sur tous les marchés du monde. Cette rivalité se manifeste au Maghreb, en Afrique et dans les pays arabes du Moyen-Orient, chasse gardée des Etats-Unis. Bien plus, la politique de l'administration Trump aura permis à l'Etat d'Israël de rompre son isolement et de gagner des espaces, véritables bouffées d'oxygène. El Qods ou le coup de force historique Donald Trump à la manœuvre, c'est la spoliation d'El Qods, Jérusalem, érigé en capitale de l'Etat sioniste et le transfert de l'ambassade des Etats-Unis dans cette ville multi-confessionnelle. Ce coup de force historique prend une tournure plus agressive aujourd'hui, les pays arabes sont sommés de reconnaître l'Etat d'Israël suivi de l'ouverture d'ambassades. Si Donald Trump en fait un argument de campagne au profit du lobby juif, la crise et les tensions récurrentes avec l'Iran islamique démontre que l'on ne peut jouer avec le feu au risque d'une déflagration incontrôlable. La Corée du Nord, inscrite dans son agenda, reste le cauchemar de tous les présidents américains depuis 1953 et rien n'augure d'une solution à terme en dépit des déplacements en terre asiatique du candidat républicain. Beaucoup de bruit pour peu de résultats palpables ? S'agit alors pour les Etats-Unis de changer de fusils d'épaule et élire Joe Biden moins sulfureux et plus pragmatique dans le respect de la légalité internationale ? Si bataille pour l'élection présidentielle promet d'être rude, une volonté de «normalisation» de la place et du rôle des Etats-Unis dans le monde apparait comme une nécessité. Rappelons-nous d'ailleurs, le cas du prédécesseur de Trump, en l'occurrence Barack Obama, élu pour deux mandats consécutifs (2008-2016) le plus jeune président des Etats-Unis à 47 ans. C'est qu'avec George Bush engoncé dans la 2e guerre contre l'Irak et la fameuse tromperie des armes de destructions massives qu'auraient en sa possession Saddam Hussein, l'Amérique ressentait le besoin de se refaire une virginité. Sommes-nous aujourd'hui devant le même scénario dans la mesure où Donald Trump est parvenu à noircir un peu plus l'image du pays et que par conséquent, il faudra un sérieux lifting de l'image de marque ? Dans ce cas, l'actuel résident de la Maison-Blanche serait arrivé au terme de sa mission ? Selon des spécialistes, le choix de Joe Biden marquerait la volonté d'un changement de ton à la Maison-Blanche et sans doute une forme de retour à une certaine normalité. À contrario, estime-t-on, une réélection de Donald Trump de 2016, voudra dire que son élection de 2016, n'était pas un accident et que l'opinion américaine a clairement basculé en faveur d'un milliardaire que seule sait créer l'Amérique. Compte tenu de la spécificité des élections américaines, il faudra attendre ce mercredi matin pour avoir les résultats définitifs. Les sondages depuis ces dernières semaines donnent clairement gagnant le candidat démocrate. L'écart de 10 points entre les deux prétendants pousse les démocrates à l'optimiste, car dit-on ce serait une première pour le parti démocrate qui ferait mordre la poussière à son rival démocrate. D'ores et déjà, l'on parle d'une participation record à la faveur de cette présidentielle. Ce serait : «La participation la plus forte de l'histoire des Etats-Unis avec entre 150 et 160 millions de bulletins de vote comptabilisés», selon un spécialiste des Etats-Unis. Les observateurs notent une première tendance inédite avant même l'ouverture des bureaux de vote aux Etats-Unis : ce sont près de 100 millions d'électeurs sur les 200 millions d'Américains invités aux urnes qui ont déjà voté. Le vote par anticipation, observe-t-on, très souvent par correspondance sera une donnée clé du scrutin. C'est la première fois que les élections débutent aux Etats-Unis avec près de la moitié des votes déjà effectués. Compte tenu des spécificités des élections américaines pour remporter l'élection, il faut acquérir le soutien de 270 grands électeurs et pour l'heure, les sondages créditent Joe Biden d'une probable victoire, avec largement plus de 250 grands électeurs sur l'ensemble du pays. À moins d'un coup de théâtre ! Pour le reste quel impact aura le résultat du scrutin ? Donald Trump réélu, c'est la continuité de sa politique étrangère qui ne souffre d'aucune résistance et qui a tendance à renverser les anciens schémas dans lesquels le monde fonctionne, prélude à un renforcement plus marqué de ses choix géostratégiques et donc une tension plus exacerbée dans la gestion des affaires du monde. Pour la Palestine, c'est le dos au mur et la menace de l'accélération de l'épuration ethnique inaugurée par l'implantation de nouvelles colonies (colonisation de peuplement) en Cisjordanie et la détermination de l'Etat d'Israël de serrer encore plus l'étau sur Ghaza, affamée, martyrisée. Après le Soudan, et sans doute le Maroc, d'autres pays arabes obtempérerons à Donald Trump aux commandes, l'Afrique qui n'est pas du reste, va continuer à être le terrain d'affrontements, les rivalités aiguillonnées par l'intrusion de la Chine. La lutte anti-terroriste est l'argument passe-partout pour excuser toutes les ingérences, voire les hégémonismes. Brahim Taouchichet