Barah Mikaïl est professeur associé à l'université Saint-Louis de Madrid (Espagne) et directeur de Stractegia Consulting. Il revient dans cet entretien sur les enjeux du scrutin qui se déroule dans un contexte particulier aux Etats-Unis et qui est très suivi à l'étranger. Liberté : Quels sont les enjeux de la présidentielle du 3 novembre aux Etats-Unis, aussi bien pour les Américains que pour le reste du monde ? Barah Mikaïl : Le moindre éternuement en provenance des Etats-Unis pouvant provoquer un tsunami mondial, on imagine bien que ces élections auront des conséquences pour le reste du monde : il y a des enjeux économiques pour beaucoup, mais aussi politiques et stratégiques. Dans le même temps, on entend souvent dire que du résultat de ces élections pourra dépendre l'avenir des Etats-Unis : soit le président républicain sortant Donald Trump serait réélu et le pays continuerait à s'engager sur une piste descendante, soit le démocrate Joe Biden raflerait la présidence, et la casse serait alors limitée. La vérité se situe probablement entre les deux. Néanmoins, si Trump est réélu, je pense qu'il accentuerait, certes, une certaine tendance isolationniste de la part des Etats-Unis, mais celle-ci ne changera pas forcément les fondamentaux : par exemple, la Chine est en affirmation, et cela ne changerait pas, même si Biden était élu. De même, toujours concernant les affaires internationales, il faut bien convenir de ce que, le long de ces dernières années, les idéaux démocrates ont probablement causé bien plus de torts que les orientations de l'Administration Trump, qui, pour sa part, n'a pas engagé de nouvelles guerres d'ampleur, sur le plan militaire direct s'entend. Par contre, il va de soi que, sur le plan interne, on aurait plutôt à craindre les effets d'une réélection de Donald Trump, qui s'est avéré être le président de la division et de la polarisation. Biden, pour sa part, en tandem avec sa colistière Kamala Harris, essaierait très probablement de renouer avec une politique de l'unité de la nation, du respect et de la réconciliation, ce qui serait évidemment plus que bienvenu au vu de la situation actuelle. Le président sortant, à la traîne dans les sondages, aura-t-il la chance d'obtenir un deuxième mandat face à son rival démocrate Joe Biden, au vu de sa politique belliqueuse et de son discours extrêmement violent parfois ? Tous les pronostics sont permis, et on comprend aussi que la surprise des dernières élections présidentielles américaines, qui avaient vu la victoire de Donald Trump, ait rendu les sondeurs et les observateurs plus prudents aujourd'hui. Dans les faits, tout semble indiquer que le candidat démocrate Joe Biden maintient une large avance sur le républicain Donald Trump. Mais, quel que soit le résultat, il y a peu de chances que la période qui suivra soit marquée par un répit ou une phase plus sereine. Si Trump est réélu, il se sentira conforté dans ses positions jusqu'au-boutistes et parfois dangereuses ; si Biden est élu, il sera vu comme le président par défaut, arrivé à ce poste plus au nom d'un rejet populaire de Trump que d'une véritable expérience. Certes, le système américain fait que la marge de manœuvre du chef de l'Etat est généralement confortable, mais il lui faudrait alors aussi compter avec la posture des républicains, dont l'opposition à Biden se fera féroce, politiquement, médiatiquement, mais surtout au niveau du Congrès américain. La pandémie de coronavirus pourrait-elle faire la différence entre les deux candidats ? Le coronavirus a été un enjeu de campagne, surtout devant le fait que Donald Trump ait été contaminé. L'élément Covid-19 a naturellement structuré la campagne et la rhétorique des deux candidats, et il est vrai que sur ce plan Joe Biden est celui qui a le mieux tiré son épingle du jeu. Par ailleurs, les sondages ont montré que l'électorat pro-Biden était très sensible aux questions liées au coronavirus et à la santé, cependant que les pro-Trump sont plus sensibles aux questions économiques. Mais même si Biden est élu avec une marge confortable, cela ne voudra pas pour autant dire que le facteur Covid-19 concentrerait toutes les explications : les enjeux économiques, sociaux, raciaux, sont tout aussi importants pour le positionnement des Américains. Evidemment, selon les résultats effectifs qu'obtiendront l'un et l'autre des candidats, on pourra alors essayer de jauger le facteur Covid-19 et son importance réelle pour ces élections. Donald Trump a adopté une politique étrangère à contre-courant de son prédécesseur Barack Obama, allant jusqu'à remettre en cause les accords internationaux auxquels Washington a adhéré. Cela constitue-t-il un motif de désaffection des électeurs ? Les républicains et les démocrates disent tous inclure les facteurs liés aux affaires internationales dans leurs calculs électoraux : mais on sait aussi, par la nature des choses, que les Américains donnent généralement plus d'importance aux affaires domestiques qu'internationales. Il suffit de voir le peu de répercussion de l'affaire du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi chez l'opinion publique américaine, tout comme le peu de cas qui semble avoir été fait des rodomontades antichinoises ou des accusations d'ingérence russe, pour s'en convaincre. Les affaires internationales intéressent surtout une élite dont une grande partie est concentrée sur la côte est du pays : mais pour l'électeur moyen, les calculs sont autres et plus franchement centrés sur les questions socioéconomiques et de santé. En cas de défaite de Donald Trump, y a-t-il réellement un risque de violences aux Etats-Unis, comme prédisent certains observateurs ? Il y a évidemment un risque que la droite extrême, incarnée par des groupes racistes tels que les Proud Boys, se sente pousser des ailes, surtout depuis que le président Trump a refusé de les condamner lors d'un débat télévisé avec le candidat Biden. Je ne crois pas pour autant que le Ku Klux Klan surgirait de partout si Trump venait à être réélu, mais il est vrai que l'on pourrait redouter une recrudescence des actes racistes et xénophobes. Le risque essentiel pour l'heure, c'est que Trump perde ces élections et refuse alors de quitter le pouvoir, arguant d'une fraude. Il a menacé de le faire, c'est peut-être un effet rhétorique, et il serait, de toute façon, délogé sans trop de peine, par voie légale ou militaire, si ce scénario venait à se présenter. L'inconnue cependant, c'est le point jusqu'auquel sa base chercherait à le défendre et le prix qu'elle serait prête à y mettre. Je ne crois pas que les Etats-Unis soient au bord de la guerre civile, mais il est vrai que Donald Trump a semé des graines de division qui, même si elles ne faisaient que confirmer des dynamiques et réalités structurelles, risquent malheureusement de marquer durablement le champ sociopolitique américain.