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Crise de la pensée ou de la conscience islamique ? (3e partie et fin)
L'impasse du monde arabo-musulman
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 11 - 2020


Par Hocine Bouraoui(*)
«Et le Prophète clama, Seigneur ma communauté a délaissé ce Coran»
(Coran S.25/V.30)
«Ôtez la synonymie au discours islamique, et c'est tout l'édifice du ‘fiqh' qui s'écroulera de lui-même»
(Mohamed Chahrour)
«Il faut enlever la parole de Dieu aux gens du culte car ils la détournent à leurs profits» (Victor Hugo)
«Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre»
(Spinoza)
III- LA PENSEE ISLAMIQUE ENTRE LE CORAN ET LE DISCOURS
LE MU'TAZILISME OU LA RAISON RAISONNANTE
Qui sont les «mu'tazila»
Les «mu‘tazila» ne sont pas des sectes «firaq», l'admettre c'est donner une origine théologique à un grand questionnement soulevé après les conflits politiques sanglants qui avaient agité l'Islam au début du califat et après l'assassinat du calife Uthman suivi de la première guerre civile du monde musulman (Cf. La Grande Discorde).
La genèse très controversée des «mu‘tazila» est rapportée dans plusieurs ouvrages d'histoire et biographies qui nous éloignent du contenu philosophique de leur pensée.
Origine intellectuelle
du«mu'tazilisme»
Le «mu'tazilisme» apparaît comme un courant de pensée libéral, initié à l'école de Basra, dont les fondateurs furent Hassan El Basri (642-728 après J.-C.) et son élève Wasil In Ata' (700-748 après J.-C.). La doctrine des« mu'tazila » pose le problème de la raison raisonnante et celui de la liberté. Le credo «mu'tazilite» se résume dans l'aphorisme «al aql ‘a'dalou al ‘achyia' qismatane bayn al nass» (la raison est l'attribut le plus équitablement partagé dans l'espèce humaine.)
Les grandes thèses des mu‘tazila»
Les «mu‘tazila» soutiennent avec force que la parole de Dieu est révélée dans un langage humain accessible à la raison. Ainsi, dans son exercice, la raison ne néglige jamais le texte et le contexte pour la recherche du sens premier (ta'wil) et l'interprétation qui en découle. À l'opposé des partisans du déterminisme qui affirment que c'est Dieu qui crée les actes humains, les «mu'tazila» se rangent à la croyance du libre-arbitre et de la responsabilité de l'homme sur ses actes. Quant à la thèse qui ordonne, selon les traditionalistes, le rétablissement de l'ordre par l'épée «amr bi al-ma‘rûf et nahy ‘an al-munkar», les «mu'tazila» donnent une définition socioculturelle à la recommandation «Ordonnancement pour le bien commun et l'éloignement du blâmable» (traduction de l'auteur).
Les Abbassides, dans l'effort de consolider leur pouvoir face à la culture persane et sa théologie, avaient besoin de la rhétorique «mu'tazilite» pour défendre l'orthodoxie musulmane. C'est cet aspect fédérateur de la doctrine des «mu'tazila» qui intéressera le septième calife abbasside Al Ma'mun (786-833 après J.-C.), fils du célèbre Harun Al-Rachid (763-786 après J.-C.), pour l'imposer à ses sujets et hisser le «mu'tazilisme» au rang de religion d'Etat. C'est pendant le règne du dernier calife abbasside Al-Mutawakkil que la réaction contre le «mu'tazilisme» triomphera. Le «fils de l'esclave» voulait concilier les sunnites et les hanbalites qui avaient souffert de l'inquisition d'Al Ma'mun. Ce fut un coup terrible pour les«mu'tazila» qui furent harcelés, persécutés, calomniés. L'importance du «mu'tazilisme» diminuera jusqu'à disparaître progressivement. Ironie de l'histoire, Al – Mutawakkil sera assassiné par un hanbalite, et disparaîtra avec lui la dynastie abbasside.
La pensée arabo-islamique s'éclipsera, et s'hiberneront alors les Arabes pendant presque 10 siècles, du début du règne des Seldjoukides (1038-1367 après J.-C.) à la fin de l'Empire ottoman (1354-1923 après J.-C.) et son démembrement par les puissances occidentales.
Mohammad Abdhu ou la resurrection de la pensée arabo-islamique
Le débarquement à Alexandrie le 1er juillet 1798 de l'expédition française en Egypte, sous le commandement du général Bonaparte, provoquera un choc civilisationnel à l'origine de la renaissance («Nahda») dans le monde arabe. Bonaparte n'avait pas amené avec lui que des soldats, l'expédition comptait également des savants, ingénieurs, médecins, agronomes, etc.
Parmi les penseurs religieux de l'époque se distingue le cheikh Rifa Al-Tahtawi (1801-1873 après J.-C.), issu de l'université d'Al Azhar, venu se former en France et s'exercer à la pensée philosophique des «Lumières». Après son retour en Egypte, il ne cessera d'appeler à la réforme de la «charia».
Disciple de Rifa Al-Tahtawi, Mohammad Abdhu (1849-1905 après J.-C.), grand mufti d'Egypte (la plus haute autorité religieuse), dénoncera l'imitation servile et la résignation fataliste des musulmans. Grand érudit, Mohammad Abdhu s'intéressa à la poésie et la littérature arabes. Pour lui, le Coran devra être lu en s'aidant des sciences du langage et de la linguistique. Ses conférences sur le commentaire du Coran — «Tafsîr Al-Manar» — furent compilées par son élève Rachid Rida (1865-1935) (Weber Edgard, l'Islam sunnite contemporain, Editions Turnhout, Belgique 2001). Son œuvre majeure, Rissâlat Al Tawhid (L'épître de l'unicité), est un ouvrage de théologie de tendance «néo-mu'tazilite» (Mohammad Abdhu. Rissâlat Al Tawhid : Exposé de la religion musulmane. Editions Broché 1984).
L'ISLAM ET LE DEFI DE LA MODERNITE
Les différentes mutations de la pensée islamique
Depuis la mort du Prophète en 632 à la Révolution iranienne en 1979, le monde arabo-musulman connaîtra quatre grands soubresauts (avènement du califat ; la 1re guerre civile ; abolition du califat ; guerre israélo-arabe de juin 67), qui ont provoqué des ruptures épistémiques dans les sociétés musulmanes. La pensée islamique subira à son tour les contrecoups de ces profonds bouleversements, divisée entre les partisans du statu quo, les forces centripètes, ceux qui se réclament d'une lecture littérale du Saint Coran et de la tradition, les savants religieux, véritable corporation de clercs prétendant détenir à elle seule les clés de l'interprétation, et les forces centripètes qui appellent au changement, à l'évolution. La liberté de pensée aura son lot de martyrs parmi les forces du changement et ceux qui prônent une révision des traditions, et une lecture du Saint Coran à la lumière des acquisitions scientifiques. Nous avons cité précédemment le martyr des «mu'tazila», promoteurs de la raison raisonnante.
Le 3 mars 1924 sonna le glas du califat. Sur proposition du nouveau maître de la Turquie, Mustapha Kemal (1881-1938), la Grande Assemblée nationale de Turquie vota l'abolition du califat. Le choc fut terrible pour les musulmans qui voyaient dans le calife le représentant du Prophète (PSL) sur terre. Ali Abdel Razik (1888-1966), érudit égyptien, universitaire et juriste à Al Azhar, paiera le prix fort pour son ouvrage téméraire L'Islam et les fondements du pouvoir, où il remet en cause la pertinence et l'utilité de l'institution califale. Nulle part dans le Saint Coran ou les «hadiths», écrit-il, on retrouve un mandat califal ou même une recommandation. Il ajoute qu'il s'agissait d'une création humaine utilisée principalement pour renforcer la tyrannie, et aussi qu'elle n'est d'aucune utilité particulière dans le monde moderne. Il écrit : «L'Islam ne prévoit aucune forme particulière de gouvernement.»
Et d'ajouter : «Les anciens sultans et dirigeants justifiaient la permanence du califat pour utiliser la religion à des fins politiques et pour protéger leur trône.»
En août 1925, le Conseil des oulémas d'Al Azhar reconnaît la culpabilité d'un des leurs, aux motifs vagues d'insultes aux califes bien guidés. Il fut dépouillé du titre honorifique de «aâlim» (docteur de la loi) conduisant à la perte de son poste d'enseignant et de sa qualité de «qadi», juge, en plus de perdre ses allocations du gouvernement. Une mise à mort. Cependant, la réalité est autre, c'est que l'ouvrage de Ali Abdel Razik avait bouleversé les desseins du roi égyptien Fu'âd et ses partisans. Après l'abolition du califat par Mustapha Kemal Atatürk, le roi Fu'âd (1868-1936), considéré comme larbin des Britanniques, chérissait l'idée d'acquérir une légitimité supplémentaire en endossant l'habit du nouveau calife. Al Azhar, gardienne de l'orthodoxie, hier comme aujourd'hui, a été au service des dirigeants. Pour dire la sclérose de la pensée islamique, aucun des dirigeants politiques laïques de son époque en Egypte ou ailleurs, et aucun chef religieux éminent, ne s'est élevé pour sa défense. Plus intéressant encore, aucun argument savant crédible basé uniquement sur le Coran et hadith n'a jamais été avancé pour démystifier la thèse d'Ali Abdel Razik. (Ali Abdel Razik, L'Islam et les fondements du pouvoir. Recherche sur le califat et la gouvernance dans l'Islam. Critique et commentaire de Mamdooh Haqqi, Beyrouth 1978).
Le samedi 5 juin 1967, les Arabes subiront le plus grand choc de leur histoire. Une nation de 6 millions de Juifs réussira à infliger à plus de 300 millions d'Arabes une défaite écrasante. Au lieu de chercher l'origine de la catastrophe dans le registre des causes objectives (politiques, militaires, économiques, culturelles...), les partisans de l'islam radical rejetteront l'accusation sur la société et ses dirigeants d'avoir abandonné les préceptes de l'Islam. À l'opposé, la gauche arabe laïque collera la défaite à une religiosité exacerbée des sociétés arabo-musulmanes devenues arriérées. Mohamed Chahrour (1938-2019), érudit syrien, s'est consacré depuis le défaite arabe «El Nekba», de juin 1967 à sa mort en 2019, à l'approche contemporaine des textes de la Révélation. Il écrit que «l'esprit collectif arabe» est incapable de produire de la connaissance : «La pensée arabe contemporaine, qu'elle soit religieuse ou athée, est bloquée, et par conséquent ontologiquement inapte à produire du sens».
Les «nouveaux penseurs de l'Islam»
La défaite arabe de 1967, suivie de l'occupation israélienne de territoires des pays arabes limitrophes (Cisjordanie, Le Sinaï, et le plateau du Golan), a suscité des questionnements profonds parmi l'intelligentsia arabo-musulmane. Une vague de penseurs est apparue dans un univers nouveau, celui de pays décolonisés, certes, mais livrés à des pouvoirs totalitaires ne supportant aucune opposition. Comme pour les réformistes du XIXe et début du XXe siècles, les nouveaux penseurs sont confrontés au défi de la modernité. Au cœur de la modernité, il y a la notion de liberté et l'émergence de l'individu qui agit librement, et dont l'aventure vers la connaissance peut percer les secrets de la nature. Comme nous l'avons cité dans l'introduction, les «nouveaux penseurs» furent la cible des pouvoirs politiques antidémocratiques, des «oulémas» et des islamistes financés par l'Arabie saoudite. Ils furent persécutés et menacés de mort. Certains seront calomniés (Mohamad Arkoun, Amin Al- Khûli), d'autres assassinés (Farag Foda, Mahmoud Mohamed Taha), ou contraints à l'exil (Muhammad Khalfallah, Nasr Hamid Abû Zayd).
Mohamed Chahrour ou le Coran dans la pensée contemporaine
Le Docteur Mohamed Chahrour (1938-2019) évitera la vindicte populaire et les sentences des gardiens de l'orthodoxie et des autorités doctrinales d'Al Azhar grâce à la concomitance de deux facteurs.
1- L'avènement des printemps arabes qui a vu la déchéance de certains potentats arabes.
2- Le penseur syrien se situe en dehors de la lignée dynastique des savants religieux et des gens du culte. Ingénieur de formation, docteur d'Etat en génie civil, il continuera l'exercice de son métier qui concourra à lui assurer l'indépendance financière et matérielle.
Mohamed Chahrour étudiera les textes coraniques depuis 1970 à son dernier souffle le 21 décembre 2019. Il ne livre pas une exégèse à proprement parler, mais des outils de modernisation de la pensée islamique. À la lumière des acquisitions des sciences du langage, la linguistique, la philologie et l'étymologie, il propose une lecture moderne du corpus coranique. Il avouera dans son ouvrage majeur El Kitab wa Al Qor'an (Le Livre et le Coran) le recours aux grands linguistes et grammairiens : Sibawayh (760-796), persan grammairien et linguiste de renommée, et auteur de El Kitab (Le Livre) ; le médecin grammairien Juif rabbin Ibn Janah (990-1055) et son Kitab El ‘Ûçûl (Le livre des racines) ; Abdel Qâhir Al-Jurjâni (1009-1078), un érudit persan renommé de la langue arabe, théoricien littéraire, grammairien, et son œuvre toujours actuelle Dalâ'il Al ‘Ijaz Fi Al Qor'an (Arguments de l'inimitabilité du Coran) ; Abû Ali Al Fârisî (901-987), le plus grand grammairien de l'école de Basra, son ouvrage El Idah (Illustration) influencera Abdel Qâhir Al-Jurjâni ; Al-Zamakhsharî (1075-1144), référence sur la philologie de la langue arabe, propose une exégèse «mu'tazilite» dans son interprétation «Al Kashâf» (Le Révélateur).
Le docteur Mohamed Chahrour relèvera trois causes essentielles à l'origine de l'incapacité de la pensée arabe collective à produire de la connaissance.
La synonymie («al taradouf») : la pensée arabe est synonymique, elle ne fait pas de différence par exemple entre le père et le géniteur ou la mère et la génitrice. La poésie fut le socle de la pensée arabe antéislamique et la synonymie ne faisait pas perdre le sens aux récits poétiques. Appliquée aux textes coraniques, la synonymie dénature le sens du message.
Le syllogisme («al qiyas») : le besoin de faire référence à une version originale et le retour systématique à l'origine a empêché la pensée arabe d'évoluer pour explorer les chemins de la connaissance. Le savoir est dans l'aventure, et la pensée arabe refuse les mésaventures.
Le complexe de la culpabilité («‘Oqdat al dhanb») : la pensée arabe, ballottée entre le licite et l'illicite, ne peut saisir l'utilité des inventions. Cette pensée fait le lit de toute forme de despotisme ou de totalitarisme.
Pourquoi en est-on arrivé là
À l'apogée de l'Empire islamique, la civilisation arabo-musulmane, qui possédait le pouvoir, reçut le choc de la civilisation judéo-chrétienne. La pensée islamique dut innover pour attribuer à Mohammed (PSL) des miracles surpassant ceux des prophètes bibliques. Mohammad Ibn Idriss Ash-Shaâfi'î ou «Imam Al-Chafii» (767-820) appartenant à la tribu «hachémite», fondateur de l'école de droit musulman «fiqh» chaféite, écrit dans son ouvrage Ar-Rissala (Le Message) : «Les hadiths représentent une deuxième révélation.» Il qualifiera Mohammad (PSL) de «Prophète aux deux révélations». Les successeurs de Chafii (Al-Boukhârî ; Mûslim ; Al Nawawi) donneront au Prophète le droit de légiférer à la place du Coran. Ainsi, le Coran fut mis de côté, et les pratiques coutumières du Prophète et ses compagnons, datant du VIIe siècle, furent érigées en religion.
Le docteur Mohamed Chahrour, en éveilleur de conscience, rappelle que le fondateur de l'école chafiite a commis l'erreur de la synonymie dans la lecture du verset 3 de la sourate 53. Ce dernier aurait confondu le verbe «énoncer» «nataqa», qui veut dire formuler par le langage de manière nette et précise, et le verbe «annoncer» «qâala» qui signifie présenter ou signaler.
Les Versets sataniques renvoient aux versets 19-23 de la sourate 53 où Satan aurait intercédé dans la Révélation pour faire dire au Prophète des louanges aux divinités arabes «Lât, ‘Ûzza et Manât». Cet incident aurait eu lieu à La Mecque au début de la Révélation. L'épisode fut rapporté par de nombreuses sources islamiques. Le qualificatif de «nejm» renvoie donc au verset et sa Révélation et non à une quelconque éclipse astrale qui ne veut rien dire dans le sillage de la sourate. Le Saint Coran désigne parfois les versets par «étoile» S 56/V 75.
Le docteur Mohamed Chahrour se référant aux travaux des philologues cités plus haut et ceux des linguistes modernes écrit : «Le discours coranique est construit dans une langue arabe dynamique de structure sémantique ou lexicographique en fonction du message à qui donne au Coran sa prose et ses qualités poétiques qui font la force de son abstraction.» (Mohamed Chahrour. El Kitab wa Al Qor'an. Rû'ya Jâdida Dar Al Saqi. 2018 Beyrouth).
Pour conclure, les «mu'tazila» prônaient déjà le règne de la raison avant le XVIIIe siècle ou le «Siècle des Lumières» et de «l'éthique kantienne». Le premier roman philosophique «Hayy Ibn Yaqdhan» du médecin andalou Ibn Tofayl (1105-1185) contredit la thèse du sociologue algérien Lahouari Addi sur la nécessité du passage par Kant du discours religieux musulman ; mais ceci est une autre histoire (Lahouari Addi. La Crise du discours religieux musulman, Editions Frantz Fanon 2020).
IV- Conclusion
En 1983 paraît en France un livre, L'Homme neuronal, du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France. L'ouvrage remettra au goût du jour les théories biologisantes qui avaient fait des ravages au siècle dernier. Selon le biologisme ou déterminisme biologique, les comportements humains physiques et spirituels sont sous-tendus par des mécanismes biologiques. Parcourant l'histoire des représentations et des modélisations du fonctionnement du cerveau initiée pendant les années 60 par des figures intellectuelles issues des sciences biologiques ou médicales pour ne citer que Jacques Monod (1910-1976), Jean Bernard (1907-2006), Henri Laborit, l'auteur de L'Homme neuronal, affirme que le cerveau est le siège de la pensée, et que celle-ci est contenue dans les circuits neuronaux entre des impulsions électriques et des substances chimiques, les neurotransmetteurs. Jean-Pierre donnera des émules avec Le Cerveau machine de Marc Jeannerod (1935-2011) et La Résilience et la sérotonine de Boris Cyrulnik. Le neurobiologiste français écrit : «Au niveau des mécanismes élémentaires de la communication nerveuse, rien ne distingue l'homme des animaux.» (J.P. Changeux. L'Homme neuronal. Paris, Fayard, 1983).
L'une des réalisations suprêmes de l'histoire de la musique classique, de l'avis de critiques et musicologues, et l'une des œuvres les plus connues dans la musique de pratique courante et les plus jouées dans le monde, est la «Symphonie chorale» ou «La Symphonie n°9» de Ludwig van Beethoven (1770-1827). Le compositeur et pianiste allemand était atteint d'une surdité totale quand il composa sa dernière œuvre. Comment un musicien peut-il composer, amputé du sens le plus important pour la perception musicale ? La musique est pour l'instrument ce que la connaissance est pour le cerveau.
La réalité des connaissances se situe en dehors du cerveau, et seul un cerveau libéré mènera à la connaissance, car la liberté est mère de toutes les productions humaines. Idriss Aberkane, spécialiste en neurosciences et auteur d'un ouvrage lumineux (Libérez votre cerveau), écrit : «Nous ne sommes pas là pour nous conformer à une empreinte, mais laisser la nôtre.» Le pire des risques, c'est de ne pas en prendre. Lors de la première guerre civile du monde musulman, de bons offices avaient proposé à Ali l'arbitrage par le Saint Coran. Il répondit : «Le Coran est silencieux ; ce sont les êtres humains qui le font parler.»
H. B.
(*) Professeur de médecine, spécialiste en neurologie et neuropsychologie. Diplômé des études supérieures de médecine de guerre. Licencié en sciences économiques (économie de la santé).


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