La Foire internationale du livre de Tunis (Filt), le Salon international de l'édition et du livre de Casablanca (Siel) et le Salon international du livre d'Alger (Sila) ont été annulés. Barzakh en Algérie, La Croisée des chemins au Maroc et Demeter en Tunisie estiment que leurs ventes ont chuté de 60 à 70% en 2020. La crise sanitaire de la Covid-19 a aggravé la situation du secteur de l'édition au Maghreb et fait resurgir la nécessité d'une libre circulation du livre entre la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, pour répondre à un besoin tant économique qu'intellectuel. La Foire internationale du livre de Tunis (Filt), le Salon international de l'édition et du livre de Casablanca (Siel) et le Salon international du livre d'Alger (Sila) ont été annulés en 2020. La pandémie de nouveau coronavirus a ainsi privé les éditeurs du Maghreb de leur public et d'un incontournable rendez-vous commercial. «La pandémie est venue avec une brutalité inouïe signer la cessation d'activité», dit Sofiane Hadjaj, cofondateur des éditions algériennes Barzakh, dont le Sila représente habituellement un quart du chiffre d'affaires annuel. Si les situations varient, tous les éditeurs s'accordent sur l'énorme manque à gagner, conséquence du report des évènements professionnels mais aussi de la fermeture des librairies pendant la période de confinement. Barzakh en Algérie, La Croisée des chemins au Maroc et Demeter en Tunisie estiment que leurs ventes ont chuté de 60 à 70% en 2020. Une perte légèrement amortie par l'éclosion d'initiatives locales, telles que l'opération «acte de résistance» par laquelle des librairies marocaines ont volontairement mis en avant les parutions locales, ou la «braderie» organisée par Barzakh en Algérie. Les aides de l'Etat ont, elles, été quasi inexistantes en Algérie et jugées timides au Maroc et en Tunisie.
Blocages Face au marasme, le changement d'échelle, avec l'ouverture d'un marché maghrébin du livre, pourrait toutefois offrir une issue à la crise du secteur. Réclamé de longue date par les professionnels, l'essor d'un marché commun offrirait de nouveaux débouchés en élargissant la demande et en diversifiant l'offre, le tout avec un prix adapté aux lecteurs du Maghreb. Langues, proximité culturelle, «nous réunissons tous les éléments pour avoir un véritable marché maghrébin», plaide Kenza Sefrioui, critique littéraire et éditrice marocaine. «Il faut offrir aux lecteurs une diversité», renchérit M. Hadjaj. Mais dans la sous-région la moins intégrée au monde selon la Banque mondiale, cette ouverture se heurte à de nombreux obstacles. Le premier d'entre eux réside dans les tensions politiques entre le Maroc et l'Algérie, avec la fermeture de leurs frontières commune depuis des décennies. Le différend bilatéral entrave la circulation terrestre des ouvrages et, de façon plus abstraite, suscite des réticences à collaborer entre les professionnels des deux pays. Coût du transport, convertibilité des monnaies et procédures complexes d'import-export : les blocages techniques sont, à ce jour, légion. «On paye le coût de la non-intégration du Maghreb», résume Mme Sefrioui, qui constate paradoxalement une réelle assise de la littérature maghrébine en France.
«Double périphérie» Elisabeth Daldoul, directrice des éditions Elyzad, déplore le manque flagrant de volonté politique, qui s'explique en partie par les craintes que suscite le livre, par l'imaginaire subversif auquel il renvoie. Pourtant, soutenir l'édition est une nécessité pour lutter contre «la faillite de l'enseignement public» et favoriser «l'émergence d'un débat critique» dans nos sociétés, insiste Mme Sefrioui, de la maison d'édition En toutes lettres. «Le Maghreb est dans une double périphérie, celle de la francophonie et celle du Machrek (le Proche-Orient, ndlr), qui se considère comme le centre de gravité de l'édition arabe. C'est une double dévalorisation que l'intégration régionale pourrait contrer», souligne-t-elle. Sur le plan intellectuel, la coopération pourrait bénéficier aux métiers de la littérature dans la région, à l'essor de la traduction et à la diversité linguistique, estiment également les éditeurs. L'enjeu est aussi de rendre les productions nationales moins autocentrées et de promouvoir une littérature décolonisée, émancipée de l'Occident. «Ce ne sont pas les pouvoirs publics qui vont nous ouvrir les portes. C'est à nous, éditeurs, de briser ces frontières, en favorisant les coéditions maghrébines», fait valoir Abdelkader Retnani, président de l'Union professionnelle des éditeurs du Maroc. «Il faut le courage de la plume», dit-il. Quant à M. Hadjaj, il nourrit le projet d'un livre sur l'histoire du Maghreb produit par des éditions des trois pays. Il est important de «raconter notre histoire», conclut-il.