Dans cet entretien, le secrétaire général par intérim de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Mohand Ouamar Benlhadj, affirme que le rapport de Benjamin Stora sur la mémoire coloniale, élaboré sur demande du Président français, n'est d'aucun intérêt pour l'Algérie. Dénonçant le refus de la France de reconnaître ses méfaits en Algérie, il soutient que le rapport est loin d'être objectif. Le Soir d'Algérie : Comment avez-vous accueilli le rapport remis par l'historien Benjamin Stora au Président français ? Mohand Ouamar Benlhadj : Nous l'avons accueilli pratiquement sans aucune surprise car nous ne nous attendions pas vraiment à quelque chose de nouveau de la part du gouvernement français qui a eu toujours la même démarche en affirmant que la France a rendu service à l'Algérie, émancipé ses habitants et n'a fait que du bien durant la colonisation. On ne s'attendait pas à un recul de la part du gouvernement français sur cette question et en ce qui concerne la présence coloniale chez nous. Ils ne vont pas reconnaître leurs méfaits. Le Président français a commandé un texte à Benjamin Stora et il l'a fait. Il n'a pas été objectif dans son rapport parce qu'il a survolé les faits, voire même occulté les faits importants relatifs à l'invasion de l'Algérie, l'utilisation de tous les moyens de l'armée française depuis 1830 jusqu'à 1962. A un moment, il est arrivé à préconiser la réconciliation des mémoires en fêtant quelques évènements ensemble, l'entrée de Gisèle Halimi au Panthéon à Paris, la commémoration de l'assassinat d'Ali Boumendjel, reconnu par Aussaresses. C'est ridicule. Cela doit être fait mais à la fin du parcours, tout en racontant toute la genèse de l'histoire de la France avec l'Algérie. Mais y a-t-il des points positifs dans ce rapport ou plutôt tout est négatif, selon vous ? Dans l'ensemble, c'est négatif parce que les détails ne doivent pas annuler ou couvrir l'essentiel. Il faut que la France reconnaisse ses méfaits en Algérie. Beaucoup l'ont dit avant moi à travers des écrits relatifs à l'occupation française. Les Français eux-mêmes n'ont pas supporté cinq ans d'occupation allemande et quelques dépassements de l'armée allemande en France. Les Français ont tenu à ce que l'Allemagne reconnaisse ses faits et que les responsables allemands viennent s'incliner à la mémoire des victimes de cette occupation entre 1940 et 1945. Quant à nous, ce qui a été fait par les Français durant 132 ans n'est pas à comparer du tout avec le court passage des Allemands en France. Il n'y a aucune comparaison à faire et Benjamin Stora le sait très bien. Le sinistre Papon, qui était en Algérie et qui a fait tuer des centaines d'Algériens en octobre 1961 à Paris, a été jugé pour avoir envoyé quelques dizaines d'enfants juifs de Bordeaux vers les camps allemands. Bien sûr que ces enfants sont des innocents et il fallait qu'il soit puni mais il n'a jamais été puni pour ce qu'il a fait en Algérie. Voilà le deux poids, deux mesures. Il faut que la France reconnaisse ses méfaits en Algérie depuis la bataille de Staouéli le 15 juin 1830. Qu'est-ce que la reconnaissance implique concrètement ? Logiquement, toute reconnaissance d'un dépassement vis-à-vis d'une personne humaine mérite une sanction, soit pénale soit civile. Cela d'après le droit français. Mais nous n'en sommes pas encore là. Nous ne sommes pas cupides. Nous n'avons pas demandé à ce qu'ils nous envoient des mandats. Du moins pour le moment. Mais eux, cela rentre dans leurs comptes : reconnaître, c'est peut-être payer quelque chose. C'est réparer. Or, justement, ils traînent cette réparation. Par contre, il y a des Français qui sont partis en France après la fin de la guerre et indemnisés, je pense, par leur gouvernement et qui, après le fameux texte de 2005 sur leur présence en Algérie, ils ont réclamé devant les tribunaux la récupération de leurs maisons à Alger. C'est l'argent qui compte pour eux. Nous demandons à ce qu'ils reconnaissent ce qu'ils ont fait chez nous (les millions de morts, les villages rasés, les déportés...). Les autorités algériennes n'ont, jusque-là, pas réagi officiellement au rapport Stora. Comment expliquez-vous ce silence ? Je pense que c'est au ministère des Affaires étrangères ou au vis-à-vis de Stora désigné en Algérie de répondre à cette question. Mais on constate que même en France, il y a des Français qui critiquent le rapport. Chez nous, c'est en bloc qu'on doit rejeter ce rapport. En tout cas, ce n'est pas un rapport de ce genre qui va ramener la paix des armes. Ce rapport n'a donc, selon vous, aucun intérêt pour l'Algérie et les Algériens ? Absolument pas. Propos recueillis par Karim Aimeur