Un million et demi de morts pour le baroud final, une majorité de femmes et d'enfants et un chiffre à rapporter aux deux millions assassinés entre 1830 et 1900, les premiers crimes atroces commis par les armées coloniales françaises pendant le XIXe siècle, que nous avons versés dans le dossier du procès précédemment. Les actions “civilisatrices" de la France ont ainsi causé la disparition d'au moins trois millions et demi d'Algériens entre 1830 et 1962. Question simple : ces millions d'Algériens massacrés par la France coloniale ne méritent-ils pas des excuses et la reconnaissance de sa responsabilité par la France ? À ce décompte macabre, il faut également ajouter les 45 000 morts des massacres de Sétif du 8 mai 1945, le jour même où le reste du monde célébrait la victoire sur le nazisme. Plus les 20 000 qui se sont sacrifiés pour la France durant sa première guerre contre les Allemand (1914) et deux fois plus pour la seconde guerre mondiale, entre 1939 et 1944. La France n'a jamais formulé la moindre excuse pour ses actes barbares, tout juste a-t-elle consentie sur le tard quelques mots de compassion pour nos concitoyens qui lui ont prêté main forte contre le nazisme. Après les combats sur le terrain, il y a eu la bataille des chiffres. Combien de morts du côté algérien ? 1,5 million, a dit le FLN. 250 000, disent les historiens officiels de la France ! La ficelle restera encore trop grosse tant que la France ne s'honorerait pas à franchir le seuil psychologique qu'est la reconnaissance de sa responsabilité dans les horribles massacres d'Algériens. Cette éventuelle reconnaissance ne pourra que grandement contribuer à forger un véritable pont de partenariat multiforme entre les deux rives de la Méditerranée et la France n'en sortira que grandie. La perspective n'est bien sûr pas encore dans la tête de la France officielle revancharde au motif que la guerre d'Algérie a marqué pour elle une rupture historique. Ce fut d'abord la fin d'un rêve impérial né au XIXe siècle et la relégation de cette même France au rang de puissance moyenne. La France officielle refuse d'affronter son passé colonial en Algérie. 3,5 millions de morts au moins entre le 5 juillet 1830 et mars 1962, date du cessez-le-feu. Le double, selon Mostefa Lacheraf : 6 millions de morts. Le chiffre prend en compte également les épidémies et famines succinctes aux guerres d'occupation et d'indépendance. Pourquoi la France s'estime-t-elle exonérée de ce qu'elle a récemment exigé de la Turquie, lui enjoignant de reconnaître le génocide arménien ? La vérité, c'est que la France a toujours au travers de sa gorge la souveraineté de l'Algérie. De droite comme de gauche. Le 12 mars 1956, c'est bien le gouvernement du socialiste Guy Mollet qui fit voter, avec l'appui des députés communistes, les pouvoirs spéciaux, c'est-à-dire la torture légalisée et généralisée en Algérie. La France dit avoir tourné la page de la colonisation ! Toute seule, sans les Algériens. Peut-être qu'Hollande consentira-t-il à enjamber les discours de son prédécesseur Nicolas Sarkozy qui a laissé la repentance en suspens à Constantine lors de son séjour le 5 décembre 2007 pour carrément marteler “non, non et non", plus tard et jusqu'à la défaite électorale. La France officielle a mis près de quarante ans à reconnaître qu'elle avait mené, entre 1954 et 1962, une “guerre" en Algérie. On sait ce que cache cette longue dénégation : un lourd passé, qui a toujours “du mal à passer", et dont l'histoire au jour le jour dort encore, en grande partie, dans les cartons des archives indisponibles alors que la loi française du 3 janvier 1979 déclare ouvertes les archives publiques au bout de trente ans. Pour la guerre d'Algérie, le délai est donc largement dépassé. Mais la France ne peut plus tenir son coude sur ses méfaits. La pression de l'opinion publique en Algérie mais aussi en France, a fait exploser ce que l'historien Benjamin Stora a appelé l'“explosion mémorielle" qui a suivi les témoignages de ces dernières années sur la torture, les révélations sur les essais nucléaires dans le Sahara algérien et de bien autres méfaits. Le Service historique de l'Armée de Terre (SHAT), au fort de Vincennes, qui détient des archives de la guerre proprement dite (localisation des unités militaires, rapports, journaux de marche et d'opérations, etc.), le Centre des Archives d'Outre-mer d'Aix-en-Provence, qui regroupe tous les fonds provenant d'Algérie, depuis le début de la présence française jusqu'en 1962, les archives photographiques et cinématographiques des armées (ECPA) réunies au fort d'Ivry, les archives de l'Elysée, de Matignon, et surtout celles des trois ministères les plus concernés : l'Intérieur, la Défense et la Justice, seront-elles un jour accessibles ? Faut-il rappeler cette constante, quitte à se répéter. En 1962 la France a admis l'indépendance de l'Algérie en tant que territoire. Cependant, il est curieux de constater que les 6 présidents de la République française qui se sont succédés depuis 1962, qu'ils soient de droite ou de gauche, font preuve vis-à-vis de l'Algérie d'un unanimisme jamais démenti. Qu'on se souvienne ! Il a fallu près de quarante ans pour que la France reconnaisse qu'il y eut une vraie guerre en Algérie. Ce n'était pas un vulgaire maintien de l'ordre contre de vulgaires hors-la-loi ou mieux fellagas. D. B.