En fait, le dernier livre de notre auteur national répond sur le registre de la littérature à la caste des pseudo-intellectuels dont Tahar Ben Jelloun est le porte-voix. Dans son dernier ouvrage qui vient de paraître aux Editions Casbah, l'auteur, dont la renommée au niveau international n'est plus à démontrer, s'insurge contre les cabales fomentées cousues de fil blanc. Il n'a pas besoin de règlements de comptes avec des individus positionnés et encartés dans le milieu ultra-fermé de la scène littéraire, véritable ghetto organisé par certaines maisons d'édition qui font tout pour perpétuer leur monopole sur l'édition et la parole libre. Quelle idée géniale de l'auteur qui, dès l'entrée en scène, voit s'inviter chez lui la vieille El Bahdja dont l'âge ne déteint pas sur elle malgré le poids de plus d'un millénaire sur son dos qui s'avère être plus un héritage et une carapace qu'un lest encombrant. Elle le prend de haut et le tarabuste pour lui faire perdre contenance. De répartie en répartie, les deux antagonistes peuvent enfin boire le thé qui refroidit quand les cœurs entrent en symbiose et les rancœurs disparues. En fait, le dernier livre de notre auteur national répond sur le registre de la littérature à la caste des pseudo-intellectuels dont Tahar Ben Jelloun est le porte-voix sur son itinéraire construit laborieusement au fil des années, de déconvenues, de brimades, d'échecs mais il a su toujours se relever pour se retrouver au-dessus de la mêlée, haut la main, dans le gotha des écrivains à succès, traduit dans plus de quarante langues, dont certains titres ont été repris au cinéma comme, à titre indicatif, Ce que le jour doit à la nuit ou encore L'attentat. Le livre se déroule entre ce dialogue entre lui et El-Bahdja, «El-Mahroussa» avec des répliques échangées qui prouvent que l'auteur est le fils entier de son pays, auquel il est viscéralement attaché, malgré toutes les critiques qu'il lui porte parce que sa patrie ne le laisse pas indifférent. Il l'aime jusqu'à lui donner sa vie. Il l'a prouvé puisqu'il a été dans l'armée depuis son jeune âge et ce n'est pas pour autant que l'on ne doit pas s'exprimer. C'est le récit de sa vie qu'il confie dans un long entretien avec Catherine Lalanne sur plus de 150 pages. Il parle de son lieu de naissance, Kenadsa, ville du Sud millénaire, de son père moudjahid (voir photo de couverture), de son oncle poète avant lui, et surtout de son épouse, son égérie dont il a pris les prénoms pour partager avec elle ses œuvres. Un passage entre l'auteur et El-Bahdja «Combien de fois a-t-on déformé mes propos, m'a-t-on fait passer pour un déserteur alors que je suis un retraité, et pour un plagiaire pour discréditer votre propre génie, et pour un imposteur aux mille nègres comme si un Algérien n'était pas génétiquement en mesure de commettre des romans salués de partout, et pour agent des Services afin que l'on considère mes œuvres comme des lettres piégées. Vous savez très bien que nos ennemis refusent de nous accorder le moindre crédit et veillent à ce que notre peuple ne soit pas représenté par ses vrais prodiges mais par les ‘'génies'' préfabriqués par eux et en fonction de leur intérêt.» (p. 21) Yasmina Khadra a résumé admirablement la situation de l'intellectuel et du créateur en ces belles phrases. À méditer par ceux qui gèrent la culture et le pays. Abrous Outoudert (*) Yasmina Khadra Le baiser et la morsure. Casbah Editions. 205 pages.