Par le Pr Baddari Kamel(*) Le terme «innovation», traduit de l'anglais, signifie nouvelle idée, méthode, nouveau produit. Son origine remonte au mot latin «innovare» qui se traduit à son tour par renouvellement, changement. Il a été utilisé pour la première fois au début du XXe siècle par le célèbre économiste Joseph Schumpeter, dans son ouvrage The Theory of Economic Development (1912). Dans cet ouvrage, l'auteur reflétait le contenu des innovations comme des changements afin de mettre en œuvre et d'utiliser de nouveaux types de biens de consommation, de nouveaux véhicules de production et de transport, des marchés et des formes d'organisation dans l'industrie. L'un des premiers chercheurs de l'essence de l'innovation était le Russe Nikolai Dmitrievitch Kondratiev qui, pour la première fois dans son ouvrage Big Cycles of Business (1925), a étayé la théorie des grands cycles économiques d'une durée d'environ 50 ans, et introduit le concept d'onde longue, qui caractérise l'impact des innovations radicales sur le développement de l'industrie mondiale. Il a considéré, comme Karl Marx, que la transition vers un nouveau cycle dans des conditions historiques concrètes nouvelles est associée à l'expansion du stock des biens d'équipement, créant les conditions d'introduction massive des inventions accumulées. Kondratiev a évoqué des innovations telles que l'invention des machines à vapeur, la construction du chemin de fer, l'industrie électrique et l'industrie automobile. À l'heure actuelle, il existe deux approches pour définir le concept d'«innovation». Elle peut être considérée comme une sorte de processus, comme elle peut désigner un objet sous forme d'un résultat final. Les auteurs du Global Innovation Index (GII) comprennent l'innovation comme l'introduction ou l'amélioration significative d'un produit (ou service), d'un nouveau processus, d'un nouvel outil marketing, ou d'une nouvelle façon de faire les affaires, de l'organisation du lieu de travail, ainsi que des relations extérieures. Il s'agit d'un élargissement significatif de la compréhension habituelle, lorsque l'innovation était mesurée par les résultats de la recherche et le nombre de brevets. Ainsi, l'innovation au sens le plus large est toute action qui maximise l'efficacité des processus technologiques et organisationnels de production et d'échange basés sur l'amélioration ou la transformation de la qualité. À son tour, le concept d'«activité innovante» n'est souvent pas entièrement divulgué et n'a pas son propre concept défini. Il est généralement donné comme un ensemble de types de travaux sur la création et le développement d'innovations. L'activité d'innovation peut être considérée comme un processus d'émergence, de développement d'idées, de méthodes, d'inventions et de technologies totalement nouvelles qui sont hautement compétitives dans leur commercialisation ultérieure, et dont le but prioritaire est de satisfaire davantage les nouveaux besoins sociaux tout en créant un champ d'activité nouveau. L'innovation du monde 2021 passée au crible L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI, une agence spécialisée des Nations Unies) compile GII depuis 2007 avec un réseau de partenaires académiques. La méthode de mesure de la capacité d'innovation et de la performance économique permet aux décideurs des gouvernements et du secteur privé de concevoir des politiques qui encouragent les gens à être plus innovants et créatifs. En 2020, l'Algérie était à la 121e place, elle est passée à la 120e en 2021 en gagnant une place, se retrouvant entre l'Ouganda et la Zambie. Il y a maintenant 132 pays dans le classement. Les trois premiers sont les mêmes que l'an dernier : la Suisse, la Suède et les Etats-Unis. Les dix premiers sont complétés par le Royaume-Uni, la Corée du Sud, les Pays-Bas, la Finlande, Singapour, le Danemark et l'Allemagne. La Chine a également gagné deux places cette année pour se classer 12e. Il y a 81 indicateurs dans le classement 2021. Ils sont regroupés en sept blocs. Les résultats sont calculés comme la moyenne de deux sous-indices — les ressources d'innovation (les institutions, le capital humain et la recherche, les infrastructures, le niveau de perfectionnement du marché et des entreprises) et leurs résultats (le développement de la connaissance et des résultats technologiques, ainsi que l'activité créative). L'Algérie a amélioré sa position en termes d'infrastructures (96e place contre 100e un an plus tôt), de perfectionnement des entreprises (124e contre 126e), et ne marque aucun changement en développement du capital humain et recherche (74e place). Les indicateurs du développement des institutions (104e place), la connaissance et résultats technologiques (125e place) et la créativité (118e place) affectent toujours négativement la note globale de l'Algérie. Cependant, l'Algérie enregistre une détérioration cette année dans le perfectionnement du marché avec moins 2 postes par rapport à 2020 (132e place contre130 il y a un an). Les positions faibles de l'Algérie s'expliquent par la maturité insuffisante des conditions-cadres pour l'innovation, le sous-développement de l'infrastructure institutionnelle d'innovation, le faible financement de la science novatrice, le retard pris par le cadre législatif dans ce domaine, le faible niveau de développement du marché et la faible activité d'investissement des entreprises dans le développement de la haute technologie et de la numérisation. GlI note dans sa 14e édition que l'investissement dans l'innovation a fait preuve d'une grande résilience malgré les effets considérables de la pandémie de la Covid-19, atteignant souvent de nouveaux sommets, mais qu'il varie selon les secteurs et les régions. L'innovation, une culture à développer en Algérie Les fonctions de l'innovation dans l'investissement social se reflètent dans les éléments suivants : d'une part, les innovations sont un canal pour la mise en œuvre des acquis de l'intelligence humaine, des résultats scientifiques et technologiques, contribuant à l'intellectualisation du travail, et en augmentant son intensité scientifique, et d'autre part, grâce aux innovations, l'éventail des biens et services s'élargit, leur qualité augmente, ce qui contribue à l'accroissement des besoins de chacun et de la société dans son ensemble. Pour l'économie algérienne, l'innovation est un concept assez nouveau. À ce jour, il n'y a pas de loi sur l'innovation dans notre pays, les concepts d'«innovation», d'«activité innovante» ne sont pas définis juridiquement et, par voie de conséquence, le cercle des sujets d'une telle activité n'a pas non plus été établi. L'un des indicateurs clés de l'innovation pour l'Unesco est le nombre de chercheurs pour 1 million d'habitants du pays. En Algérie, ce chiffre est de 596, la moyenne dans le monde est de 1460 (DGRSDT, 2019). On note, dans notre système de recherche, une faible mobilisation des chercheurs permanents et une grande faiblesse de la recherche-développement (R&D) en entreprise. Le leader de l'investissement dans l'innovation, les Etats-Unis, emploie 4295 chercheurs pour 1 million d'habitants, et la Chine 1096. Augmenter le nombre de personnes engagées dans le développement innovant devra être l'un des objectifs de notre pays dans sa course dans l'innovation. Le montant des investissements dans l'innovation est l'autre des indicateurs clés de l'intérêt d'un pays pour le développement des activités innovantes. Il existe plusieurs méthodes de calcul qui donnent des résultats différents en nombre absolu, mais la proportion entre les plus gros investisseurs en innovation et les plus petits demeure. Selon toujours la DGRSDT (2019), les dépenses de l'Algérie en R&D entre 2000 et 2018 sont de l'ordre d'un milliard de dollars (118 milliards de DA), soit des dépenses annuelles qui varient entre 17 millions de dollars (2.06 milliards de DA) et 115 millions de dollars (13.7 milliards de DA). Cela représente en termes de PIB une valeur entre 0.06% et 0.087%. Ces dépenses ne prennent pas en considération les salaires du personnel activant dans le domaine de la recherche. En tenant compte de tous les investissements en R&D, les dépenses de l'Algérie représentent 0.54% du PIB (Unesco, 2017). En termes de ratio investissement/PIB, l'Unesco estime la moyenne mondiale à 1.7%, et à 2.5% pour l'Amérique du Nord et l'Europe occidentale. Dans le monde, un montant record a été dépensé pour les innovations en 2017-1700 milliards de dollars en parité de pouvoir d'achat, a calculé l'institut des statistiques de l'Unesco. Près de la moitié (47%) des dépenses d'innovation dans le monde incombe aux 2 pays : les USA et la Chine, avec 80% sur les 10 premiers pays. La situation en Algérie devrait être corrigée par une stratégie nationale d'innovation. Des efforts importants devront être déployés pour stimuler la recherche et l'innovation dans l'enseignement supérieur et l'entreprise. Des mesures devront être mises en œuvre pour attirer des scientifiques de renommée mondiale vers des travaux de recherche dans les universités algériennes, ainsi que pour soutenir la coopération entre les universités et les entreprises et développer davantage l'infrastructure d'innovation. La numérisation, l'intelligence artificielle, l'informatique quantique et les communications, etc., en fait, ce sont quelques-uns des nombreux domaines de développement innovant, et, en théorie, ils devraient être regroupés dans un cadre stratégique plus large. Que faut-il prévoir ? Un réel plan stratégique de développement qui vise à atteindre par le pays le niveau de croissance innovant est indispensable pour relever le défi. Dans le cadre de la mise en œuvre du programme, il sera prévu de résoudre des tâches pour : 1- Former des meilleures conditions pour la mise en œuvre et la stimulation d'activités scientifiques et techniques innovantes basées sur les pratiques mondiales avancées ; 2- Assurer le développement innovant des secteurs traditionnels de l'économie nationale ; 3- Générer de nouveaux secteurs économiques de haute technologie à forte intensité de savoir et accélérer le développement ; 4- Mettre en œuvre un effort financier conséquent et fixer un objectif de multiplication par 7.5 du PIB consacré à la R&D, visant à atteindre 4%, d'ici 5 ans ; 5- Etendre la présence et renforcer la position de l'Algérie sur les marchés mondiaux des produits innovants. Ce faisant, l'activité sera axée sur : 1- La création d'un système national de veille technologique ; 2- Le développement d'infrastructures d'innovation ; 3-Le développement d'un système national de propriété intellectuelle; 4- Le soutien et le financement des start-up innovantes dans les différentes dimensions de leur croissance et développement (de la phase d'idéation jusqu'à la diffusion d'un nouveau produit ou service sur le marché) ; 5- La mise en œuvre d'une politique de création et de renforcement des liens entre la recherche et l'entrepreneuriat ; 6- L'élaboration d'un plan national à 8 ans de formation aux métiers de la nouvelle économie ; 7- L'instauration par le gouvernement de subventions destinées à l'emploi par voie contractuelle de nouveaux salariés dans les centres de R&D et les start-up, ainsi que la formation et le développement de nouveaux modèles commerciaux d'emploi des jeunes dans le domaine de l'innovation ; 8- La mise en place de pôles de compétitivité regroupant des établissements d'enseignement supérieur, des centres et laboratoires de R&D, et des entreprises sur un même territoire et travaillant sur une même thématique novatrice. Plus généralement encore, développer le monde de la R&D en entreprise et encourager les chercheurs à lancer une spin-off de leurs brevets dans l'entreprise ; 9- L'engagement d'une réelle dynamique de développement d'une industrie nationale du capital-risque ; 10- L'évaluation régulière des barrières existantes à l'innovation et comparaison de leur niveau entre les régions du pays. In fine, le développement de l'innovation en tant que science et méthodologie de l'activité innovante par la tâche de former un capital humain capable de développer la théorie de gestion des processus innovants, et les bases scientifiques de la formation de praticiens n'est pas moins urgente. Et, bien sûr, il convient de réfléchir à la nécessité d'une nouvelle spécialité scientifique, par exemple, avec le nom «Innovations», dans le cadre de laquelle des recherches de thèse sur la théorie et la pratique de l'innovation seraient menées. Le renforcement et l'amélioration du niveau d'enseignement supérieur dans les spécialités de l'ingénierie, de la robotique, du numérique, de l'intelligence artificielle, de la génétique et des mathématiques est particulièrement important du point de vue de la création d'un système d'innovation de rupture. L'innovation est aujourd'hui une opportunité d'augmenter la compétitivité et l'efficacité du secteur industriel. Conclusion Le développement innovant du pays est l'un des objectifs stratégiques de la nouvelle Algérie. Il va permettre la réalisation de la croissance économique à la fois par la mise en œuvre active d'innovations et l'augmentation du PIB grâce aux bénéfices tirés de l'innovation. Ces dernières années, l'efficacité de celle-ci dans le pays est inférieure au niveau attendu. Si les données du GII sont à jour en ce qui concerne l'Algérie, la situation est hélas préoccupante et impacte de façon négative notre capacité d'innovation. Les dirigeants du pays accordent une grande attention au thème d'un modèle social algérien moderne et novateur. Cela dit, n'est-il pas temps de parler, au présent et institutionnellement, d'un programme d'investissement innovant qui permettra au pays d'augmenter son potentiel de croissance et d'emploi ? B. K. (*) Professeur des universités en mathématiques et en physique. Expert de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement. Université Mohamed-Boudiaf de M'sila.