Par Arab Aknine Dans le long cheminement historique qui a fait passer le statut de l�individu du stade n�gatif vers un stade positif, la D�claration universelle des droits de l�Homme (DUDH) est une �tape importante. La DUDH est consid�r�e aujourd�hui comme la premi�re affirmation mondiale de la dignit� et de l��galit� pour tous les �tres humains. Au cours de l�histoire, les conflits, qu�il s�agisse de guerres ou de soul�vements populaires, ont souvent �t� une r�action � des traitements inhumains et/ou d�injustice. Pourquoi �D�claration� ? L�id�e m�me de � d�clarer � des droits suppose que ceux-ci pr�existent. Mais il �tait n�cessaire de le rappeler parce qu�ils sont m�connus ou qu�ils sont viol�s, et l�ont �t� massivement avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Et en effet, c��tait le cas de le dire. La DUDH est n�e en 1948 Beaucoup de crimes ont �t� perp�tr�s pour que s�impose � la communaut� internationale la n�cessit� d�appeler au respect des droits de l�Homme. A la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945), l�humanit� se r�veille d�un cauchemar sans pr�c�dent avec ses atrocit�s r�v�l�es au grand jour et un bilan des plus lourds qui a jet� de l�effroi dans les consciences : plusieurs dizaines de millions de morts, de d�port�s, et des destructions de biens mat�riels. Cette Seconde Guerre mondiale, avec son bilan, a permis de sensibiliser toute l�humanit� � la question de l�honneur de l�Homme et de l�Humanit�. C�est dans ce contexte de chaos que l�ONU fut cr��e. Il �tait de l�honneur de la communaut� internationale de ne jamais permettre de telles atrocit�s. Elle s�est fait un point d�honneur pour ne jamais les laisser se reproduire. Les responsables du monde de l��poque d�cid�rent de renforcer la charte des Nations Unies par une esp�ce de feuille de route garantissant les droits de chaque personne en tout lieu et en tout temps. La n�cessit� d�une paix durable �tait donc fortement ressentie et s�imposait � l�humanit�. Cette paix durable ne pouvait �tre possible si les droits de l�Homme ne sont pas respect�s. Le 26 juin 1945, une charte des Nations Unies a �t� adopt�e (la Charte de San Francisco). Cette charte affirme une volont� de faire respecter le droits de l�Homme et les libert�s fondamentales. Dans son article 68, la Charte de San Francisco annonce la cr�ation d�une commission des droits de l�Homme par le Conseil �conomique et social des Nations Unies. Cette commission a eu pour mandat d��laborer la DUDH. Apr�s trois mois de d�bats et de discussions, le texte d�finitif fut donc adopt� par l�assembl�e pl�ni�re r�unie au Palais de Chaillot de Paris le 10 d�cembre 1948 par 48 voix (8 pays se sont abstenus). Trois �v�nements ont plus que d�autres d�termin� la prise de conscience pour les droits de l�Homme et leur mise en �uvre. 1- La grande charte du 12 janvier 1215 et surtout l�accord du libre peuple d�Angleterre du 19 Mai 1649, suivi plus tard par l�Habeas corpus vot� par le Parlement anglais en 1619. 2- La d�claration d�ind�pendance des Etats-Unis d�Am�rique. 3- La D�claration fran�aise des droits de l�homme et du citoyen du 26 ao�t 1789. La DUDH a donc valeur d�une r�solution qui engendre pour ses signataires une obligation morale et politique. Par la suite, elle a donn� naissance � deux pactes importants �labor�s le 16 d�cembre 1966 et adopt�s, pour leur mise en �uvre, par l�Assembl�e g�n�rale de l�ONU du 23 mars 1976 � New York. On peut aussi citer la Charte africaine des droits de l�Homme du 28 juin 1981. Cette d�claration/r�solution tente de concilier les droits individuels et les droits �conomiques et sociaux. Elle est compos�e d�un pr�ambule et de 30 articles. Le pr�ambule fait de sept consid�rants annonce l�id�al que la DUDH se proposait d�atteindre. Les trente articles allant des principes g�n�raux de libert�, d��galit� et de non-discrimination (article 01 et article 02) jusqu'aux relations entre individu et soci�t� (de l�article 28 � l�article 30). Historique des droits de l�Homme en Alg�rie L�affirmation du concept des droits de l�Homme dans le champ politique et intellectuel est tr�s r�cente en Alg�rie. Elle date du milieu des ann�es 1980. L�Alg�rie est m�me le dernier des trois pays du Maghreb (avec la Tunisie et le Maroc) o� s�est affirm� de fa�on un peu insolite et pour la premi�re fois en 1985, le concept des droits de l�Homme. En Tunisie, la Ligue tunisienne des droits de l�Homme existait de fa�on l�gale depuis 1976, et l�AMDH au Maroc depuis 1979. Cela ne signifie nullement que les m�canismes des droits de l�Homme ont trouv� respect chez ces deux voisins puisque des d�tenus politiques et des exil�s sont recens�s en nombre dans ces deux pays. Le concept des droits de l�Homme a durant longtemps �t� absent de l�arsenal des instruments de lutte des militants alg�riens. Aussi loin que je remonte dans ma m�moire d��tudiant, je ne garde de souvenir de l�utilisation de ce concept dans les d�bats politiques. Ni dans les d�bats ni dans les lectures d�articles ou r�flexions, je ne garde de souvenir quelconque du concept des droits de l�Homme. Le livre de R. Redjala, publi� en Alg�rie, consacr� � l�histoire de l�opposition alg�rienne : Opposition alg�rienne, tr�s document�, ne mentionne aucun fait ou lien historique de l�opposition alg�rienne � ce concept. J�ai, pour la premi�re fois, lu et entendu parler du concept des droits de l�Homme quand j�ai eu entre les mains d�abord le document avant-projet de plateforme politique du Front des forces socialiste (1979) intitul� : Pour une alternative d�mocratique r�volutionnaire � la catastrophe nationale, et la th�se de doctorat de H. A�t Ahmed (�dit�e sous le titre L�Afro-fascisme), soutenue � la fin des ann�es soixante-dix en France). Apr�s avoir feuillet� et parcouru pendant une bonne demi-heure le document, j�avoue que pour le jeune �tudiant de sciences exactes que j��tais, le concept incarn� me d�passait largement. Je garde encore un autre souvenir qui date de la p�riode imm�diatement post�rieure � avril 1980. Une enseignante universitaire, militante du FFS, a fait usage de ce concept dans son intervention en assembl�e g�n�rale de l�Universit� de Tizi- Ouzou. Je me rappelle vaguement du contenu de l�intervention ; bien qu�elle faisait un lien entre droits culturels et droits de l�Homme, elle n�a suscit� aucune attention particuli�re parmi les �tudiants pr�sents. Je peux dire pour ma part que le concept des droits de l�Homme est largement m�connu d�j� m�me dans les milieux �tudiants et universitaires alg�riens. Cependant, les choses �volueront tr�s vite et ne resteront pas � ce stade. L�hiver 1983 � Tizi-Ouzou, je me trouvais par pur hasard dans une rencontre o� Hend Sadi rendait compte d�une r�union de la FIDH, � laquelle il avait pris part � Paris avec un autre camarade. C��tait une participation informelle. Il avait sur lui de la documentation de la FIDH et informait Sa�d Sadi que celle-ci �tait dispos�e � travailler avec un groupe qui se formaliserait �ventuellement autour des droits de l�Homme en Alg�rie. Plus tard, j�ai appris que Me Ali Mecili et Me Beauvillard avaient jou� un r�le important d�information et d�impulsion au niveau international. Voil� grossi�rement le peu de souvenirs que je garde des conditions dans lesquelles s�est r�alis�e l�initiative pionni�re de formalisation d�un mouvement autour des droits de l�Homme en Alg�rie. La suite nous la connaissons. Si, � la fois, les milieux de l�opposition et les �lites alg�riennes autonomes sont rest�s �loign�s du concept des droits de l�Homme, le pouvoir et ses �lites l��taient tout autant, sinon plus. Il entretenait une propagande par l�amalgame opposant le concept de droit des peuples avec celui des droits de l�Homme pour r�futer l�universalit� de ces derniers, pr�sent�s comme la chose de l�Occident. Il est certain que la philosophie des droits de l�Homme ne pouvait cadrer avec la culture du pouvoir et de ses �lites. Dans un r�gime de dictature, le champ des droits de l�Homme est par excellence le terrain de pr�dilection au conflit, voire � l�affrontement avec les tenants du pouvoir d�Etat pour toute force qui s�y aventurerait. Cette r�gle de conduite va d�ailleurs se confirmer tr�s rapidement. Pour les militants actifs de l�opposition, le champ des droits de l�Homme �tait un espace de luttes � conqu�rir. Pour le pouvoir, c��taient des br�ches ouvertes par ses adversaires et dangereuses pour sa survie. La virulence des propos des dirigeants de l��poque et la c�l�rit� de la r�pression qui s�en est suivie donnaient la mesure de l�empoignade qui allait s�engager. En effet, il y avait mati�re � crainte pour le pouvoir alg�rien quand on conna�t son ardoise �loquente en mati�re d�injustice, de r�pression et d�assassinats politiques. La r�sonance internationale et les �chos qu�a suscit�s la r�pression qui s�est abattue sur les membres de la jeune Ligue des droits de l�Homme (juin - d�cembre 1985) ont mis le pouvoir dans une position tr�s d�licate. Un formidable �lan de solidarit� internationale va se cristalliser en faveur de la ligue r�prim�e. Le proc�s qu�il leur avait intent� va tourner � la d�route. Beaucoup parmi les d�tenus seront �largis avant de purger leurs peines. Voil� ce que je peux dire bri�vement sur les conditions et le contexte dans lesquels les droits de l�Homme ont fait leur entr�e sur la sc�ne publique en Alg�rie. Depuis les arrestations des membres de la jeune ligue (1985) jusqu�� leur lib�ration en 1987, le pouvoir a tent� de parasiter le champ des droits de l�Homme par des manipulations : entraves � la libert� d�action et de mouvement des militants lib�r�s de prison, cr�ation et officialisation de ligue alibi parall�le... A la faveur de l�ouverture de 1989, la ligue a pu enfin �tre reconnue sans pour autant b�n�ficier de conditions de fonctionnement normales. Ses positions tranch�es en rupture avec les v�ux des tenants du pouvoir lui valent toujours la diabolisation et la discrimination. En d�pit de l�agr�ment qu�elle a obtenu des autorit�s, des entraves syst�matiques lui sont oppos�es par le pouvoir dans toutes ses activit�s. Le conflit entre la ligue et le pouvoir s�est davantage durci avec la crise de 1991. La ligue s�est toujours inscrite en nette opposition � la politique s�curitaire des autorit�s du pays. Elle est en conflit ouvert avec le pouvoir sur la question des disparitions forc�es, pendant que l�Etat lui-m�me reconna�t l�existence de plus de 7 000 disparus. La ligue revendique la fin du syst�me de l�impunit�, avec la justice comme pr�alable � toute r�conciliation. L�Etat propose la r�conciliation par l�oubli et l�amn�sie des personnes disparues. La question des disparitions forc�es en Alg�rie constitue aujourd�hui le n�ud de la crise. Il peut constituer le socle pour une �ventuelle sortie de crise et de la d�mocratisation du pays. La force et la d�termination des militants alg�riens des droits de l�Homme conjugu�es � la volont� et au patriotisme de nouvelles autorit�s peuvent constituer le ciment de ce compromis n�cessaire.