De Abdelkader à Kader, de Zineddine à Zinou en passant par Mazigh, Boudiaf ou Saâdane… il n'est pas un prénom qui ne reflète son époque et sa société. Alors que le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, a annoncé que le lexique national des prénoms devrait bientôt être remis à jour, El Watan Week-end a remonté le temps. Conclusion ? En trente ans, nos prénoms ont bien changé… « Je suis oncle depuis quelques jours ! », témoigne, heureux, un membre de notre rédaction. « Le prénom de mon neveu ? Oussama. » Qui a dit que l'attribution des prénoms était déconnectée de l'histoire ? En Algérie comme ailleurs, les registres de l'état civil sont de curieux miroirs des changements profonds qui affectent la société. Et ce n'est pas toujours simple à gérer… Une des dernières affaires en date remonte au printemps dernier. Un père de famille qui voulait prénommer son fils Masstyasse, du nom d'un roi berbère, s'est vu refuser l'inscription du bébé par le service d'état civil de l'APC de Tizi Ouzou. « Ce refus d'accepter les prénoms autres que ceux portés sur la nomenclature proposée par l'administration est en soi un chantage, alors que l'on rencontre quotidiennement des prénoms non seulement étrangers, mais à connotation moyen-orientale », commente le comité de soutien à ce père de famille, contacté par El Watan Week-end. Pourtant, à en croire le ministre l'Intérieur, Yazid Zerhouni, sur 570 000 naissances inscrites en 2008, seuls 54 cas de litige autour des prénoms ont été enregistrés, dont 48 réglés. Le contentieux autour des prénoms est « insignifiant » et le nombre de cas de refus « ne permet pas de dire que des officiers de l'état civil ont outrepassé la loi en vigueur », a-t-il souligné. Il y a quelques années, pourtant, les services de l'état civil n'acceptaient pas les prénoms à connotation ou d'origine berbère, ce qui entra parmi les revendications du mouvement berbère lors du printemps amazigh en 1980. Le Dr Hakim Saheb, doctorant en droit et député RCD, dans une contribution au Soir d'Algérie, explique : « L'arabisme et l'islamisme ont été les seules normes de référence » alors que « la communauté internationale a fait un pas important dans le domaine du respect de la différence et des droits culturels et identitaires à partir de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), approuvée et proclamée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. L'article 11 de la Constitution algérienne du 10 septembre 1963 avait proclamé l'adhésion de l'Algérie à cette DUDH. L'article 22 de cette déclaration affirme que les droits en question sont nécessaires à la dignité de l'homme et au libre développement de sa personnalité ». « Mais malgré les entraves, j'ai réussi, en 1984, à inscrire mon fils Massinissa au registre de l'état civil, atteste Mokrane, la cinquantaine, de Béjaïa. Le bras de fer a duré plus d'un mois avec l'administration… » Depuis, la nomenclature des prénoms amazighs n'a cessé de prendre de l'importance jusqu'à… causer des problèmes aux agents de l'état civil ! Car parfois, ces noms berbères sonnent un peu latin. De l'avis de certains agents de l'administration de Tizi Ouzou, « cela ne pose plus de problème, du moins en Kabylie ». Dans la région, de nouveaux prénoms ont vu le jour ou ont été « ressuscités », d'après un historien de l'université de Tizi Ouzou. Tanina, Dehia ou Tinhinan ont désormais remplacé les traditionnelles Chavha, Djadjiga ou Zaina. Et les Mayasse, Yennayer ou Massyass prennent la place de Boudjemaâ, Lakhdar ou Mokrane. Dans les années 1990, une autre donne vient chambouler l'ordre établi, coïncidant avec la montée de l'islamisme extrémiste. Les parents, voyant dans les Abdelkader ou les autres prénoms précédés par Abd un nom « lourd » à porter, ils préféraient les écourter, histoire de les rendre beaucoup plus faciles à prononcer. Ainsi Abdelkader est devenu tout simplement Kader. Les islamistes quant à eux refusaient ce chirq ou kofr car, de leur avis, Abd, qui signifie en arabe « fils de » ne peut être enlevé. Ce qui vient après ce Abd étant les 99 appellations que Dieu s'est donné dans le Coran. Leur argument : aucun être humain ne peut s'appeler Kader, qui signifie puissant en arabe, un adjectif réservé à Dieu. Alors qu'une certaine mode était au raccourcissement des prénoms traditionnels, une autre tendance correspondant à la montée de l'intégrisme, voyait se multiplier Abdelkassem, Abdessatar ou encore Abdelghafour… Ou encore, des prénoms tirés de l'histoire de l'Islam et de la théologie musulmane comme Nouh, Chouaib ou Moussaab. A la même époque, Boudiaf faisait aussi partie des prénoms à la mode, signe de reconnaissance envers le défunt chef de l'Etat Mohamed Boudiaf, assassiné lors d'un meeting à Annaba. Le nom de famille étant transformé en prénom pour marquer la mémoire collective des Algériens. Un succès que même Boumediène n'avait pas connu ! Enfin, toujours à la même période, il était fréquent de trouver sur les registres de l'état civil des petits Saddam, « en hommage rendu à la résistance du président irakien Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe », confie un père de famille. -Dans les années 2000, la donne s'inverse. L'Algérie commence à s'ouvrir et une nouvelle classe sociale, composée des jeunes issus des grandes écoles et employés dans les multinationales, émerge. « Il est alors de bon ton de donner à son enfants un prénom à consonance mi-arabe, mi-latine », comme l'atteste un agent de l'état civil. Les Yanis, Dani ou Zinou (diminutif de Zineddine) peuplent alors les cours de récré. Et aujourd'hui ? « Les noms des joueurs de l'équipe nationale ont beaucoup de succès ! », remarquent les agents de l'état civil que nous avons rencontrés. A l'image de Ziani, Antar ou Saifi. Et parmi les nouveaux nés arrivés après le 18 novembre, il n'était pas rare de rencontrer un… Saâdane ! Cette chronologie suscite en tout cas des interrogations. Les Algériens ont-ils rompu le cordon ancestral ? Rares sont les parents qui donnent à leur descendance les prénoms des grands-parents…