Par Ammar Berlhimer [email protected] La rue arabe ne semble pas �mouvoir outre mesure les institutions financi�res internationales, plus que jamais r�solues � les soumettre � leurs dogmes n�olib�raux, moyennant quelques r�am�nagements de fa�ade et l�insertion des islamistes dans le jeu institutionnel. On attendait d�elles une toute autre r�action suite � l��chec av�r� de leurs rejetons dans les sph�res arabes de d�cision. Apparemment, elles ne l�entendent pas de cette oreille. Maintenant que les foules ont rejoint leurs bidonvilles, la Banque mondiale et le Fonds mon�taire international �uvrent � faire accepter leur feuille de route pour les nouvelles �quipes dirigeantes install�es dans les capitales arabes. Le pr�sident du groupe de la Banque mondiale, Robert B. Zoellick, a expos� le 6 avril dernier, devant le Peterson Institute for International Economics, sa vision de ce qui vient de se passer dans le monde arabe. Officiellement, il s�en prend � �la pauvret�, l�exclusion sociale, la privation des droits civiques, ou l�absence du droit et la r�gle de l�arbitraire (qui) privent des hommes, des femmes et des enfants de toute opportunit�, de tout espoir�, autant de caract�ristiques de la Tunisie de Ben Ali ou de l��gypte de Moubarak qu�il �rigeait il y a si peu en mod�le r�ussi, et � suivre, de d�veloppement �conomique. Admettant un brin d�autocritique, il estime toutefois (tout de m�me !) �qu�il y a des le�ons � en tirer pour cette r�gion et pour le monde, pour les gouvernements et pour les organismes de d�veloppement, de m�me que pour la science �conomique�. Le premier de ces enseignements est l��tablissement d�un �nouveau contrat social pour le d�veloppement�. La participation, l�implication des hommes, en fait la d�mocratie en est le moteur : �Il s�agit de d�mocratiser l��conomie du d�veloppement de sorte que chacun puisse jouer un r�le dans la conception, l�ex�cution et l�am�lioration continuelle des solutions adopt�es en mati�re de d�veloppement. � Cependant, comme dit le proverbe : �chasse le naturel, il revient au galop�, comme un leitmotiv, la Banque mondiale trouve que la crise du monde arabe r�side dans son isolement ou sa faible diversification �conomique : �Les raisons qu�il y avait de pr�ter particuli�rement attention au monde arabe semblaient claires � l��poque, et elles paraissent �videntes � pr�sent : son secteur p�trolier mis � part, la r�gion est faiblement int�gr�e � l��conomie mondiale.� �Lorsqu�on mesure le degr� d�ali�nation, de d�pendance, d�int�gration ou d�extraversion des �conomies arabes, on reste perplexe tenant l�insistance mise � circonscrire le mal � la d�connexion� ou la faible int�gration dans l��conomie mondiale : �Ce manque de diversification signifie que la r�gion est d�pourvue de secteurs manufacturiers ou de services dynamiques qui puissent g�n�rer des emplois aujourd�hui et � l�avenir.� Que les r�gimes arabes soient par ailleurs de farouches pr�dateurs des richesses de leurs peuples ne suffit pas � les disculper aux yeux de la Banque mondiale. Elle attend d�eux qu�ils fassent plus dans la privatisation des ressources ! �Et comme l�investissement priv� n�y repr�sente en moyenne que 15% du PIB environ, contre pr�s de 25% en Asie du Sud, le gonflement de sa population de jeunes n�a gu�re d�autres exutoires qu�un emploi dans le secteur public � mais les nouveaux postes y sont rares � ou la rue�, poursuit le pr�sident de la Banque. Sur le plan politique, ce dernier semble faire preuve d�une �tonnante ouverture d�esprit. Se pla�ant r�solument derri�re les insurg�s, il croit pouvoir ramener leurs attentes et leurs espoirs aux revendications suivantes : �Qu�est-ce qu�ils veulent tous ? Ils veulent qu�on leur donne une chance ; ils veulent la justice ; ils veulent un emploi. Ils demandent des r�gles et des lois qui soient �quitables, pr�visibles et transparentes. Ils veulent de quoi nourrir et abriter leur famille, de bonnes �coles pour leurs enfants, et des quartiers o� vivre en s�curit�. Ils demandent des forces de police qui jouent un r�le de protecteurs et non pas de pr�dateurs, et des gouvernants en qui ils puissent avoir confiance. Ils veulent que les notions de voix et de responsabilit� soient une r�alit� � � l��chelon des villages, des villes et des quartiers. Ils demandent � avoir leur mot � dire sur des services publics qui sont d�natur�s au point de ne pas �tre � la disposition du public et de ne pas fournir de v�ritable service. Ils veulent disposer d�informations, et avoir le droit de savoir et de participer. Ils demandent un nouveau contrat social. Ils r�clament la dignit�. Ils r�clament le respect.� Le rapport sur le d�veloppement dans le monde qui doit para�tre cette semaine sur le th�me �Conflits, s�curit� et d�veloppement�, indique qu�il est capital de renforcer les institutions l�gitimes et la gouvernance dans une optique de s�curit�, de justice et d�acc�s � l�emploi pour les citoyens, afin d��viter des cycles incessants d�instabilit� et de violence. Curieusement, le m�me jour, le 6 avril pr�cis�ment, Dominique Strauss-Kahn, le directeur g�n�ral du Fonds mon�taire international, recevait une d�l�gation de journalistes arabes du Moyen-Orient pour d�livrer sa lecture des �v�nements. �Nous ne savons pas ce qui va se passer�, reconna�t M. Strauss-Kahn. Apr�s avoir �voqu�, plut�t survol�, la qu�te de libert� et de d�mocratie, il s�est largement �tendu sur les risques qui p�sent, tenez-vous bien, sur� l�avenir imm�diat du secteur touristique dans des pays comme la Tunisie et l��gypte, notamment � l�approche de la saison estivale. L�injustice que vomissent les foules arabes ne l�emp�che pas de d�plorer l�ampleur des subventions et soutiens � la partie la plus vuln�rable de la population, estim�s � 3% du PIB pour certains pays arabes. Certes, conc�de-t-il, �ils avaient de bonnes raisons de le faire, mais 3% du PIB, c'est beaucoup� ! En d�pit de ce qui vient de se produire en Tunisie, le FMI maintient que ce pays dispose d�un syst�me financier �plut�t bon�, de m�me que d�une situation macro�conomique �plut�t bonne, en termes de croissance, d�inflation, de d�ficit budg�taire et de comptes courants�. On regretterait m�me le d�part de Ben Ali, malgr� un soup�on de �pr�occupation � en termes de r�partition ! Les pr�visions de croissance de la Tunisie pour l�ann�e en cours ont �t� r�duites �de mani�re significative � quelque chose qui se situe entre 1 et 1- 1/2%� du fait des derniers troubles sociaux apr�s avoir �t� fix�es �au-dessus de 3%�. Comme pour la Tunisie, les r�sultats macro�conomiques de Moubarak sont jug�s �satisfaisants �, en d�pit des in�galit�s recens�es � qui peuvent �tre �d�stabilisantes pour la croissance� �, parce que le FMI se refuse �d��tendre son mandat�. La crise n�a cependant pas totalement �pargn� �la fa�on de penser� du FMI : �Ce qui pourrait �tre d�stabilisant pour la croissance ne se rapporte pas seulement � la situation des banques, l'inflation, la bulle des actifs, le d�ficit budg�taire, le d�ficit du compte courant, mais aussi � l'effet de redistribution �, admet Strauss-Kahn. De l� � transformer les experts du Fonds en sociologues ou en politologues, il refuse de franchir ce pas. Comme il refuse d�admettre l�id�e de �dictature du FMI sur l��conomie mondiale �. Loin d��tre neutre, la nouvelle croissance se veut �inclusive � afin de garantir la stabilit� �conomique. Que faut-il enfin penser de l�int�gration maghr�bine � l�heure de l�agitation et des manifestations de rue dans les grandes villes de la r�gion ? �La Tunisie, l'Alg�rie et le Maroc ont un grand avantage � apprendre � travailler ensemble�, estime � plus convaincant � Dominique Strauss-Kahn. Bien mieux, �ils n�ont pas d�autre choix� que de s�engager dans cette voie. Revenant sur le programme quinquennal alg�rien d�investissement public, il estime qu�il est �absolument n�cessaire pour l'Alg�rie�. �Notre �valuation de la situation �conomique est plut�t bonne, et je pense que 2011 devrait �tre une ann�e plut�t bonne pour l'Alg�rie� qui, contrairement aux autres pays de la r�gion, aura fait la pr�cieuse �conomie d�une explosion sociale.