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Le despotisme néolibéral et son idéologie
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 01 - 09 - 2009


Suite et fin
Un petit chef-d'oeuvre d'ambiguïté constructive dans lequel Bouteflika peut aussi bien donner «une chance à ceux qui se sont égarés pour s'être trompés de repères religieux ou pour avoir été trompés par des mercenaires» et rappeler que sa «main est encore tendue compte tenu des convictions religieuses de notre peuple», tout en affirmant que «l'Etat reste fermement déterminé à faire face avec toute la rigueur qui s'impose, à ceux qui ont dévié du chemin tracé par la Nation». Les ajustements idéologiques se traduisent aussi par l'introduction de nouveaux éléments compatibles ou rendus compatibles avec la nouvelle structure socio-économique existante, comme le discours dénonçant la rente et exprimant une volonté de contrôler les IDE depuis que le poids de la dette extérieur ne pèse plus sur l'avenir du pays. Cependant, le pouvoir voudra peut-être même laisser espérer une autre forme d'adaptation, à la fois plus lente et plus radicale. C'est l'adoption de nouveaux éléments comme les libertés et l'alternance qui sont contradictoires et irréconciliables avec une partie importante de la structure économique et sociale. Des libertés formelles protesteront ceux qui désespèrent de la dialectique qui permettrait de voir évoluer positivement le pouvoir. Pour démontrer qu'une telle évolution relève de l'impossibilité, ils en sont réduits à nier tout changement dans la nature actuelle de l'Etat et considèrent que nous sommes toujours face à un Etat hybride et un système rentier. Ils peuvent ainsi se servir de cet argument contre la possibilité d'une nouvelle transformation dans l'avenir. Au lieu de s'élever contre le sens qu'aurait, en réalité, la transformation actuelle, ils se décrédibilise aux yeux de la société et font le jeu du pouvoir. Il est vrai, cependant, qu'un tel processus ne pourrait se produire que si, d'une part, l'écart entre la situation et l'idéologie devient tellement grand qu'il rend l'idéologie totalement inefficace, chose qui semble déjà être en partie le cas, et si, d'autre part, de nouvelles forces porteuses d'une alternative émergeaient, y compris au sommet de l'Etat.
Le pouvoir ne semble pas avoir encore pu ou voulu produire son propre fossoyeur. Quoique l'idée de la création d'un parti pour Saïd Bouteflika et les nombreuses attaques menées contre le FLN - que ce soit par Lakhdar Bensaïd dans El Khabar El-Ousboui, par l'ancien sénateur Habibi qui lance que «un million et demi de martyrs n'est que mensonge» ou par le RCD dont le premier responsable s'apprête à publier un ouvrage sur le colonel Amirouche — expriment le fait que le système est au bord d'une profonde crise idéologique. Cette crise devrait alors se résoudre soit dans la destruction même de l'ancienne structure politico-idéologique qui passerait par la dissolution des partis/Etat dont le FLN et la création d'une nouvelle structure et l'élaboration d'une nouvelle Constitution, dont le MSP n'arrête pas de répéter qu'elle n'est pas une priorité, soit dans des divisions au sein même du système, dont la fracture au sein du MSP et l'annonce de la création d'un nouveau parti par des dissidents du RND sont des signes avant-coureurs. Dans ce dernier cas, l'idéologie du despotisme néolibéral se restructurera de façon encore plus rigide, perdant de plus en plus contact avec la réalité et l'idéologie, élaborée sous le signe de l'efficacité et de la correspondance à la réalité, c'est-à-dire en rapport avec les besoins de l'économie productive et des aspirations démocratiques de la société, pourra, alors, se cristalliser au plan politique. En termes d'organisation sociale, la première solution s'exprimera par une transformation lente de l'élite actuelle liée au pouvoir et qui réussirait à transcender les conceptions en rapport avec son idéologie actuelle. C'est ce scénario que le pouvoir voudrait, peut-être, mettre en oeuvre avec ses dernières mesures. Il sait que si on allait vers la deuxième solution, on assisterait plutôt à un conflit acerbe entre l'élite qui lui est organiquement liée et l'élite démocratique. Le pouvoir couve ses élites pour les opposer aux élites démocratiques et de progrès. Il oppose de moins en moins l'islamo-conservatisme à la démocratie. A cette dernière, il oppose la modernité exprimée dans les termes qui lui conviennent. Il joue d'une certaine manière Amara Benyounès contre Bélaïd Abrika, le cheikh Bentounès contre Soheib Bencheikh, Bouchouchi contre Hocine Zehouane, Fatani contre Benchicou, Mme Flici contre Keltoum Zino, Ferdjellah contre Saïd Sadi autant qu'il oppose l'UDR au MSP, la Confrérie Alawiya au HCI, la Ligue des Droits de l'Homme au ministère de la Justice, la presse démocratique à celle du parti unique, les familles des victimes du terrorisme à leurs bourreaux islamistes. «L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour, dans ce clair-obscur surgissent les monstres», nous avait prévenu Gramsci. Nous sommes bien dans le cas du césarisme qu'il avait analysé comme étant le résultat de l'équilibre des forces. L'Etat est despotique car il soumet la Nation à l'arbitraire. Il ne peut plus être qualifié d'hybride, car chez lui l'hybridité n'est plus structurelle mais fonctionnelle comme on le voit à travers l'usage qu'il fait des élites et de leurs discours. Le compromis n'est plus statique mais dynamique. Le système ne cherche pas à préserver, à conserver son hybridité mais à en faire l'usage qui lui est le plus favorable, à la réformer. Il le fait avec un tel cynisme qu'on peut se demander si le despotisme peut souscrire définitivement à ce que l'on pourrait appeler l'offre conjuguée de la démocratie et de l'économie productive? N'exprime-t-il pas au contraire la volonté de toujours préserver une possibilité de réversibilité du processus ? Qu'il pourrait donc, en empruntant la voie des réformes qui lui seraient les plus favorables, faire l'économie de la rupture ? Mais, peut-être qu'au lieu d'interroger ce que désire le pouvoir, il serait plus pertinent de savoir ce que veut la société ? On a vu l'aristocratie anglaise se réformer et nous avons aujourd'hui une monarchie constitutionnelle en Grande-Bretagne. On a vu les révolutionnaires français couper la tête au roi et la France est une république. S'il est vrai que les deux pays sont des démocraties, il n'est peut-être pas indifférent de vivre sous un régime ou sous l'autre.
Doit-on observer la situation de misère dans laquelle se trouve la société, de blocage dans laquelle se trouve l'économie réelle ou peut-on savoir et doit-on chercher ce que despotisme peut vouloir ? S'il peut être éclairé ? Comment mesurer la pureté de ses intentions ? S'imposerait-elle, que la nature réelle du despotisme n'en serait pas avancées d'un pas ; tout au plus les voies de l'enfer y gagneraient un pavé de bonnes intentions. Et puis, l'idéologie ce n'est pas tant ce que l'on croit que ce que l'on affirme croire, ce que l'on endosse. Peu importe la sincérité du pouvoir pour juger son idéologie et donc son projet économique et social. L'important s'est qu'il adhère à ce qu'il énonce et qui se traduit dans ce qu'il fait. On ne le voit jamais formuler la moindre auto-critique. Il souscrit à tous les arguments qu'autorise son idéologie et c'est pour cela que l'islamisme s'y retrouve. En produisant, justement, des arguments cohérents avec le système qui refuse l'abrogation de l'article 2 de la Constitution ou le week-end universel. Malheureusement, l'adhésion d'une partie des élites à l'idéologie du système tend, quant à elle, à favoriser les intérêts des forces dominantes en son sein; sa diffusion dans la société tend à favoriser les intérêts de ces forces; et plus les prescriptions prônées au plan idéologique sont mises en application, plus cela tend à favoriser les intérêts des forces hégémoniques. Nous en avons déjà fait l'expérience quand l'islamisme était en phase ascendante et où toute tentative de venir lui faire concurrence sur le terrain religieux ne servait qu'à l'alimenter. Aujourd'hui, c'est les démocrates qui, en se satisfaisant honteusement du changement de week-end ou en dénonçant seulement la rente, alimentent la fuite en avant despotique néolibérale du pouvoir. Il est insuffisant de remettre en cause son comportement vis-à-vis des libertés si on ne remet pas en cause son projet économique et social. Comme hier, il était inconséquent de dénoncer ses accointances avec l'islamisme sans exiger la rupture avec le système rentier. Le despotisme n'a pas encore renoncé à concilier les intérêts rentiers et les exigences néolibérales. C'est ce que révèle en toute clarté, la dernière loi de finances complémentaire, dont le contenu idéologique est manifeste. Il fleure même la démagogie quand il porte l'exigence pour les chefs d'entreprises de venir eux-mêmes effectuer les démarches de dédouanement des marchandises importées. La LFC 2009 ressemble à une concession aux besoins économiques du pays. Mais dans une interview à l'APS, Karim Djoudi nous éclaire sur les vues patriotiques du pouvoir. Il oppose les intérêts des salariés et des entrepreneurs à ceux du développement. Non, les familles algériennes ne mangent pas tant de kiwi et de Corn flakes que semble le prétendre le ministre des Finances.
Les importations de biens alimentaires ont même diminué cette année, nous disent les statistiques des douanes. Quant à la faiblesse de la qualité des produits importés, elle s'explique d'abord par la faiblesse du pouvoir d'achat des Algériens plutôt que par l'usage du transfert libre ! Il n'y a qu'à comparer le niveau de vie des classes moyennes algériennes et celles du Maroc. Quant aux petits salariés, si le ministre s'inquiète de leur niveau d'endettement le gouvernement devrait alors songer à une augmentation substantielle des salaires, plutôt que de supprimer le crédit à la consommation. On ne peut en vérité conclure que le despotisme a réellement adhéré aux aspirations de la société, ni qu'il s'est donné les moyens de les mettre en oeuvre démocratiquement. Au niveau des modalités d'élaboration (sans concertation) et de mise en oeuvre (par ordonnance) c'est encore plus clair qu'au plan des principes. Les restrictions dont sont assorties les mesures, ainsi que les corrections, déjà annoncées par les Ministres, témoignent plus d'un renouvellement de forme que de contenu. La loi de finances reste l'instrument, l'ajustement reste donc marginal, limité, le temps d'un exercice budgétaire, quantitatif tout au plus. Le despotisme ne rompt pas avec l'orthodoxie néolibérale au bénéfice de l'essor des forces productives créateur de richesses et porteur du plein emploi, d'émancipation et de bien-être. Comme elle paraît encore lointaine la promesse de la paix et du développement !
On attendait que l'Etat se mêle du commerce international, il paraît s'être emmêlé. L'échec risque d'être spectaculaire. Déjà, Ahmed Benbitour estime que les «prévisions pour la prochaine décennie sont plus inquiétantes» ; et lui qui considérait, il y a peu lors d'une conférence à la Fondation Friedrich Herbert, que les régimes de Pinochet ou de Corée du Sud étaient adéquats, dénonce aujourd'hui «l'autoritarisme et le patrimonialisme dans l'exercice du pouvoir». La crise économique mondiale, dont le pouvoir prétendait l'Algérie préservée, risque d'avoir des conséquences plus rapidement que les réformes ne seront mises en oeuvre. Il y a de quoi inquiéter même ceux qui ont affronté les pires situations. En effet, peut-on prêter la moindre rigueur dans la réforme à un pouvoir qui répète les mêmes stupidités que ses prédécesseurs qui en 1986 croyaient échapper à la chute des cours du baril de pétrole ? Avec Bouteflika, les intérêts contradictoires sont encore ménagés plutôt que dépassés. On trouve un nouveau point à partir duquel on ne s'aliène aucune des forces au pouvoir, même si Abou Djerra Soltani évoque l'échec des réformes. Le tapage entretenu autour de certaines mesures semble faire diversion sur la privatisation graduelle des EPE, procédure à propos de laquelle on met en avant le fait qu'elle est limitée à 34 % du capital. On favorise les financiers plutôt que les producteurs, l'investissement de portefeuille plutôt que l'investissement direct (aussi bien national qu'étranger), en offrant même un traitement préférentiel. Un responsable du patronat parle «d'aubaine» même s'il avoue ne pas s'expliquer «les motivations de tels pourcentages», rapporte El Watan. Au lieu de chercher une motivation économique, ce patron des patrons devrait chercher du côté des motivations idéologiques qui permettent de désarmer toute résistance à l'accélération des privatisations et au placement des réserves monétaires sur le marché financier mondial. Même Louisa Hanoune approuve les dernières mesures. Du coup, certains trouveront qu'il y aurait là matière à s'interroger sur la qualification de néolibéral concernant l'orientation du pouvoir. Mais cette qualification est aussi évidente que l'était le caractère rentier du système hier et que trop de forces qui lui étaient liées refusaient de reconnaître. Alors, revenons-en à une définition toute simple : le néolibéralisme c'est la domination du capital spéculatif contre le capital productif, contre la rente et contre le travail.
Fut-ce un des rôles majeurs de l'idéologie de masquer les intérêts et d'idéaliser la réalité, elle doit aussi pour ce faire quelque peu «réaliser» son idéal. Depuis quelque temps, le pouvoir se retrouve, sans ressortir l'étendard de l'éradication, à mener la lutte antiterroriste avec un peu plus de détermination qu'il y a quelques années où il a paru se reposer sur les fruits de la mobilisation des patriotes en armes et de la société qui avaient réussi à faire barrage au projet d'instauration d'un Etat théocratique. Depuis, il est vrai que l'idéal de paix Bouteflikienne a commencé à prendre l'eau de tous les côtés. Le terrorisme algérien s'est internationalisé, Al-Qaïda multiplie les attentats sanglants contre les forces de sécurité et les soldats de l'ANP, en France on ressort l'affaire des moines de Tibhirine suscitant le rebondissement du qui tue qui et Ali Yahia Abdenour vient dans une récente contribution déclarer que la réconciliation nationale est un échec et qu'il ne peut y avoir de paix sans justice ni vérité. En réaction au réchauffement de la situation sécuritaire on assiste, fait notable, à une rencontre des chefs d'états-majors des armées algérienne, mauritanienne, nigérienne et malienne à Tamanrasset. La capitale du Hoggar devient ainsi la Mecque des Etats où l'on change les Constitutions pour rester au pouvoir autant qu'on y modifie le code de la famille (en suscitant, au Mali, le rassemblement de 50 000 islamistes qui protestaient contre la mesure). Pour sa part, la société algérienne ne parait pas exprimer un quelconque sentiment d'urgence. Ce n'est pas qu'elle sous-estime la menace terroriste, c'est plutôt qu'elle a compris qu'elle ne se débarrassera pas du danger islamiste sans se débarrasser du pouvoir. Seul un pouvoir de combat démocratique pourrait remobiliser la société contre le terrorisme. C'est plutôt la hausse des tarifs des fruits et légumes, en ce mois de Ramadan, qui suscite son inquiétude immédiate. Elle sait, même spontanément, que si le pouvoir n'en a pas fini avec l'islamisme, c'est que d'une certaine manière il ne voulait pas en finir avec la spéculation, qu'elle soit rentière ou liée au capital commercial et bancaire. En le formulant de manière plus élaborée, on peut dire que la société a compris que la contradiction principale a changé et que les transformations dans le discours du pouvoir en sont parmi les principaux indices.
Depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, et bien qu'il se soit attribué un score écrasant lors de la dernière élection présidentielle, le divorce entre l'Etat et la société n'a pas été dépassé. Le boycott des élections est toujours plus massif, les émeutes se poursuivent chaque jour, les harraga sont prêts à prendre de plus en plus de risques pour échapper à l'absence de perspectives. Malgré une esquisse d'autocritique concernant la jeunesse, le pouvoir tente de mettre en avant l'idée d'une nouvelle unité acquise non pas au pris d'une victoire sur l'islamisme mais au nom du fait qu'il n'y aurait ni vainqueurs, ni vaincus, comme une manière de nier que nous sommes dorénavant dans une société à deux vitesses où les tenants du système récoltent tous les fruits des sacrifices de la société. Le pouvoir essaie de magnifier dans la perception globale un aspect de la situation idéologique et réduit l'importance de l'autre aspect. Le premier c'est la défaite du terrorisme islamiste, le second l'échec des partisans du changement démocratique. La réalité c'est que non seulement la rupture est reportée mais les conditions de sa réalisation sont rendues encore plus difficiles. Chacune des concessions que le pouvoir veut bien accorder d'une main n'est, si elle n'est pas reprise d'une autre main, qu'un stratagème pour retarder un véritable changement. Le pouvoir prouve, chaque jour, que lorsque l'on ne va pas au même rythme c'est parce que l'on ne veut pas aller dans la même direction. Les demi-mesures du pouvoir ne sont pas des hésitations, elles sont la marque d'un projet qui tourne le dos aux aspirations démocratiques de la société algérienne.
Abou Djerra Soltani reste membre de l'Alliance au service de Bouteflika tant que cela sert les intérêts de sa mouvance et tant qu'il pense qu'il peut faire croire que des événements comme le changement de week-end ne sont pas des coups portés à l'islamisme. Il peut ainsi dire que les démocrates n'ont pas pu imposer le week-end universel. Mais il y a encore quelque temps, au moment de la réforme du code de la famille, le MSP était en état d'organiser une protestation contre l'orientation de Bouteflika. Aujourd'hui, il ne peut que moquer les insuffisances des démocrates pour faire diversion sur ses propres faiblesses. Cependant, il révèle précisément ce qui est en jeu : contrarier les avancées modernes et démocratiques radicales. A l'issue du premier week-end présenté comme semi-universel par les relais du pouvoir on a l'impression que c'est comme si on avait ajouté le shabbat au djoumouâ. L'économie nationale paraît avoir perdu ce qui a été gagné au plan de l'activité internationale. On peut craindre que le pouvoir ne voudra bientôt laisser qu'une seule issue : la disparition du week-end et finalement l'ouverture des commerces, tous les jours de la semaine, en attendant la refonte du code du travail, concoctée par Louh, pour aller plus loin. C'est un peu ce qui se passe dans l'Europe néolibérale où les salariés en sont à défendre le repos dominical contre les attaques de la logique marchande qui veut briser l'idée même du repos hebdomadaire au nom de la flexibilité et de l'intérêt des familles, qui pourraient ainsi profiter de l'activité commerciale durant le week-end.
Le phénomène décisif dans la situation actuelle n'est pas dans le rythme ni dans l'ampleur de l'évolution en cours au plan idéologique et socio-économique; il consiste dans la soudaineté avec laquelle s'est opérée la substitution du conservatisme (voire de l'islamisme qui en est le paroxysme) incarné par l'Etat hybride et le système rentier par le réformisme incarné par le despotisme néolibéral. Cette soudaineté rend compte du sentiment qu'il y a dix ans nous étions face à une absence d'idéologies en rapport avec les nécessités d'évolution de la société et de la classe politique et, d'une façon aussi forte aujourd'hui, de l'impression de déchéance de l'idéologie incarnant la volonté de perpétuer les valeurs et les institutions du système rentier et de l'Etat hybride comme de la déchéance de celle qui voudrait rompre avec ce même modèle. Cette impression, dans un cas comme dans l'autre, est fausse. Elle découle du fait qu'au lieu de concentrer leur attention sur les aspirations et les comportements des forces politiques et sociales, les observateurs la fixent sur le pouvoir politique qui fait tout pour brouiller les cartes. La problématique peut se formuler autrement : comment se fait-il que les idéologies dont dispose la société soient plus diversifiées qu'il n'apparaît à la société ? Comment se fait-il que la démocratie ne semble pas encore une alternative indispensable et que les idéologies qui paraissent les plus pertinentes fassent toujours partie du populisme ? Hier, nous avions un populisme de gauche quand Boumédiène imposait la réappropriation de la rente pétrolière contre les multinationales et de la rente foncière contre les féodaux tandis qu'aujourd'hui nous avons, avec Bouteflika, un populisme de droite qui confisque la rente pour la mettre à disposition des marchés financiers mondiaux. Cette évolution entraîne, en même temps, une accélération du rythme des recompositions depuis dix ans. L'aspect le plus remarquable a peut-être été le déblocage idéologique survenu au sein du pouvoir qui n'a pas hésité à casser certains tabous. Mais il faut éviter de confondre l'ordre social et l'ordre politique. Dans une société moderne, chacune des deux sphères est soumise à une logique qui lui est propre. Sans doute, il n'est pas indifférent que les principes politiques qui fondent une société soient de caractère conservateur ou, au contraire, réformiste. Mais le renversement du conservatisme comme formule politique et son remplacement par le réformisme ne signifient pas que la société est brusquement passée du type hybride au type démocratique de l'Etat. La modification des rapports de force indique plutôt que la société est dorénavant soumise à l'hégémonie d'une idéologie différente. Cette idéologie, c'est celle du despotisme néolibéral. Cela démontre que dans la perspective du changement, aussi bien idéologique que socio-économique, le maillon politique reste le maillon principal.


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